mercredi 18 mai 2011

Nietzsche et le zombi.

En philosophie de l'esprit contemporaine, le zombi désigne un être qui serait physiquement identique à un être humain et qui serait dépourvu de toute intériorité ou autrement dit de toute conscience. David Chalmers dans L'esprit conscient (1996) le présente ainsi :
" Examinons donc mon jumeau zombi. Cette créature est identique à moi à la molécule près, toutes ses propriétés de niveau inférieur, postulées par une physique achevée, sont identiques aux miennes, mais elle est entièrement dépourvue d'expérience consciente, son intérieur est vide. Certains pourraient en parler comme d'une chose, mais je préfère la traiter comme une personne ; j'ai de l'affection pour mon jumeau zombi. Pour nous faire une idée, imaginons que j'aie l'expérience de belles sensations vertes en regardant des arbres par la fenêtre, des expériences gustatives agréables en mâchant une barre chocolatée, et que j'éprouve une sensation douloureuse dans mon épaule droite.
Que se passe-t-il dans mon jumeau zombi ? Physiquement identique à moi, nous pouvons également supposer qu'il se trouve dans un environnement identique au mien. Il sera certainement identique à moi fonctionnellement : il traitera le même type d'information, réagira de la même façon aux entrées, sa configuration interne sera modifiée de façon appropriée et un comportement indiscernable du mien en résultera. Il sera psychologiquement identique à moi (...). Il percevra les arbres au dehors ainsi que le goût du chocolat, au sens fonctionnel. Tout cela s'ensuit logiquement du fait qu'il est physiquement identique à moi, en vertu des analyses fonctionnelles des notions psychologiques. Il sera même "conscient" aux sens fonctionnels décrits plus haut - il sera éveillé, capable de rendre compte du contenu de ses états internes, de porter son attention sur divers endroits, etc. En revanche, aucune de ces fonctions ne s'accompagnera d'une expérience consciente. Il n'y aura aucun ressenti phénoménal. Être un zombi ne fait aucun effet." (p.145-146 de la traduction française, Ithaque, 2010)
Or, il se trouve que l'idée du zombi - à défaut du mot - est présente très explicitement déjà dans un texte du Gai Savoir (1882-1887) de Nietzsche :
" Le problème de la conscience (ou plus exactement : de la conscience de soi) ne se présente à nous que lorsque nous commençons à comprendre en quelle mesure nous pourrions nous passer de la conscience : la physiologie et la zoologie nous placent maintenant au début de cette compréhension (il a donc fallu deux siècles pour rattraper la prémonitoire défiance de Leibniz). Car nous pourrions penser, sentir, vouloir, nous souvenir, nous pourrions également "agir" dans toutes les acceptions du mot, sans qu'il soit nécessaire que nous "ayons conscience" de tout cela(c'est moi qui souligne). La vie tout entière serait possible sans qu'elle se vît en quelque sorte dans une glace : comme d'ailleurs, maintenant encore, la plus grande partie de la vie s'écoule chez nous sans qu'il y ait une pareille réflexion -, et de même la partie pensante, sensitive et agissante de notre vie, quoiqu'un philosophe ancien puisse trouver quelque chose d'offensant dans cette idée. " ( V, 354 )
En toute rigueur, il y a une distinction à faire entre le zombi de Chalmers et celui de Nietzsche. Nietzsche envisage le zombi comme une possibilité naturelle (factuelle) ; Chalmers se contente de le voir comme une possibilité logique ( la description du zombi n'est pas contradictoire, incohérente) ; concernant la possibilité naturelle, il est en effet très sceptique (" il est improbable que ces zombis soient naturellement possibles. Dans le monde réel, il est probable que toutes mes répliques soient conscientes." - p.146 )

Commentaires

1. Le jeudi 19 mai 2011, 02:17 par sopadeajo
Et s´ils existaient, les zombies ?
On m´a dit que oui, mais je ne saurais les reconnaître. La question serait alors différente. Pourquoi ne l´aprrent-on à
l´école ? Pourquoi est-ce qu´on le cache ?
Pour quelle raison veut-on qu´il y ait des gens, comme moi, par exemple , qui ne l´ont pas su, et qui ne l´ont pas cru non plus, qui ont cru à une plaisanterie, quand on leur a dit qu´ils existaient. Pourquoi cacher ce fait ?
(Je ne prétends pas que vous ayez les réponses Philalèthe, et si j´en parle ce n´est que parce que vous en avez parlé, mais cela dépasse la philosophie, s´ils existent)
2. Le jeudi 19 mai 2011, 07:30 par Philalèthe
Si quelqu'un avait la croyance que tous les autres hommes ont été, sont et seront des zombis, il n'y aurait aucun moyen de la réfuter. Ce serait au sens que Popper a donné à ce terme une croyance non-falsifiable.
À partir de là, on comprend qu' Hollywood n'ait pas représenté les zombis, au sens que j'ai défini. Chalmers expose bien la distinction :
" Ce genre de zombi est tout à fait différent des zombis des films d' Hollywood qui ont tendance à avoir des infirmités fonctionnelles importantes (Chalmers veut dire que leur esprit ne fonctionne pas normalement). Ce dont les zombis hollywoodiens sont le plus manifestement dépourvus, c'est d'une version psychologique de la conscience : en général, ils ont une faible capacité d'introspection et n'ont pas une aptitude raffinée de contrôler leur comportement. Ils peuvent être ou non dépourvus de conscience phénoménale (Chalmers désigne ainsi le ressenti) ; comme Block l'indique, il est raisonnable de supposer que consommer leurs victimes leur fait un certain effet - gustatif. Appelons-les des zombis psychologiques ; je m'intéresse aux zombis phénoménaux, physiquement et fonctionnellement identiques (Chalmers veut dire identiques du point de vue des fonctions de l'esprit), mais dénués d'expérience (l'impopularité des zombis phénoménaux à Hollywood s'explique par les problèmes évidents que pose leur représentation)" (p.146).
Juste une ultime précision : mon billet ne s'inscrit pas dans le cadre d'une investigation cherchant à savoir si les zombis existent ou non. Car j'ai déjà la réponse.
3. Le jeudi 19 mai 2011, 15:45 par sopadeajo
"Car j'ai déjà la réponse."
Pourriez vous me la dire, cette réponse, Philalèthe et me dire comment vous le savez et me dire (m´expliquer) pourquoi je ne le sais pas (ou plutôt , je ne l´ai pas su, je ne le savais pas). Et aussi pourquoi et par qui , et par quelle raison et que peut-on faire?
4. Le jeudi 19 mai 2011, 19:16 par Philalethe
Je sais qu'il n'y a pas de zombis comme je sais que la Terre n'est pas apparue quelques minutes avant ma naissance.
5. Le jeudi 19 mai 2011, 19:58 par sopadeajo
Mais si vous savez Philalèthe que la Terre n´est pas née quelques minutes vant vous, c´est parce que l´on vous l´a dit, qu´on vous l´a appris à l´école. Comment pourriez vous en effet déduire vous tout seul, que la Terre est 4500 millions d´années plus vieille que vous? Comment savoir qu´elle a eu un début, qu´elle n´a pas existé éternellement ? Comment pourriez vous savoir sans l´avoir vue d´en haut, qu´elle était ronde ?
J´en déduis donc que vous me mentez sur les zombies, que quelqu´un a dû vous le dire. Vous n ´auriez pas pu le déduire vous même.
6. Le vendredi 20 mai 2011, 02:14 par sopadeajo
J´ai utilisé le mot mentir dans le sens de mensonge logique, pas moral, évidemment.Je dis cela parce que nous n´avons pas exactement le même type d´honneur chez nus au Sud que chez vous.
7. Le vendredi 20 mai 2011, 08:10 par Philalèthe
Voyons : personne ne m'a appris que les zombis n'existent pas - et on ne l'apprend nulle part dans l'enseignement - mais c'est une certitude qui va avec tout ce qu'on m'a appris. Ça va de soi et on n'a même pas à le dire. Si quelqu'un me dit qu'il croit dans leur existence, je ne pense pas qu'il manque d'instruction sur un point précis mais j'ai le sentiment qu'il ne vit pas dans le même monde que moi ; je ne vais sans doute pas entreprendre de le convaincre qu'il fait erreur car sachant qu'il croit dans l'existence réelle des zombis je me demande bien quelle prise je pourrais avoir sur lui pour le faire changer d'avis. Pour mieux comprendre le sens de mes remarques, lisez De la certitude de Wittgenstein.
8. Le vendredi 20 mai 2011, 17:04 par ¿'
Bonjour,
J'avoue ne jamais avoir compris ce que voulait dire Chalmers avec cette histoire de zombie. Pourquoi parlerions-nous de "zombies" puisque :
1. Nous ne pouvons en aucune façon (et par hypothèse) les distinguer des autres humains. Mais à ce compte, puis-je savoir moi-même si je suis un humain ou un zombie (au sens de Chalmers) ? À vrai dire, je ne vois vraiment pas quelle différence cela ferait si j'étais un zombie.
2. Quoi qu'il en soit, ce concept ne servirait à rien, puisque de toute façon les humains et les zombies sont par hypothèse indiscernables. On ne peut donc même pas "suspecter" quelqu'un d'être un zombie, puisque la définition même du zombie implique l'impossibilité d'un indice ou d'une preuve.
Conclusion : fin de l'histoire. Chalmers nous dit qu'il a distingué les zombies et les hommes mais en fait il n'a fourni aucun élément permettant de les distinguer. Il n'a donc tout simplement pas fait ce qu'il dit. Il n'y a de sens à dire que les zombies existent (ou n'existent pas) que si nous avons un moyen de les distinguer des non-zombies... Pour l'instant, le concept de "zombie" est exactement synonyme de "homme" :)
9. Le vendredi 20 mai 2011, 17:27 par sopadeajo
Et si eux, les zombies, indistinguables en général à première vue des hommes savaient qu´ils le sont et savaient en quoi ils sont différents (en très peu, mais il ya tout de même de la différence que l´on pourrait remarquer)?
10. Le vendredi 20 mai 2011, 17:39 par ¿'
De deux choses l'une :
— soit il n'y a vraiment aucun moyen de reconnaître un zombie, et dans ce cas le zombie lui-même ne le saurait pas non plus. (Comment saurais-je si je suis un zombie au sens de Chalmers ?)
— soit il y a une différence, même minime : par exemple, tous les zombies (et seulement eux) seraient capables d'entendre certaines fréquences sonores inaudibles pour les humains. Dans ce cas, il y a bien une différence objective, et on pourra dire que les zombies sont définis par cette capacité unique. Mais ce serait, justement, une différence objective, vérifiable par tous ; et je ne crois pas que ce soit ce que veut dire Chalmers.
11. Le vendredi 20 mai 2011, 18:07 par Philalethe
Je suis sûr de ne pas être un zombi puisque j'ai conscience de moi et d'un ressenti variable selon que je me brûle ou me mets en colère par exemple. Maintenant pour vous, ça ne ferait en effet aucune différence si j'étais un zombi et, si vous doutiez de ma normale humanité, vous n'auriez aucun moyen de savoir si j'en suis un.
Ceci dit, le concept de zombi n'est pas identique au concept d'homme puisque c'est le concept d' un homme doté d'une vie psychologique (vous diriez de lui qu'il réfléchit, juge etc) mais sans vécu correspondant, sans conscience de soi.
Quant au critère permettant de les distinguer, il ne manque pas à Chalmers pour une raison simple, c'est que dès le début il sait que le zombi est le produit d'une abstraction, abstraction cohérente mais abstraction quand même : on abstrait de l'homme réel sa capacité de sentir ce que cela fait de réfléchir, sentir, boire, etc.
Ajoutons que par définition le zombi ne peut pas savoir qu'il l'est puisque s'il savait qu'il l'est, il ne le serait pas. On ne peut pas être zombi et avoir conscience de soi comme... zombi.
Ça va de soi aussi que vous ne pouvez pas identifier le zombi par une propriété physique puisqu'il est par définition postulé comme identique organiquement et psychologiquement à l'homme. Il n'a juste pas de conscience de soi. En termes techniques, il n' pas de qualia.
12. Le vendredi 20 mai 2011, 19:27 par sopadeajo
Mais s´il n´a pas de conscience de soi, le zombie, n´arriverions nous pas à le remarquer en parlant avec lui ? Je veux dire: rira-t-il exactement, par exemple, des mêmes choses que nous , même s´il a appris à rire (ou à imiter) le rire ?
Mais la vrai question est aussi celle là.
Pourquoi ne l´explique-t-on pas dans les livres de teste à l´école, si le zombie existe ?
Et pourquoi existerait-il ? Et pourquoi l´aurait-on fait ?
Et à quoi servirait-il, quelle serait sa fonction, quelle serait la tâche que ceux qui l´ont fabriqué (ou bien est-ce une modification de quelque chose ?) lui ont octroyé ?
13. Le samedi 21 mai 2011, 00:13 par ¿'
Une petite question, alors : est-ce qu'un zombie pourrait dire "Je suis sûr de ne pas être un zombi puisque j'ai conscience de moi et d'un ressenti variable selon que je me brûle ou me mets en colère par exemple" ?
S'il ne peut pas (parce que ces mots ne font pas sens à ses yeux), alors nous tenons notre différence :D
Mais s'il peut, comment le peut-il ? Et serait-ce un mensonge ? (c.-à-d. le zombie pourrait-il dire : "j'ai dit cela, mais c'était un mensonge ?")
Je m'interroge aussi sur la raison pour laquelle Chalmers parle de ça. Pour Nietzsche, on voit bien : il s'agit de montrer que les "qualia", précisément, ne servent à rien et que leur absence ne changerait rien (d'où la conscience, gnagna). Mais pour Chalmers, dans quel contexte s'inscrit ce passage ? Que veut-il dire ? Parce qu'au fond, c'est surtout ça la question : à quoi bon un concept qui ne sert à rien ? (indice : la réponse est peut-être contenue dans la question)
14. Le samedi 21 mai 2011, 08:53 par Philalèthe
Pour comprendre le projet d'ensemble dans lequel s'insèrent ces lignes de Chalmers, voyez la recension qu'a faite François Loth sur son blog.
Sinon pourquoi donc un zombi ne pourrait pas dire ce que vous lui faites dire ? Il peut dire n'importe quoi, qu'il est un zombi, qu'il ne l'est pas, qu'il l'est de temps en temps etc. Simplement ces paroles ne sont pas accompagnées d'un ressenti. Il ne peut rien se dire, c'est tout.
15. Le samedi 21 mai 2011, 10:12 par Ariane
bonjour !
j’ai l’impression qu’on pourrait donner une autre interprétation du texte de Nietzsche. La pensée animale fonctionne sans conscience de soi. L’animal sent sans en avoir conscience, désire sans en avoir conscience, et agit sans en avoir conscience. La référence à Leibniz pourrait montrer que Nietzsche envisage des phénomènes du type de la perception, ou plus globalement de l’intentionnalité. Le texte de Chalmers, en niant la conscience, paraît nier toute intentionnalité. J’aurais beaucoup de réticence à attribuer une conscience de soi aux chauves-souris, mais il me paraît facile de leur reconnaître la perception et le désir. Aussi me paraît-il possible d’imaginer pour une chauve-souris donnée sa sœur jumelle zombie. La fiction du zombie pourrait alors se retourner aussi bien contre la conscience de soi, que contre toute forme d’intentionnalité.
Bien entendu, soutenir que ma jumelle zombie se débrouillerait aussi bien que moi dans la vie quotidienne revient à supposer que le traitement de l’information rendu possible par la conscience que j’ai de moi-même est absolument inutile, ce qui discutable (voire vexant si ça signifie que je devrais me servir davantage de ma tête).
16. Le dimanche 22 mai 2011, 12:07 par Philalèthe
@ Ariane
Sentir, désirer, agir etc. sans en avoir conscience, c'est précisément être un zombi au sens où ce dernier a des propriétés psychologiques - dont on rend compte en termes fonctionnels : ce qui les stimule et les effets observables attribués à leur fonctionnement - mais n'a pas de propriétés phénoménales. Donc le zombi perçoit et désire entre autres, ce qui revient à nier et la conscience de soi et l'intentionnalité. Sur ce dernier point, ce passage de Chalmers met bien en relief en quel sens restreint il garde "les attitudes propositionnelles" :
" En tout cas, je ne tenterai pas ici d'examiner ces problèmes difficiles sur le rapport entre l'intentionnalité  et la conscience. Remarquons, simplement, qu'il y a un concept de croyance déflationniste, purement psychologique et qui n'implique pas l'expérience consciente ; si un être se trouve sans l'état psychologique idoine, alors il se trouve dans un état qui ressemble vraiment à la croyance à maints égards, à l'exception des aspects phénoménaux. Et il y a un concept de croyance inflationniste, selon lequel l'expérience consciente est requise pour permettre de croire véritablement, et même, peut-être, selon lequel une espèce particulière d'expérience consciente est requise pour permettre de croire véritablement une proposition particulière. Lequel est le "véritable" concept de croyance importe peu pour mes objectifs." (p.43)
À première vue, vous partagez la conception inflationniste. Dans cette perspective, on ne peut pas attribuer au zombi de croyances.
17. Le lundi 23 mai 2011, 01:15 par sopadeajo
Je ne sais toujours pas si les zombies existent ou pas et quand ils furent crées. Mais s´ils existent je crois qu´ils sont utilisés à des finalités illégales et illégitimes genre la guerre sournoise au Nord de l´Afrique, Lybie Egypte, Syrie, ... ou encore les mouvements illégaux et antidémocratiques, quoiqu´ils apparentent le contraire en Espagne à Sol et autres qu´il faut absolument arrêter tout de suite et à jamais parce que c´est du fascisme, c´est illégal. et c´est mauvais et méchant et sournoisement mais totalement antidémocratique.
18. Le mercredi 25 mai 2011, 11:21 par luestan
Le mythe du Zombi soulève deux questions:
1) Existe-t-il des états de conscience sans des manifestations physiques, comportementales, appropriées? Il me semble qu'à cette question on peut répondre non, avec assez de certitude.
2) Ces manifestations physiques, comportementales, peuvent-elles se concevoir ou se produire dans leur intégralité sans l'état de conscience correspondant? Croire à la possibilité, théorique (elles peuvent se concevoir) ou naturelle (elles peuvent se produire), du Zombi, suppose qu'on répond oui. Dans les deux cas, c'est admettre qu'un "état de conscience" ne répond pas à une définition physique. C'est du dualisme à la Descartes.
Finalement, les deux Zombis, celui de Chalmers et celui de Nietzsche, me paraissent incohérents. De fait, le comportement quotidien des humains implique qu'il ne croient pas aux Zombis, même s'ils sont capables de s'échauffer l'esprit sur ce mythe.
19. Le mercredi 25 mai 2011, 14:09 par Philalèthe
@ luestan
Non, Chalmers soutient un dualisme, certes, mais qui n'est pas cartésien ; je vous renvoie sur ce point au texte de François Loth sur son blog :
20. Le jeudi 26 mai 2011, 10:22 par Luestan
Et s'il était cartésien à l'insu de son plein gré? Le fonctionnalisme serait un avatar de l'âme. Sauf que lui, Chalmers, serait incohérent...
Je cite votre propre commentaire au texte de François Loth, à l'appui de l'idée que le concept de Zombi est incohérent:
"Concevoir un monde matériellement identique au nôtre, n’est-ce pas y inclure aussi les écrits, et donc parmi les écrits, ceux portant sur l’esprit ? Dans ces conditions, comment ne pas voir de contradiction entre les zombies et leurs livres qui parlent de leur esprit ?"
Question naïve: s'il paraît possible de concevoir deux organismes différents ayant même fonction(nement)—et encore!— est-il possible de concevoir deux organismes parfaitement identiques, mais fonctionnant différemment?
21. Le jeudi 26 mai 2011, 17:11 par Philalèthe
C'est sur le blog de François Loth qu'il faut poser ces questions !
Oui, j'ai posé cette question mais je crois qu'il faudrait distinguer parmi les livres ceux qui parlent de l'esprit entendu en un sens fonctionnel et ceux qui parlent des qualia. Dans les deux cas, est-ce contradictoire de rendre compte de l'écriture de ces deux types de livres sans attribuer aux auteurs une intériorité ? Je crois que non. Un esprit qui ne ressent rien peut produire des textes sur le ressenti. Ça ne paraît pas contradictoire : par exemple, il répète ce qu'il a compris (et on peut rendre compte de comprendre en termes fonctionnalistes). Tout cela écrit avec moult prudence. Interrogez donc les experts en la question.
22. Le vendredi 27 mai 2011, 10:00 par Luestan
En fait d'experts, je tire mes faibles connaissances d'un site canadien que je trouve absolument remarquable: LE CERVEAU A TOUS LES NIVEAUX.
Il m'a fait penser que s'il n'y a pas de Zombi humain à 100%, en fait nous sommes tous des Zombis partiels, car notre comportement est (le plus) souvent inconscient. Les experts en sont même venus à inventer des expériences (pas seulement de pensée) pour mettre en lumière "les corrélats neuronaux de la conscience", la petite différence neuronale qui distingue le même acte selon qu'il est conscient ou inconscient (il y aurait même, paraît-il, trois niveaux).
23. Le vendredi 27 mai 2011, 12:05 par Philalèthe
Merci d'avoir indiqué ce site.
Oui, vous avez raison concernant l'inconscience relativement à beaucoup de nos conduites. C'est précisément un point que Leibniz avait clairement souligné. Maintenant concernant l'emploi du concept de zombi partiel, il y a à redire car par définition est zombi un être privé de toute conscience de soi (donc on est dans une logique du tout ou rien, pas de la graduation). Mais c'est un détail, j'en conviens !
24. Le samedi 28 mai 2011, 11:22 par Luestan
Vous avez raison. Mon expression de Zombi partiel est contradictoire. Je n'en ai usé que pour faire ressortir l'impossibilité logique de la notion de Zombi humain telle que Chalmers en use. Un Zombi ne pourrait pas avoir un comportement totalement identique au nôtre, puisque dans notre comportement, il y a ce qui est inné (ça, le Zombi le peut), ce qui est appris (cela peut devenir inconscient, mais pour apprendre il faut un minimum de conscience, comment le Zombi pourrait-il l'avoir appris?), et ce que nous apprenons grâce à la conscience. Un Zombi humain serait un ci-devant homme qui n'aurait plus de mémoire explicite, seulement une mémoire implicite (issue du temps où il était un homme) et n'apprendrait pas. Ce n'est malheureusement pas inimaginable mais cela se voit nécessairement dans son comportement. C'était d'ailleurs en ce sens que vous aviez répondu à François Loth, mais vous êtes revenu sur votre argument. Quand vous dites "Il (un tel esprit Zombi) répète ce qu'il a compris", je pense que vous mettez le doigt sur notre différence. Nous ne nous contentons pas de répéter ce que nous avons compris.
25. Le samedi 28 mai 2011, 12:17 par Philalèthe
Si, un zombi au sens d'être privé de l'effet que cela fait d'avoir un esprit est extérieurement totalement identique à nous extérieurement. Donc il apprend, se rappelle etc. En effet apprendre peut être défini en termes fonctionnels (comme l'écrit Chalmers, "pour un organisme, apprendre signifie en gros que ses capacités comportementales s'adaptent pour répondre aux stimulations environnementales"). Ce qui manquera au zombi, ce sera seulement les aspects phénoménaux de l'apprentissage (l'effet que cela fait d'apprendre). Pour la conscience, il faut faire la même distinction : le zombi perçoit (Chalmers utilise le concept d'aperception à ce niveau) mais il n'a pas de ressenti relativement à cette perception. Pareil pour la mémoire. On peut dire aussi du zombi qu'il comprend vraiment si on donne de la compréhension une définition en termes fonctionnels (la compréhension comme fonction qui transforme certains stimuli en certains résultats)
26. Le dimanche 29 mai 2011, 16:11 par Luestan
J'avoue que j'ai de la peine à suivre.
Apprendre ou comprendre "en termes fonctionnels" me semblent être apprendre ou comprendre comme apprendrait ou comprendrait ce qu'on appelle une machine intelligente. Mais il me semble que souvent notre comportement échappe à ce que serait une simple "adaptation aux stimulations environnementales". Un zombi pourrait-il être parfois dépressif, parfois suicidaire, parfois exubérant, excessif, parfois être inventif...? Pourrait-il avoir un sale caractère?
Je reviens d'autre part à mon soupçon de dualisme. Vous dites en effet : "un zombi au sens d'être privé de l'effet que cela fait d'avoir un esprit est extérieurement totalement identique à nous".
Si nous pouvons être privé de quelque chose en restant extérieurement totalement identique ce que nous sommes avec ce quelque chose, c'est que ce quelque chose est tout intérieur, est indépendant de l'extérieur. Ce n'est pas seulement la face intérieure d'une chose ayant aussi une face extérieure. C'est autre chose...
27. Le dimanche 29 mai 2011, 16:24 par Philalèthe
La zombi peut avoir toutes les propriétés que vous doutez de lui attribuer tant qu'on peut identifier ces propriétés à des conduites observables produites par des causes observables et produisant des effets observables. Il y aura donc des zombis à sale caractère (je crois que la base de votre difficulté à suivre comme vous dites est que vous ne distinguez pas la conception psychologique de l'esprit de la conception phénoménale de l'esprit).
Ce quelque chose dont est privé le zombi est en effet tout intérieur ; ce n'est pas en effet seulement la face intérieure d'une chose ayant aussi une face extérieure puisque dans ce dernier cas la face intérieure peut toujours en fait être présentée à ce qui est extérieur à cette chose. C'est autre chose qui peut en effet être compris dans le cadre du dualisme : c'est d'ailleurs la position de Chalmers qui refuse d'identifier la conscience phénoménale à quelque chose de matériel et qui pour cette raison défend une position bel et bien dualiste.
28. Le mardi 31 mai 2011, 18:14 par Luestan
"Le zombi peut avoir toutes les propriétés que vous doutez de lui attribuer tant qu'on peut identifier ces propriétés à des conduites observables produites par des causes observables".
Il me semble justement qu'avoir un sale caractère, c'est avoir souvent une conduite désagréable sans cause observable. Un état de conscience, en corrélation avec une activité neuronale spécifique, n'a pas besoin d'un stimulus extérieur pour apparaître. Inversement, la présence d'un stimulus (un bon repas) ne déclenche pas nécessairement l'état de conscience qui lui habituellement associé (sentiment de plaisir gustatif). On peut en effet penser à autre chose).
"vous ne distinguez pas la conception psychologique de l'esprit de la conception phénoménale de l'esprit".
Je crois que je distingue ces deux conceptions, mais ce sont pour moi deux façons de concevoir le même événement-objet qu'on appelle esprit. Comme le côté pile et le côté face d'une pièce de monnaie.
"ce n'est pas en effet seulement la face intérieure d'une chose ayant aussi une face extérieure puisque dans ce dernier cas la face intérieure peut toujours en fait être présentée à ce qui est extérieur à cette chose".
Je ne vois pas comment on peut voir correctement l'intérieur d'une chose quand on est à l'extérieur. Même si la chose en question est transparente au regard extérieur, l'angle de vue fausse nécessairement l'observation.
Cordialement.
29. Le mardi 31 mai 2011, 20:19 par Philalèthe
Je continue de penser que François Loth, entre autres, est bien plus savant que moi pour répondre à vos interrogations. Cette réserve indispensable une fois faite, voici quelques remarques.
"Il me semble justement qu'avoir un sale caractère, c'est avoir souvent une conduite désagréable sans cause observable. Un état de conscience, en corrélation avec une activité neuronale spécifique, n'a pas besoin d'un stimulus extérieur pour apparaître. Inversement, la présence d'un stimulus (un bon repas) ne déclenche pas nécessairement l'état de conscience qui lui habituellement associé (sentiment de plaisir gustatif). On peut en effet penser à autre chose) "
Observable ne veut pas dire observable à première vue. Une conduite physique a nécessairement des causes physiques.
Concernant l'état de conscience, Chalmers défend qu'il dépend de causes neuronales sans être réductible à lui. C'est au niveau de ces causes neuronales qu'on fait référence à une causalité physique (= matérielle). Concernant le bon repas, sauf à penser qu'il est pris par un zombi, il est nécessairement accompagné d'une conscience phénoménale même si en effet l'effet que ça fait peut être celui que ça fait de causer avec un ami, de rêvasser etc.
"Je crois que je distingue ces deux conceptions, mais ce sont pour moi deux façons de concevoir le même événement-objet qu'on appelle esprit. Comme le côté pile et le côté face d'une pièce de monnaie.
Votre comparaison est intéressante mais discutable car une pièce de monnaie avec seulement un côté logique est inconcevable ; or, la thèse centrale de Chalmers est qu' un être avec seulement un esprit psychologique, précisément un zombi, et sans ressenti, est logiquement concevable (même s'il juge que c'est naturellement impossible, à la différence précisément de Nietzsche dans le texte cité).
30. Le mercredi 1 juin 2011, 12:08 par Luestan
Ne tournons-nous pas, depuis pas mal de temps, autour du problème de la liberté? Si vous le permettez je vous propose le petit raisonnement suivant.
L'être humain a le sentiment d'être libre. C'est une conscience de liberté, que le Zombi n'a pas, puisque par définition, il n'a pas de conscience du tout.
Avoir une conscience de liberté n'implique pas nécessairement qu'on est objectivement libre. Mais comment pourrait-on être objectivement libre (liberté de choix) sans avoir une conscience de liberté?
Donc le Zombi, n'ayant pas une conscience de liberté, n'est pas non plus objectivement libre (de plus, dans l'enchaînement des causes physiques, il ne peut être cause initiale, il est entièrement conditionné).
Un comportement qui laisse place à la liberté n'est pas identique à un comportement entièrement conditionné.
Si le comportement du Zombi ne peut pas être distingué de celui de l'être humain, ne faut-il pas que l'être humain aussi ne soit pas objectivement libre, en contradiction avec sa conscience de liberté?
N'est-ce pas pas là le fonds de mon débat avec la thèse de Chalmers, dont vous avez bien voulu vous faire le porte-parole?
Cordialement
31. Le mercredi 1 juin 2011, 12:27 par Philalèthe
Oui, on peut en effet penser que ni mon jumeau zombi ni moi ne sommes libres, au sens où libre signifie disposer d'un libre-arbitre de type cartésien, c'est-à-dire faire des choix non déterminés par les états antérieurs de l'agent.
Mais votre avant-dernière question peut tranquillement recevoir une réponse positive puisque vous accordez plus haut que la conscience du libre-arbitre n'implique pas nécessairement le libre-arbitre.
Donc mon jumeau zombi : pas de conscience phénoménale, pas de libre-arbitre
Moi : une conscience phénoménale, pas de libre-arbitre.
Ce qui ne veut pas dire que je ne sois pas libre en un autre sens (par exemple est libre un agent en mesure de se maîtriser). À ce niveau, on pourrait dire que mon jumeau zombi est libre aussi, sauf que ça ne lui fait aucun effet d'être libre.
32. Le vendredi 3 juin 2011, 02:42 par Anthony LC
C'est marrant de voir que votre blog produise autant de réaction et d'individu réactif. Là où vous pêchez c'est que vous ne dîtes pas que l'"accompagnement" de la conversion des idées (autre nom pour la conscience) fut inventé par Plotin et que la conscience est tout au plus un outil de communication et par les phénomènes qu'elle génère, une génératrice d'illusions. Ce sont toujours les décadents qui se crispent dessus.
33. Le vendredi 3 juin 2011, 02:45 par Anthony LC
En grec : l'accompagnement de la procession des idées, de leurs « chute dans les corps », est parakoloumeta. Etrange pour un blog qui se dit s'appuyer sur des philosophes antiques alors que j'y vois avant tout une lecture moderne et quelque peu décevante.
34. Le vendredi 3 juin 2011, 08:49 par Philalèthe
@ Anthony LC
Merci de votre intervention mais je doute qu'on puisse définir la fonction de la conscience en deux lignes. En plus si vous identifiez la conscience à une génératrice d'illusions, comment pouvez-vous avoir conscience qu'elle est génératrice d'illusions ? Votre position paraît auto-réfutante.
Quant à "décadent", je ne crois pas qu'il ait un sens bien déterminé en philosophie. Pour moi, le mot ne veut rien dire, c'est une dépréciation confuse qui suggère l'idée bien douteuse d'un sens de la philosophie.
Quant à vos connaissances sur Plotin, elles sont certes intéressantes mais le système plotinien n'est d'aucun recours en philosophie de l'esprit aujourd'hui.
Quant aux philosophes antiques, je ne les ai jamais pris comme indépassables. Quand je lis Sénèque ou médite sur les cyniques, ce n'est pas pour y trouver des vérités primordiales, mais pour reconstruire minutieusement leur position et ainsi la donner à juger.
35. Le samedi 11 juin 2011, 19:11 par TerrePsyCorps
Bonjour,
Après la lecture de l'article et de vos commentaires, quelques questions me viennent à l'esprit. Je ne pense pas avoir bien saisi certaines notions, ou pour le moins l'articulation que vous en faite.
En effet, pourriez-vous justement nous éclairer sur la façon dont on conçoit ou créer un "zombi"? y'a t il plusieurs façons ? les pratiques de "sorcellerie" peuvent elle y contribuer ?
Et de quelle manière pouvons nous procéder au processus inverse, c'est-à-dire, donner, redonner, recréer ou ré-activer (si on le lui a enlever, par exemple par annihilation de l'EGO) la "conscience de soi" qui fait défaut au zombi psychologique?
Une étudiante en psychologie.
36. Le samedi 11 juin 2011, 19:31 par Philalèthe
D' abord votre pseudo est bien joli !
Ensuite :
1) le zombi est un produit de l'esprit : c'est vous sans votre vie intérieure, votre ressenti, vos qualia, comme on dit. On peut dire que le zombi est une abstraction en somme (on abstrait de l'homme réel tout le côté psychologique vécu).
2) il n'est donc pas question de créer des zombis. Avec ou sans sorcellerie.
3) il n'est pas non plus question de dézombifier, si vous me permettez l'expression, le zombi comme on pourrait redonner conscience à un malade en coma végétatif chronique.
Le problème de Chalmers est le suivant : pourrait-il y avoir un monde possible où des êtres auraient toutes les fonctions psychologiques que nous avons sans faire l'expérience de l'intériorité ? Il soutient que c'est logiquement possible, ce qui ne le conduit pas à soutenir qu'il existe réellement des zombis quelque part.
Le point important est le suivant : distinguer le zombi - concept philosophique du zombi - personnage hollywoodien. Pour être encore plus clair, les zombis chalmériens ne sont pas intéressants au ciné pour la raison que rien ne montre à l'extérieur qu'ils sont privés d'intériorité.
37. Le jeudi 16 juin 2011, 13:51 par sopadeajo
"1) le zombi est un produit de l'esprit "
Tout au long de cette petite "charla", je n´ai jamais pensé aux zombies sous une autre forme que celle de personnes physiquement identiques à nous, pas du tout à la manière de ces idiots (très futés en questions d´argent) sensatioannalistes de Hollywood. Physiquement identiques à nous, mais je ne sais pas s´ils savent qu´ils sont différents, qu´ils sont des des zombies. Je répête qu´on m´a dit très sérieusement (je le crois maintenant; avant cela me dépassait, et j´aime le rationnalisme pourtant) qu´ils existaient: "des morts (sans conscience?) qui ne savent pas qu´ils sont morts, mais qui vivent et qui nous ressemblent en tout ou en presque tout. En quoi pourrions nous les reconnaître? Pourrions nous les reconnaître en parlant avec eux, en leur posant des questions; mais souvenons nous que le mathématicien et logicien Turing avait traité el problème de reconnaître un être artificiel pouvant parler -un ordinateur- et avait conclu qu´il pourrait être impossible de reconnaître , en lui posant des questions, un ordinateur d´un homme ?
Mais votre affirmation, Philalèthe, sans aucune preuve, que les zombies n´existent pas, équivaut à dire, sans aucune preuve non plus, que les zombies existent. Moi je crois que c´est Eluard qui a raison quand il disait qu´il ya d´autres mondes , mais qu´ils sont dans celui-ci.
Le problème alors serait ainsi: ceux qui sont bien informés et savent qu´il ya d´autres mondes (d´autres hommes, entre autres) dans celui ci et la forme qu´ils ont; ont l´ énorme avantage de savoir (mais aussi d´action, si ces autres mondes et/ou hommes ont été creés, dans le but (fort probable) d´agir pour quelque chose, dans un certain but (que je méconnais)) ce que d´autres ne savent pas et de pouvoir d´action (action provoquée par ceux qui les contrôlent).
Reste que le problème est grand puisque nous ne pouvons (pouvons nous?) concevoir leur existence par des moyens logiques, au moyen des mots, avec la logique, la physique, les maths, la philosophie et en cela, s´ils existaient ces autres mondes, le monde de la magie (qui peut être rationnel, s´approcher de nous, serait plus réel et plus vrai (plus complet) que le monde strictement rationnel qui affirmerait que si l´on ne voit point de différence entre un zombie et nous, c´est que les zombies n´existent pas. Mais justement les zombies auraient été faits pour ne pas être distingués: le rationnel s´impose donc une limitation: ne pas reconnaître les mondes parallèles s´ils ne sont pas reconnaissables et s´imposerait donc, si d´autres mondes existent parmi nous, une réalité fausse et partielle sans posibilité de la connaìtre et même presque sans la possibilité d´en parler. Un vrai apartheid d´excès rationnaliste incapable de pénétrer les autres mondes dans celui-ci.
38. Le jeudi 16 juin 2011, 14:13 par sopadeajo
La situation est grave en fait parce que si d´autres mondes existent dans celui-ci, il suffit de placer des gens comme moi, qui ne savent absolument rien de tout cela, qui n´arrivent qu ´à le déduire de manière très partielle; dans le mauvais endroit (où il n´auraient pas du être placés, spatiallement et temporellement) pour pouvoir ensuite les accuser injustement d´avoir fait des choses qu´il n´ont jamais fait, pour les culpabiliser alors qu´ils sont innocents. C´est, pour les vainqueurs, avoir placé dans ce monde où nous vivons, suffisamment d´incertitudes et de limitations des connaissances des divers groupes à connaissance et à régulation; pour que ceux qui ne savent rien de tout cela, ne puissent se défendre, s´ils sont de plus spirituellement mal en point et soient déclarés coupables de ce qu´ils n´ont point fait, soient déclarés avoir dit ce qu´ils n´ont point dit; soient déclarés avoir rallié ce qu´ils n´ont point jamais rallié.
39. Le vendredi 17 juin 2011, 16:32 par Philalèthe
Désolé, Sopadejo, je ne suis d'aucun recours pour qui prend au sérieux la question de l'existence des zombis. En revanche je suis preneur si vous connaissez un texte de Borges sur eux.
40. Le vendredi 17 juin 2011, 19:55 par sopadeajo
Borges, comme vous même, n´a peut être pas eu la liberté (permission) d´en parler à moins qu´il n ´ait pas voulu le faire de sa propre volonté (je n´en connais pas de lui, de poème sur le thème des zombies. Il se peut qu´il en ait parlé dans certains de ses récits, mais comme d´habitude chez lui très courtement et métaphoriquement, d´une manière peu identifiable). Merci pour la traduction de Ibarra qui est excessivement ornementée et donc contraire à l´esprit même de l´écriture courte et concise et peu fleurie borgésienne, que cela soit en prose ou en poésie.
41. Le samedi 18 juin 2011, 03:16 par sopadeajo
Mais je ne prends aucune position pour
l´instant dans la guerre kodama Bergès qui me paraît être une guerre d´un tout autre niveau que littéraire, sans en savoir plus ni les avoir rencontré.

mardi 17 mai 2011

Les hommes politiques sont-ils désormais excessivement décrits ? ou Des conditions d'accès à la quatrième dimension.

Dans Lettrines (Corti, 1967), Julien Gracq écrit :
Renan : en lisant les pages (sans doute aux yeux de la science d'aujourd'hui très fragiles et très incomplètes) qu'il consacre à la critique des Évangiles, on songe malgré soi au tri génial, à la sûreté infaillible dans la distribution des ombres et des lumières, au chef d'oeuvre de clair-obscur dont nous sommes redevables à un demi-siècle de tradition orale. La figure ailée, parfaite, on dirait qu'une loi non écrite la condamne à ne jaillir du cocon qui l'a incubée que lorsque tous ses traits matériels s'y sont consommés jusqu'au dernier : en ce sens le Christ réalise intégralement dans sa légende le " Meurs et deviens " de Goethe : l'érosion de ce qui mérite pleinement ici d'être appelé son enveloppe mortelle est totale : pas un mot chez les évangélistes sur sa taille, sa voix, la couleur de ses cheveux. À une époque où on écrivait et dessinait beaucoup plus, Jeanne d' Arc échappe aussi très étrangement au piège du portrait et même de la plus vague description - mais son siècle était le dernier où pareille chose fût possible : Gutenberg était né, et les temps finissaient pour jamais peut-être où la figure humaine avait chance d'aborder à sa quatrième dimension."
Ce billet est écrit dans l'esprit d'un précédent.

mercredi 11 mai 2011

À peu près au même moment, Freud, Musil et Russell tirent sur la philosophie et ses systèmes.

Freud dans une lettre du 22 Avril 1928 :
" Vous n'imaginez probablement pas combien me sont étrangères toutes ces cogitations philosophiques. La seule satisfaction que j'en tire est de savoir que je ne participe pas à ce lamentable gâchis de pouvoirs intellectuels. Les philosophes croient sans doute qu'ils contribuent par de telles études au développement de la pensée humaine, mais il y a un problème psychologique ou même psychopathologique derrière chacune d'entre elles."
Plus modéré, en 1932, dans les Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse :
" La philosophie n'est pas contraire à la science, elle se comporte elle-même comme une science, travaille en partie avec les mêmes méthodes, mais elle s'en éloigne dans la mesure où elle s'accroche à l'illusion de pouvoir livrer une image du monde cohérente et sans lacune, qui doit pourtant s'écrouler à chaque nouveau progrès de notre savoir."
Musil en 1930 dans L'homme sans qualités (mais ce texte est bien connu) :
" Les philosophes sont des violents qui, faute d'une armée à leur disposition, se soumettent le monde en l'enfermant dans un système."
Enfin Russell dans La conquête du bonheur (1930) :
" L'enfant qui, pour une raison ou pour une autre, est privé de l'affection de ses parents, va certainement devenir timide et timoré, prêt à s'effrayer de toutes choses et à s'apitoyer sur son sort et il ne pourra plus affronter le monde avec un esprit joyeux et aventureux. Cet enfant se mettra, extrêmement jeune, à méditer sur la vie, la mort et la destinée humaines. Il devient un introverti et, ayant commencé par être mélancolique, il finit par rechercher les consolations irréelles de quelque système de philosophie ou de théologie. Le monde est une véritable pagaille où des choses plaisantes et déplaisantes se succèdent en désordre. Et le désir d'en faire un système ou un dessin intelligible n'est, au fond, qu'un résultat de la peur, n'est en réalité qu'une sorte d'agoraphobie ou peur des espaces découverts. L'étudiant timide se sent en sécurité entre les quatre murs de son cabinet de travail. S'il peut arriver à se persuader que l'univers est ordonné, d'une façon analogue il se sentira tout aussi protégé en s'aventurant dans les rues. Un tel homme, s'il avait reçu plus d'affection, craindrait moins le monde réel et ne devrait pas se forger un monde idéal qui prendrait sa place parmi ses croyances." (p.163-164)

mardi 10 mai 2011

La machine à saucisses, métaphore de l'homme !

" Il y avait une fois deux machines à saucisses élégamment construites pour transformer le porc en délicieuses saucisses. La première de ces deux machines conserva son enthousiasme pour les porcs et produisit d'innombrables saucisses ; l'autre se dit : " Quel intérêt le porc peut-il présenter pour moi ? Mon propre mécanisme est bien plus intéressant et bien plus merveilleux que n'importe quel porc." Elle refusa le porc et se mit à étudier son mécanisme intérieur. Ceclui-ci, privé de sa nourriture naturelle, cessa de fonctionner et plus elle l'étudiait, plus il lui semblait vide et stupide. Tout cet appareil raffiné qui avait servi à produire les délicieuses saucisses était arrêté et elle était bien en peine de deviner à quoi il aurait bien pu servir. La seconde machine à saucisses ressemble à l'homme qui a perdu toute joie dans la vie, alors que la première ressemble à l'homme qui l'a gardée." (Russel La conquête du bonheur 1930, p.147-148, Petite Bibliothèque Payot)

mardi 3 mai 2011

Socrate frontiste !

Dans Libération du 3 Mai 2011, on peut lire l'article suivant :
''L’avocat Gilbert Collard compare les élus FN à Socrate
Officiellement toujours membre du Parti radical valoisien, l’avocat Gilbert Collard se montre de plus en plus sensible aux arguments de Marine Le Pen. La veille du 1er Mai, il participait à une réunion de l’Institut de formation des élus frontistes. Devant ce parterre, il a planché sur «l’actualité du procès de Socrate». Sans se prononcer sur qui devrait boire la coupe de ciguë. Après avoir défendu le syndicaliste CGT et candidat aux cantonales, Fabien Engelmann, Me Collard avait déclaré que le FN «était un parti légal et républicain».''

samedi 30 avril 2011

En lointain écho à des débats contemporains, la position de Russell par rapport à une pédagogie de la simplification.

Dans Le behaviourisme et ses valeurs (Behaviourism and values) dans les Essais sceptiques (1928), Russell cite un texte tiré de The child : his nature ans his needs (L'enfant : sa nature et ses besoins) d'un certain M.V.O'Spea, professeur de pédagogie à l'université de Wisconsin. Le voici :
" Il y a vingt-cinq ans, les élèves apprenaient à orthographier de dix à quinze mille mots ; mais, des investigations conduites durant les deux dernières décennies, il résulte que le diplômé ordinaire d'une école supérieure n'a pas besoin dans son travail d'école, et n'aura besoin plus tard dans sa vie, que de l'orthographe de trois mille mots tout au plus, à moins qu'il n'entreprenne des études techniques spéciales qui l'obligeraient d'apprendre un vocabulaire technique spécial. L' Américain typique, dans sa correspondance et dans ce qu'il écrit pour le journal, emploie rarement plus de quinze cents mots différents ; beaucoup d'entre nous n'emploient jamais plus de la moitié de ce nombre. S'inspirant de ces faits, les cours d'orthographe en usage dans les écoles modernes sont basés sur ce principe qu'il faut arriver à connaître si bien les mots qu'on emploiera réellement dans la vie quotidienne qu'on puisse les orthographier automatiquement ; quant aux mots techniques et rares qu'on apprenait autrefois et qui probablement ne seront jamais employés, on les élimine. Les cours d'orthographe modernes ne conservent pas un seul des mots qui semblaient utiles simplement à développer la mémoire" (p.105 Les Belles Lettres 2011)
Et voici la mise au point de Russell, qu'on peut lire un peu plus loin :
" Ceux qui ne savent que mille cinq cents mots seront incapables de s'exprimer avec précision ou beauté, sauf s'il s'agit de sujets très communs ou par une chance très rare. Environ la moitié de la population américaine d'aujourd'hui dépense autant de temps pour son éducation que Shakespeare, mais son vocabulaire est à peine le dixième de celui de Shakespeare: Pourtant le sien devait être intelligible pour un citoyen moyen de son époque, puisqu'il l'a employé dans des pièces qui devaient avoir un succès commercial. Nos contemporains croient qu'un homme maîtrise suffisamment sa langue s'il peut se faire comprendre ; nos aïeux pensaient qu'il devait être capable de donner du plaisir esthétique par son langage parlé et écrit " (p.107)

vendredi 29 avril 2011

Deux versions du point de vue de Sirius.

En 1873, dans les premières lignes de Vérité et mensonge au sens extra-moral, Nietzsche rabaisse en bien peu de mots la vanité humaine :
" Au détour de quelque coin de l'univers inondé des feux d'innombrables systèmes solaires, il y eut un jour une planète sur laquelle des animaux intelligents inventèrent la connaissance. Ce fut la minute la plus orgueilleuse et la plus mensongère de l' "histoire universelle", mais ce ne fut cependant qu'une minute. Après quelques soupirs de la nature, la planète se congela et les animaux intelligents n'eurent plus qu'à mourir " (Écrits posthumes 1870-1873 p. 277 Gallimard )
En 1928, Russel, dans les Essais sceptiques, a besoin, lui, de plus de mots mais humilie aussi davantage, je crois :
" Dans le monde visible, la Voie Lactée n'est qu'un petit fragment ; à l'intérieur de ce fragment, le système solaire n'est qu'une poussière infiniment petite, et notre planète n'est qu'une parcelle microscopique de cette poussière. Sur cette parcelle de minuscules masses de carbone impur et d' eau, d'une structure compliquée, possédant des propriétés physiques et chimiques peu communes, rampent pendant quelques années pour se dissoudre enfin de nouveau dans les éléments dont ils sont composés. Ils partagent leur temps entre le travail nécessaire pour remettre au plus tard le moment de leur propre dissolution et des luttes furieuses pour avancer celui des autres espèces. Des convulsions de la nature en détruisent périodiquement quelques milliers ou millions, et des maladies en balayent prématurément encore davantage. Ces événements sont considérés comme des malheurs ; mais, quand les hommes réussissent à accomplir des destructions analogues par leurs propres efforts, ils s'en réjouissent et rendent grâce à Dieu. Dans la vie du système solaire, la période durant laquelle l'existence de l'homme aura été physiquement possible n'est qu'une toute petite partie de tout ; mais il y a des raisons d'espérer qu'avant la fin même de cette période les hommes auront mis un terme à leur propre existence par leurs efforts dirigés pour s'annihiler mutuellement. Telle est la vie de l'homme vue du dehors " ( Rêves et faits p. 38-39 Les Belles Lettres)

jeudi 28 avril 2011

Du philosophe et du politique, qui est le fou ?

1) Le politique !
Pascal :
" On ne s'imagine Platon et Aristote qu'avec de grandes robes de pédants. C'étaient des gens honnêtes et comme les autres, riant avec leurs amis. Et quand ils se sont divertis à faire leurs lois et leurs politiques, ils l'ont fait en se jouant. C'était la partie la moins philosophe et la moins sérieuse de leur vie ; la plus philosophe était de vivre simplement et tranquillement. S'ils ont écrit de politique, c'était comme pour régler un hôpital de fous. Et s'ils ont fait semblant d'en parler comme d'une grande chose, c'est qu'ils savaient que les fous à qui ils parlaient pensent être rois et empereurs. Ils entrent dans leurs principes pour modérer leur folie au moins mal qu'il se peut " (Pensée 472 éd. Le Guern)
Russell :
" Un homme qui a souffert quelque humiliation invente une théorie selon laquelle il est roi d'Angleterre et il trouve toutes sortes d'explications ingénieuses pour justifier le fait qu'il n'est pas traité avec tous les égards dus à sa haute situation. Dans ce cas particulier, son illusion ne provoque pas de sympathie de la part de ses voisins et c'est pourquoi ils l'enferment. Mais, si, au lieu d'affirmer sa propre grandeur, il affirme la grandeur de sa nation ou de sa classe ou de sa foi, il gagne des armées d'adhérents et devient un chef politique ou religieux, même si, pour un observateur impartial, son opinion semble aussi absurde que celle qu'on trouve dans les asiles de fous" (Essais sceptiques p.23 Les Belles Lettres 2011)
2) le philosophe !
Wittgenstein :
" Le philosophe est quelqu'un qui doit guérir en lui-même de nombreuses maladies de l'entendement avant de pouvoir parvenir aux saines notions du sens commun " (1944)
" Si dans la vie nous sommes environnés par la mort, pareillement dans la santé de l'entendement, nous sommes environnés par la folie " (1944)

mardi 12 avril 2011

L’enseignement de la philosophie : vérité chaude et vérité froide réchauffée.

« Wittgenstein se demandait si Norman continuerait d’enseigner la philosophie quand il serait plus vieux, et s’il en serait content. Au début de leur rencontre, il lui avait conseillé de ne pas le faire, et à maintes reprises. Plus tard, une fois que sa décision a été prise, W. a laissé tomber. Mais maintenant ? J’ai suggéré que W. lui-même n’avait pas tout le temps eu la même attitude à l’égard de son enseignement. Et ici, je crois qu’il a souhaité faire une distinction entre le fait que lui le faisait et le fait que quelqu’un d’autre le fasse. Il a dit qu’une fois il avait eu un étudiant – maintenant professeur à ***. Il lui a dit : « Supposez donc que je sache la vérité – chaude et incandescente – et que je puisse vous l’enseigner. S’ensuivrait que, vous aussi, vous pourriez l’enseigner – maintenant froide et réchauffée ? Bien sûr que non. Mais le pauvre est maintenant professeur, et très mauvais. » En tout cas, W. ne pouvait plus supporter maintenant d’enseigner à de futurs enseignants. Les étudiants à qui il est à peu près certain d’avoir fait du bien ne sont pas philosophes. L’un d’entre eux est médecin, le docteur Drury à Dublin, et quelques-uns sont mathématiciens. Il n’a pas fait mention de ceux qui sont par ailleurs ses proches amis en philosophie. De cette façon, la philosophie, son étude, est simplement un entraînement à mieux penser – à clarifier et éliminer les confusions. Une fois celles-ci clarifiées, nous voilà prêts pour un autre travail. » ( Bouwsma Conversations avec Wittgenstein 17 août 1949)
Le professeur de philosophie passerait donc son temps à réchauffer pour ses élèves un plat qu’il aurait dû avaler une fois pour toutes afin d’avoir l’esprit libre pour faire autre chose ? Ou bien se dévouerait-il à sacrifier sa vie à faire passer les plats réchauffés afin que quelques-uns parmi les nombreux qui l’ont écouté pussent être disponibles pour faire un travail non-philosophique ? Mais peut-on être à la fois malade et bon médecin ?

dimanche 10 avril 2011

Spinoza a intitulé De Deo (De Dieu) la première partie de l' Éthique. Wittgenstein ne voulait et ne pouvait donner ni recevoir des leçons sur Dieu. Cependant il a désiré passionnément maintenir un lien avec Lui mais l'a-t-il pu ? " Bach a écrit sur la page de titre de son Orgelbüchlein : " À la gloire du Très-Haut, et que mon voisin puisse en bénéficier." C'est ce que j'aurais aimé dire de mon travail." C'est ce qu'il écrit à Drury dans une lettre citée par Ray Monk (p.531). Pour Wittgenstein, la gloire de Dieu et l'utilité pour l'humanité ne semblent pas être clairement séparables. L'un et l'autre sauvent de la vanité et traduisent le fait que le problème de la vie ne se pose pas ou ne se pose plus. " Je me sens un étranger dans ce monde. Si rien ne vous relie à l'humanité ou à Dieu, alors vous êtes un étranger." (28-7-1947)

Spinoza a intitulé De Deo (De Dieu) la première partie de l' Éthique.
Wittgenstein ne voulait et ne pouvait donner ni recevoir des leçons sur Dieu. Cependant il a désiré passionnément maintenir un lien avec Lui mais l'a-t-il pu ?
" Bach a écrit sur la page de titre de son Orgelbüchlein : " À la gloire du Très-Haut, et que mon voisin puisse en bénéficier." C'est ce que j'aurais aimé dire de mon travail."
C'est ce qu'il écrit à Drury dans une lettre citée par Ray Monk (p.531).
Pour Wittgenstein, la gloire de Dieu et l'utilité pour l'humanité ne semblent pas être clairement séparables. L'un et l'autre sauvent de la vanité et traduisent le fait que le problème de la vie ne se pose pas ou ne se pose plus.
" Je me sens un étranger dans ce monde. Si rien ne vous relie à l'humanité ou à Dieu, alors vous êtes un étranger." (28-7-1947)

vendredi 8 avril 2011

Platon, Wittgenstein et le soleil.

Dans La République VII, Platon présente allégoriquement l'accès à la connaissance comme la sortie en dehors d'une caverne et, en ultime étape, la vue directe du soleil :
" - Alors, je pense que c'est seulement au terme de cela qu'il serait enfin capable de discerner le soleil, non pas dans ses manifestations sur les eaux ou dans un lieu qui lui est étranger, mais lui-même en lui-même, dans son espace propre, et de le contempler tel qu'il est ". (516b éd. Brisson)
" Ensuite, nous avons roulé jusqu'au sommet de la colline près de la bibliothèque et avons regardé la ville. La lune était dans le ciel. "Si j'avais dessiné les plans, je n'aurais jamais fait le soleil. Regardez ! Comme c'est beau ! Le soleil est trop brillant et trop chaud." Il a dit, peu après . " Et s'il n'y avait que la lune, il n'y aurait ni lecture, ni écriture." (Bouwsma Conversations avec Wittgenstein, 5 août 1949)

Commentaires

1. Le mardi 12 avril 2011, 11:35 par Juan Antonio
Novalis a dit:
Welcher Lebendige,
Sinnbegabte,
Liebt nicht vor allen
Wunderescheinungen
Des verbreiteten Raums um ihn
Das allerfreuliche Licht -
[...]
Abwärts wend ich mich
Zu der heiligen, unaussprechlichen
Geheimnissvollen Nacht -
(Novalis <i>Himnen an die Nacht, I</i>)
L'époque moderne n' est pas l'époque des lumières, mais du deus absconditus.
2. Le mardi 12 avril 2011, 14:27 par Philalèthe
Merci beaucoup Juan Antonio pour ce post.
Aucune des sources que je connaisse ne mentionne le fait que Wittgenstein ait lu Novalis.
Je n'ai pas les moyens de commenter adéquatement ces vers, mais de manière très libre et donc bien risquée, je dirais que Wittgenstein aurait aussi préféré la lumière réjouissante de l'espace autour de lui aux miracles. Vers 1944, il écrit :

" Un miracle est pour ainsi dire un geste de Dieu. Comme un homme tranquillement assis fait tout à coup un geste spectaculaire, Dieu laisse le monde suivre paisiblement son train, et tout à coup accompagne les paroles d'un saint d'un geste symbolique, un geste de la nature. Un exemple en serait qu'après qu'un saint a parlé, les arbres autour de lui s'inclinent, comme par révérence. Cela dit, est-ce que je crois qu'une telle chose se produise ? Non.
La seule chose qui me ferait croire au miracle ainsi compris serait que je sois impressionné par un événement qui se produirait de cette façon particulière. En sorte que je dirais, par exemple : "Il 'etait impossible de voir ces arbres sans avoir le sentiment qu’ils répondaient aux paroles de ce saint.” Tout à fait comme je dirais : «  Il est impossible de voir la face de ce chien sans voir aussi qu’il est en alerte et qu’il suit attentivement tout ce que fait son maître. » Et j’imagine aisément que le simple récit des paroles et de la vie d’un saint puisse mener quelqu’un à croire également l’histoire des arbres qui s’inclinent. Mais je ne suis pas impressionnable de cette façon. »
Mais pour voir dans le monde qui nous entoure une lumière réjouissante, ne faut-il pas déjà croire en Dieu. Comme le suggèrent ces lignes de Bouwsma en accord, je crois, avec la pensée de Wittgenstein sur ce point :
«  Quelle différence y a-t-il dans les sentiments et l’attitude à l’égard du monde de l’athée et du croyant ? Je reprends ici un passage de John Wisdom. L’atmosphère ! L’espoir ! La promesse ! Davantage ! La gloire ! Et maintenant, tout est donné, vous voyez ce qu’il y a, c’est tout, rien de merveilleux, rien de terrible ! Pas fameux. » ( 20 Août 1949)
3. Le mardi 12 avril 2011, 19:34 par Juan Antonio
Merci beaucoup pour votre réponse. C'est très éclaircissant.

jeudi 7 avril 2011

Wittgenstein, Freud et l'ivresse des cours.

" Avant, sur le banc, il avait dit aussi que toutes les années durant lesquelles il avait enseigné avaient fait plus de mal que de bien. Et il les a comparées à l'enseignement de Freud. Les cours, comme le vin, avaient enivré les gens. Ils ne savaient pas comment les utiliser sobrement. Est-ce que je comprenais ? Oh oui, ils avaient trouvé une formule. Exactement " (Conversations avec Wittgenstein, 5 Août 1949)

mercredi 6 avril 2011

À quoi donc servaient les cours de Wittgenstein ?

" Mes cours se passent bien, ils ne se passeront jamais mieux. Mais quels effets laissent-ils derrière eux ? Cela aide-t-il quelqu'un ? Pas plus certainement que si j'étais un grand acteur interprétant pour eux de grands rôles tragiques. Ce qu'ils apprennent ne vaut pas la peine d'être appris ; et l'impression que je fais sur eux ne leur sert à rien. Cela vaut pour tous, à une ou deux exceptions près, peut-être" (19-11-1946)

dimanche 3 avril 2011

Seul un miracle...

À Norman Malcolm, qui, malgré les avertissements de Wittgenstein, commençait une carrière philosophique à Princeton :
Seul un miracle vous permettra d'enseigner honnêtement la philosophie" (lettre du 3-10-1940)

Commentaires

1. Le dimanche 3 avril 2011, 21:56 par herve
On peut entendre cette phrase de deux façons :
- soit Wittgenstein estimait que Malcolm était tellement nul et non avenu en philosophie que seul un miracle lui permettrait de l'enseigner correctement,
- soit Wittgenstein pensait que, quel que soit l'individu, s'il enseigne correctement la philosophie, ce n'est que par miracle, par un "effet essentiellement secondaire" selon l'expression de Jon Elster.
"Certains états mentaux et sociaux semblent avoir pour propriété de ne pouvoir se réaliser qu'en tant qu'effets secondaires d'actions entreprises à d'autres fins." (Jon Elster, Le laboureur et ses enfants, p. 17)
Il s'agirait de miracle, car ces effets sont inattendus et _donnés_. Par qui ? Ne nous hâtons pas de trouver un complément d'agent du passif à ce qu'il convient d'appeler une grâce...
"On dit que les bonnes choses de la vie sont gratuites : en fait, on pourrait dire que les bonnes choses de la vie sont des effets essentiellement secondaires. Comme le suggère Albert Hirschman dans ses travaux récents, cela pourrait être dû au fait que les effets secondaires n'ont pas de "potentiel de désillusion", puisque nous n'en attendons rien pour commencer." (Jon Elster, op. cit. p. 98)
2. Le lundi 4 avril 2011, 11:40 par Philalèthe
Bonjour Hervé !
Certes logiquement on peut comprendre la phrase comme adressée au seul Norman, mais vue l'habitude qu'avait Wittgenstein de dissuader ses élèves de se lancer dans des carrières philosophiques, on peut à bon droit donner à cet avertissement une portée générale.
Quant à honnêtement, vous le remplacez par correctement, ce qui ne va pas de soi : on peut faire x correctement (efficacement) mais pas honnêtement et inversement.
Correctement suggère que le miracle est dans la réception (l'élève comprend ce qu'est la philosophie grâce à l'enseignement).
Honnêtement laisse penser que le miracle est dans l'émission (on reste intègre, honnête en enseignant la philosophie).
On peut alors se demander s'il est vraiment requis d'éclairer le passage par le concept d'effets qui ne deviennent réels que s'ils ne sont pas intentionnels. Cela voudrait donc dire qu'on ne parvient vraiment à enseigner la philosophie que si on ne veut pas l'enseigner. Mais dans ce cas, ne devrait-on pas soutenir que c'est strictement impossible d'enseigner la philosophie correctement (si on accepte votre substitution) ? Je crois que ça se défend si on pense à la morale : c'est impossible d'enseigner la morale en la disant, on la montre par notre manière d'être.
Ceci dit et si on remplace correctement par honnêtement, l'idée - une parmi d'autres bien sûr - ne pourrait-elle pas être qu'à enseigner la philosophie comme il est habituel de le faire (exposé des systèmes contradictoires) on n'est pas en mesure d'avoir l'intégrité morale qui va de pair chez Wittgenstein avec l'élucidation théorique des problèmes philosophiques ?
Je le répète : c'est une hypothèse que je pourrai faire dans une conversation mais qui dans nos conversations écrites court le risque de passer pour beaucoup plus assurée qu'elle n'est

jeudi 31 mars 2011

L'enseignement de la philosophie, entre non-sens et exhortation ?

Oets Kolk Bouwsma dans ses Conversations avec Wittgenstein (1949-1951) (Agone) :
" J' en suis venu à voir la nature d'une partie de mon travail, et à l'admettre : essayer de comprendre ce qu'ont dit certains de ces philosophes -Épicure, Zénon, etc. -, et le faire connaître aux étudiants. Mais je prêche également. Le premier travail serait, dans l'ensemble, futile, sans intérêt ; le second, risqué. Peut-être ne devrait-on pas du tout l'entreprendre.
Pendant tout ce temps-là, W. parlait. Il a remarqué que certaines personnes trouvent de l'intérêt dans un système, d'autres à prêcher. Il rend claire la distinction entre le discours des philosophes, construits sur du vent - il balaye l'air de ses mains -, et quelqu'un qui dit : " Ne sois pas vindicatif ; ne laisse pas le soleil se coucher sur ta colère ". Voilà la distinction entre le non-sens et l'exhortation" (p.34-35)

mercredi 30 mars 2011

Pommes pourries : Descartes, puis Wittgenstein.

Descartes dans sa réponse aux objections du P. Bourdin :
" Si d'aventure il avait une corbeille pleine de pommes, et qu'il appréhendât que quelques-uns ne fussent pourries, et qu' il voulût les ôter, de peur qu'elles ne corrompissent le reste, comment s'y prendrait-il pour le faire ? Ne commencerait-il pas tout d'abord à vider sa corbeille ; et après cela, regardant toutes ces pommes les unes après les autres, ne choisirait-il pas celles-là seules qu'il verrait n'être point gâtées ; et, laissant là les autres, ne les remettrait-il pas dans son panier ?" (Oeuvres philosophiques T.II p. 982)
Wittgenstein (1937) :
" Je venais de prendre des pommes dans un sac en papier, où elles avaient séjourné longtemps ; j'avais dû en couper beaucoup par la moitié , et jeter la partie pourrie. Comme je recopiais, un instant plus tard une phrase que j'avais décrite, dont la dernière moitié était mauvaise, je la regardai aussitôt comme une pomme à demi pourrie (zur Hälfte faulen Apfel) (Remarques mêlées , p.89-90 GF)
Une différence entre Descartes et Wittgenstein : il arrive à ce dernier de se juger lui-même comme étant aussi corrompu qu'une pomme. Ainsi, dans cette entrée de son journal, datée du 1er octobre 1937 :
" Les cinq derniers jours ont été plaisants : il (Francis Skinner) s'est installé dans la vie ici et a tout fait avec amour et gentillesse, et je n'étais pas, Dieu merci, impatient, et vraiment je n'avais aucune raison de l'être, sauf ma propre nature pourrie (rotten) " ( Monk, Wittgenstein, p.374)

samedi 26 mars 2011

Wittgenstein, Russell, les guêpes et les abeilles.

En 1922, Russell et sa femme rencontrent Wittgenstein à Innsbrück. C'est dur de trouver un hôtel à cause de l'invasion des touristes profitant de l'inflation.
" Ils finirent par trouver une chambre pour trois ; les Russell prendraient le lit et Wittgenstein dormirait sur le canapé. "Heureusement , l'hôtel avait une terrasse agréable où nous pouvions nous installer pour discuter de la meilleure manière de faire venir Wittgenstein en Angleterre." Elle (Dora Russell) nie farouchement qu'il y ait eu une dispute : " Wittgenstein n'a jamais été quelqu'un de facile, mais je pense que leurs différends portaient seulement sur des questions philosophiques."
Russell, par contre, dirait plus tard que le différend était d'ordre religieux. Selon lui, Wittgenstein, alors "au sommet de son ardeur mystique", était très peiné parce que je n'étais pas chrétien". Il "m'assura avec beaucoup de sincérité qu'il valait mieux être bon qu'intelligent". Mais cela ne l'empêcha pas (et Russell semble percevoir ici un paradoxe amusant) d' être terrorisé par les guêpes, et, en raison des insectes, incapable de passer une nuit de plus dans le logement que nous avions trouvé". ( Ray Monk Wittgenstein p.211)
Pourquoi Russell juge-t-il paradoxal le comportement de Wittgenstein ?
Parce que si on est au sommet de l'ardeur mystique on ne prête pas attention à ce qui se passe sur terre, particulièrement si cela ne représente qu'un faible danger pour notre corps ?
On pourrait aussi s'étonner du fait que Wittgenstein, qui s'est engagé en 14-18 et a demandé à intégrer une unité combattante en vue de se mettre à l'épreuve de la mort, se laisse déranger par de simples guêpes, lui dont le courage au front a été remarquable.
Mais ces guêpes me font penser aux abeilles auxquelles il se réfère dans les Remarques mêlées:
" Je puis dire : " Remercie ces abeilles pour leur miel, comme si elles étaient des hommes qui l'auraient préparé pour toi par bonté" ; cela est compréhensible et décrit la façon dont je souhaite que tu te conduises. Mais je ne puis dire : " Remercie-les car vois comme elles sont bonnes pour toi !" - elles peuvent te piquer l'instant d'après". (1937)
La religion de Wittgenstein ne l'a pas conduit à ne pas identifier les dangers possibles ; elle consistait à trouver l'attitude juste par rapport à eux. Il n'avait pas à supporter sereinement des guêpes ou des abeilles menaçantes. En revanche il devait être en mesure de faire face à un destin qu'il aurait été lâche de fuir. La religion de Wittgenstein n'a jamais été une fuite du monde, mais une manière de rester serein dans le monde, aussi horrible qu'il puisse devenir. La gratitude par rapport à la réalité pourtant non intentionnellement généreuse qu'exprime cette parabole des abeilles est le complément de cette acceptation de la réalité, quand il se trouve que celle-ci, pour des raisons qui ne dépendent pas des hommes, leur sourit.

lundi 21 mars 2011

Recension d'un livre sur Spinoza.

J'ai écrit pour Nonfiction.fr une recension d'un ouvrage de philosophie sur Spinoza (Vivre ici : Spinoza, éthique locale 2010) qui cherche à produire une théorie éthique à partir de Spinoza relu à la lumière de Riemann. Sont particulièrement intéressants les passages où l'auteur, David Rabouin, explique ce qui ne colle pas dans le système de Spinoza à la lumière de nos connaissances scientifiques actuelles.

lundi 7 mars 2011

Par amour ne pas savoir qu'on aime : une réflexion sur la distinction cause / raison à partir d'un passage de Stendhal.

On ne sait pas ce qu'on ressent tant que les autres ne nous ont pas appris à l'identifier. On ne peut même pas dire qu'on a conscience d'un sentiment mais que manque le nom car les sentiments sans nom on apprend aussi à les reconnaître en soi. C' est du moins ce qui me vient à l'esprit en lisant ces quelques lignes de La Chartreuse de Parme de Stendhal :
" Il (Fabrice) résolut de ne jamais dire de mensonges à la duchesse, et c'est parce qu'il l'aimait à l'adoration en ce moment, qu'il se jura de ne jamais lui dire qu' il l'aimait ; jamais il ne prononcerait auprès d'elle le mot d'amour, puisque la passion que l'on appelle ainsi était étrangère à son coeur " (chap. 8)
" c'est parce qu'il l'aimait à l'adoration en ce moment " : Stendhal donne la cause de la résolution de ne jamais mentir à la Sanseverina.
" jamais il ne prononcerait auprès d'elle le mot d'amour, puisque la passion que l'on appelle ainsi était étrangère à son coeur" : c'est la raison que Fabrice se donne. Il n'a pas tort car il ne ressent pas ce qu'on appelle d'habitude "amour", il est juste encore insuffisamment instruit car "amour" veut dire plusieurs choses. Autre possibilité : ce qu'il ressent est bien l'amour qui correspond à ce qu'on appelle l'amour, mais on ne lui a pas appris à le reconnaître en lui, il est juste accoutumé à l'identifier dans les autres.

jeudi 24 février 2011

Le cogito, revu par Serge Doubrovski.

Serge Doubrovsky (Libération du 24/02/11) :
" Je dis dans «Le livre brisé» en parlant de ma femme de l'époque, «elle pense à moi, donc je suis.» Cette formule que Descartes n'aurait pas appréciée, est la mienne "
En fait, dans l'esprit cartésien, on pourrait aussi le dire : si je dis "elle pense à moi", c'est que je pense, donc j'existe en tant que chose qui pense. Bien sûr on peut dire tout autant: "elle ne pense pas à moi, donc je suis", alors que pour Doubrovski ça donnerait tristement : " elle ne pense pas à moi donc je ne suis pas ".

jeudi 17 février 2011

Quel est le point de vue des philosophes analytiques sur la morale ?

Comme le texte qui suit le montre, à défaut d' identifier un seul point de vue, on peut plaider pour, du moins présenter positivement, l'un d'entre eux.
On divise généralement l’éthique en trois : la méta-éthique, l’éthique normative, l’éthique appliquée. La méta-éthique analyse les façons de penser la morale sans dire ce qu’il est bien ou mal de faire. L’éthique normative détermine ce qu’on doit faire et ne pas faire. Quant à l’éthique appliquée, elle traite de problèmes concrets, par exemple : que penser des mères porteuses ? Faut-il interdire le clonage reproductif humain ? Le mariage homosexuel est-il légitime ? L’usage et la vente de drogues sont-ils immoraux ? La pornographie pervertit-elle la jeunesse ? La prostitution est-elle un mal ? Doit-on condamner l’euthanasie ?
À ces trois manières d’aborder l’éthique, qu’apporte la philosophie analytique ?
Issue des travaux de FregeRussellMoore et Wittgenstein, pour ne mentionner que les pères fondateurs nés avant 1900, la philosophie analytique prend comme modèle de travail intellectuel l’équipe scientifique, ce qui met en évidence un intérêt marqué pour des problèmes délimités, un espoir de faire progresser la philosophie en contribuant à la solution, du moins à la clarification, de ces problèmes, un souci de l’argumentation logiquement impeccable. Moins attachée que la philosophie continentale à l’histoire de la philosophie, portée même à discuter les grands auteurs, argument par argument, à la lumière des connaissances du présent et assez audacieuse pour soutenir que quelquefois ils se sont trompés, la philosophie analytique a une dimension iconoclaste laissant ainsi espérer qu’elle est en mesure d’apporter un renouveau à la réflexion morale.
Cependant, sur les questions morales comme sur d’autres, la philosophie analytique ne parle pas plus d’une voix que la philosophie continentale. Il est donc faux de croire que les philosophes analytiques auraient bâti une seule méta-éthique, une seule éthique normative et seraient en même temps capables d’apporter une réponse unique à chaque cas d’éthique appliquée. Même s’ils sont unis par leur manière de philosopher, leur style, au niveau doctrinal, c’est le pluralisme qui est un fait.
On va donner un aperçu sur une partie de cette pluralité à travers un texte-culte, La philosophie morale moderne, écrit en 1958 par la plus brillante élève de Wittgenstein et une des plus grandes philosophes anglaises du 20ème siècle, Élisabeth Anscombe (1919-2001).
Dans ce texte la philosophe s’oppose fortement à la morale conséquentialiste. Selon cette éthique, un agent est moral s’il contribue par ses actions et leurs conséquences à créer le plus de bien ou le moins de mal possible dans le monde. Or, Anscombe voit dans cette doctrine la porte ouverte à des actions qui, au nom du bien du plus grand nombre, sacrifieraient à dessein les intérêts, voire les vies de quelques-uns.
Mais elle s’oppose aussi au déontologisme. En accord avec cette conception (qu’illustre exemplairement la philosophie de Kant), un agent est moral si ses actions sont faites par devoir, conformément à des principes universels et sans prendre en compte les conséquences susceptibles de dériver des actions. Or, Anscombe identifie le déontologisme à une conception mutilée, reliquat de la morale judéo-chrétienne quand s’est effacée la croyance en Dieu sans que disparaisse l’idée d’un devoir absolument impératif.
Dénonçant ainsi le déontologisme comme le conséquentialisme, pourtant traditionnellement adversaires, la philosophe innove en ouvrant une voie, qui va engendrer un troisième courant moral, l’éthique des vertus. Dans ce cadre, un agent est moral si ses actions contribuent au développement de ce qui, meilleur dans sa nature et dans celle des autres hommes, attend d’être cultivé.
Moins hostile au déontologisme avec qui elle partage l’idée que les valeurs morales sont absolues, Anscombe voit dans le conséquentialisme le mal moral moderne, plaçant ses espoirs dans une éthique qui prend appui sur ce pour quoi l’homme est fait.
Qu’en est-il 60 ans plus tard ? Le déontologisme et le conséquentialisme ont-ils été éclipsés par l’éthique des vertus ? Si règne le pluralisme doctrinal en philosophie analytique comme en philosophie continentale, on peut deviner que ces trois philosophies – et bien d’autres ! – s’accommodent des exigences de la méthode analytique. Mais le conséquentialisme, tant honni d’ Élisabeth Anscombe pour la pente glissante sur laquelle il ouvrait, est-il au moins devenu minoritaire ? Loin de là. Il semble plutôt justifié d’affirmer que le conséquentialisme se porte bien. Mais est-il si dangereux ? Pour ne pas rester dans le vague, on voudrait identifier cet essor du conséquentialisme à une œuvre qui, en langue française, le représente bien, celle du philosophe Ruwen Ogien.
Dans quelle perspective ce penseur aborde-t-il les problèmes d’éthique appliquée mentionnés ci-dessus ?
Il note d’abord que l’esprit du déontologisme s’est simplifié et condensé sous la forme d’une expression passe-partout, « la dignité humaine». Mais ce qui est remarquable est que la référence à la dignité humaine est dans la bouche par exemple autant de ceux qui s’opposent à l’euthanasie que de ceux qui n’y voient aucun mal : au nom de la dignité humaine, entendez le caractère sacré de la vie, on condamne le suicide assisté que d’autres approuvent précisément au nom de la dignité humaine, entendez cette fois l’idée qu’il appartient à chacun de décider si sa vie vaut ou non la peine d’être vécue. « Dignité humaine » voulant dire des choses contradictoires, il est préférable d’abandonner cette expression équivoque en vue de plus de clarté et de précision – deux valeurs suprêmes de l’argumentation philosophique dans le style analytique -. Comme Ruwen Ogien l’écrit dans L’éthique aujourd’hui. Maximalistes et minimalistes (2007), « il se pourrait que l’argument de la « nécessité de protéger la dignité humaine » soit plus politique que conceptuel ou éthique. Ce serait un de ces mots pompeux qu’on jette à la face du public pour l’impressionner, sans souci de cohérence et de justification ».
Dans le même esprit, le philosophe relève que la référence à une nature humaine - au cœur de l’éthique des vertus - ainsi que celle à une vie riche, réussie, pleine en tant qu’elle serait la réalisation maximale des meilleures possibilités humaines font courir le risque de transformer une conception particulière du bien en critère permettant de distinguer de manière prétendument absolue mais en fait relative le moral de l’immoral.
Mais que propose donc le conséquentialiste Ruwen Ogien ?
Ce qu’il appelle une éthique minimale, précisément l’idée que seul est immoral l’agent dont les actions nuisent réellement à autrui. Certes reste à déterminer ce qu’est un préjudice authentique par rapport à un préjudice imaginaire ou à une simple offense, ce à quoi s’emploie le philosophe dans, entre autres, La liberté d’offenser. Le sexe, l’art et la morale (2007). Néanmoins surgit une thèse claire : qu’en morale, pas plus que dans le Droit, on n’a pas à condamner des pratiques qui ne nuisent pas à autrui. Est donc mise en question la thèse déontologiste et particulièrement kantienne que le rapport de soi à soi, comme le rapport à autrui, peut être caractérisé par son immoralité ou sa moralité.
Qu’en est-il alors des pratiques controversées, objets des discussions en éthique appliquée ? Que vaut par exemple la pornographie ? Ruwen Ogien s’attache minutieusement à défaire les associations d’idées qui la relient essentiellement à l’immoralité. Si elle peut être accidentellement immorale (on force quelqu’un à participer à un tournage pornographique ou à voir un film pornographique), elle ne l’est pas par nature, pas plus que ne le sont la prostitution, l’euthanasie, la gestation pour autrui, le clonage reproductif humain – pourtant le crime le plus sévèrement humain dans le Droit français -, le mariage homosexuel, l’homoparentalité, la consommation de drogues. Qu’on entende bien Ruwen Ogien : certaines de ces pratiques peuvent être destructrices, voire suicidaires, les faits sont là ; elles peuvent être aussi des signes d’imprudence, voire de bêtise. Ce qu’il refuse de défendre est l’idée de leur immoralité si elles ne concernent que soi-même et ne transgressent pas le principe de non-nuisance à autrui.
On réalise donc que la philosophie analytique est porteuse avec le conséquentialisme d’une morale en prise sur les problèmes présents et apte à contribuer, dans le dialogue avec les autres courants de la philosophie, analytique ou non, à leur clarification, voire même à leur solution progressiste.

mercredi 16 février 2011

"Plaidoyer pour une conception non romantique de la philosophie" ou "Non pas les mathématiques comme modèle d'intelligibilité mais les mathématiciens comme chercheurs modèles" ou "D'un ton anti-grand seigneur employé en philosophie"

" On pense souvent que le travail en commun, c'est bon pour les sciences, mais pas pour la philosophie. La collaboration intellectuelle nuirait autant à la rigueur et la créativité philosophique qu'elle nuit à la production artistique. C'est une opinion que nous ne partageons pas. S'il y a un modèle à suivre en philosophie, à notre avis, ce n'est pas celui de l'artiste romantique qui oeuvre en solitaire, loin des "foules vulgaires", mais ce n'est pas non plus celui de l'équipe de recherche massive, dont les membres sont plus ou moins concernés par les résultats. C'est plutôt celui des mathématiques : de petites équipes de deux ou trois chercheurs, qui passent leur temps, qui passent leur temps devant un tableau noir, à discuter, à faire des calculs, et à boire des cafés (pour les plus sobres).
Nous n'avons pas de calculs en philosophie, dira-t-on. C'est vrai. Mais nous avons des thèses et des hypothèses à formuler le plus précisément possible, et dont il faut envisager les conséquences éthiques et pratiques. Et nous avons des arguments pour et contre ces hypothèses, des exemples et des contre-exemples, ainsi que des expériences de pensées. Rien dans ces outils de travail ne requiert un travail en solitaire et bien des formes de coopération semblent possibles.
Nous avons opté pour un modèle démocratique, contre certaines (mauvaises) habitudes très hiérarchiques du "petit monde" qui nous entoure. On prend les décisions ensemble, selon des modes de délibération collective, parfois compliqués, parfois inefficaces, mais tellement plus adéquats lorsqu'il s'agit de réflexion philosophique" (Ruwen Ogien et Christine Tappolet, Les concepts de l'éthiquefaut-il être conséquentialiste ?, p. 24-25, 2008, Hermann)
Est-ce le modèle socratique revu et corrigé à la mode démocratique ?

Commentaires

1. Le mercredi 16 février 2011, 23:04 par Adrien
C'est intéressant comme méthode. Toutefois, en mathématiques, nous avons l'habitude aussi, dans nos petits groupes de travail, de se diviser les tâches : l'un fera ci, l'autre fera cela. On se fait confiance et on compte sur l'avancée des autres. Est ce possible en philosophie? Une vision globale n'est elle jamais sous-jacente?
Ensuite, nous vérifions ce que font les autres. Est ce possible de relire et voir les fautes? Je le pense d'une certaine manière en philosophie analytique, mais on est loin déjà de l'artiste romantique.
Pour revenir à la première raison, j'ai l'impression que les techniques et résultats étant "rodés" en mathématiques, on peut presque faire faire une partie du travail à un stagiaire (ou un thésard) ravi d'apprendre à maitriser de nouvelles choses. Mais la méthode fait elle consensus en philosophie?
En tout cas, c'est une tentative qui me ravit : on progresse tellement mieux à plusieurs, et c'est bon de relativiser son absolue subjectivité!
2. Le jeudi 17 février 2011, 11:22 par Philalèthe
1) Le partage des tâches me paraît possible avec comme arrière-plan une "vision globale" (au sens de partage de certaines positions à l'exclusion d'autres, jugées pourtant défendables par d'autres philosophes travaillant sur le même problème).
2) La vérification en philosophie est en effet une pratique qui implique une certaine conception de la philosophie, ordinaire dans la tradition analytique. Ceci dit, même en dehors de la tradition analytique, elle est tout à fait envisageable (par exemple entre historiens de la philosophie, spécialistes d'un même auteur).
3) Déléguer une tâche à un "apprenti" me paraît délicat car fait défaut le protocole assez précis qui le permettrait. Pour deux raisons fondamentales, je crois : il n'y a pas de consensus sur les méthodes en philosophie à cause des différences de courant (il n'y en a même pas sur les problèmes) et, à l'intérieur même d'un seul courant, la question de la bonne méthode ou des bonnes méthodes reste un problème.
4) Quant à la relativisation de l'absolue subjectivité, comme vous dites, elle est le but de tous les philosophes : par définition, ils visent à soutenir des positions universellement partageables ou du moins universellement compréhensibles, même si certains jugent que l'accès à ces thèses passe par l'attention portée à sa subjectivité, même si d'autres jugent que la finalité de la philosophie n'est pas la connaissance de la vérité.