dimanche 12 mai 2019

Greguería n° 35

" Nos pasamos la vida haciendo una miniatura del cosmos, y al final se nos cae y se nos rompe."
" Nous passons notre vie à faire une miniature du cosmos, et à la fin elle nous échappe et se casse."

samedi 11 mai 2019

Greguería n° 34


calavera bailarina,1939. Huile sur toile .Collection Merz .
" "¡Qué hermosos ojos negros!" es el piropo que está reclamando la calavera. "
" " Quels beaux yeux noirs ! ", c'est le compliment que réclame la tête de mort."

Commentaires

1. Le dimanche 12 mai 2019, 14:53 par gerardgrig
Le rapprochement de la gregueria avec les images doubles de Dali, auquel Ramón consacra un livre, était inévitable. Cette combinaison d'images s'associe idéalement avec la putréfaction et la scatologie comme fond des choses, ce qui est aussi une forme de dédoublement. On ne peut pas voir les deux images en même temps, et il y a un battement entre elles, propice à l'inversion et à l'égalisation des conditions : la tête de mort semble appeler le même compliment, pour ses yeux noirs, que la ballerine, dans une danse macabre. On pense aussi au "Viva la muerte !" qui serait au fond de l'âme espagnole, si elle existe. On a surtout le souvenir que ce cri fut récupéré par les fascistes espagnols, mais il traduit un sentiment tragique de la vie, un "amor fati". Quant aux images doubles de Dali associées à la mort, elle semblent avoir eu une influence capitale sur lui. La psychanalyse s'en mêle et donne un rôle symbolique à la Mère. Dali avait un frère mort avant lui, qui s'appelait aussi Salvador. Comme Mark Twain avec son jumeau mort, il n'a jamais su s'il était lui ou son frère.

vendredi 10 mai 2019

Greguería n° 33

" Las teclas negras son el luto que guarda el piano por los pianistas muertos."
" Les touches noires, c'est le deuil des pianistes morts, que porte le piano."

jeudi 9 mai 2019

Greguería n° 32

C'est une greguería tardive, écrite entre 1952 et 1955, publiée dans le Diario póstumo (Barcelona, Plaza y Janés, 1972) :
" La vida es asi : "¿Se ha acomodado bien ? Pues entonces ¡fuera!" "
" La vie est comme ça : " Vous vous êtes mis à l'aise ? Bon, alors dehors ! "

mercredi 8 mai 2019

Greguería n° 31

" La pelicula comienza : la vanidad humana se oculta un rato en el túnel de la sala."
" Le film commence : la vanité humaine se cache un moment dans le tunnel de la salle."

mardi 7 mai 2019

Ombre réelle ou ombre imaginaire ? Sur la gallina ciega de Goya.

San Francisco y el moribundo est un tableau de Goya peint en 1787, on peut le voir dans la cathédrale de Valencia.
Jean Starobinski dans Goya et 1789 m'apprend que cette oeuvre " est la première apparition de monstres et de personnages hallucinés dans l'oeuvre de Goya." (La beauté du monde, Quarto, 2016, p.1035). Dans cet article publié en 1984 dans La Revista de Occidente, il est attentif à trouver des signes avant-coureurs de la période noire dans l'oeuvre lumineuse de Goya. L'oeuvre qu'il choisit principalement comme exemple est La gallina ciega (Le jeu de collin-maillard), peinte en 1788.
Voici le commentaire de Starobinski :
" Dans La gallina ciega, au rythme si séduisant, nous découvrons la transposition ludique d'un supplice, et il semble que la femme agenouillée qui s'incline en arrière pour ne pas être touchée, fuie sa propre identité. Un autre supplice simulé est celui qu'endure le pantin : pendant que les jeunes filles souriantes - de charmantes sorcières -
forment une guirlande de leurs bras, le pantin oblique, projeté vers le haut, offre l'aspect du désespoir. Les torsions, la maladresse, la douloureuse inertie du pantin, nous révèlent l'étrange vie de la matière, son aspect comique et son pouvoir d'épouvante. Par l'animation qui s'empare de toute la créature rendue à sa fatalité d'objet, la scène frivole implique une secrète frayeur. " (p. 1036)
Est-ce moi, l' aveugle ? Pas moyen de voir dans cette oeuvre, qui devait servir de carton de tapisserie, l' " ombre ", l' " élément inquiétant dissimulé ", l' " impalpable atmosphère " qui deviendra " un peuple de monstres "... Je ne comprends vraiment pas pourquoi Starobinski évoque " les ténèbres métaphysiques de La Gallina Ciega ".
Ne dois-je pas sur ce point plutôt me rapporter à ce que Ramón Gomez de la Serna écrit à propos des cartons de tapisserie dans son Goya (1928) :
" Un tapiz es una primavera que se perpetúa engarzada a una bandera." (" Une tapisserie est un printemps qui se perpétue, inséré dans un drapeau.") ?
Ce qu'écrit Ramón sur La gallina ciega me paraît, bien que léger, plus fidèle à l'oeuvre que les lignes exagérément inquiétantes de Starobinski :
" Goya representa el juego de la gallina ciega en un meandro circular frente al Guadarrama en uno de sus espirituales valles, todos sus personajes en movimiento de corro alrededor del que se ha quedado en el centro tocando y eligiendo con una cuchara de palo al que ha de adivinar quién es y que entonces no podía agarrar con la mano por pudicia, no fuese a ser una dama, porque asi era difícil adivinar quién era el cogido o la cogida y el juego era mas juego de azar. " (Goya in Obras selectas, Carrogio, Barcelona, 1970, p. 612)
" Goya représente le jeu de colin-maillard, au bord d'un méandre circulaire du Guadarrama, dans une de ses spirituelles vallées, tous les personnages en ronde autour de celui qui, resté au centre, touche et choisit avec une cuillère en bois quelqu'un dont il doit deviner l'identité et qu'il ne pouvait alors pas saisir par la main par pudeur, au cas où ça aurait été une dame, aussi c'était difficile de deviner qui était le prisonnier ou la prisonnière et le jeu était plutôt un jeu de hasard."

Commentaires

1. Le mercredi 8 mai 2019, 21:46 par gerardgrig
Starobinski semble être dans le vrai pour "Le Pantin", qui a inspiré "La Femme et le Pantin" a Pierre Louÿs, à une époque où les Décadents français lisaient Sacher-Masoch sous le manteau. Pour le colin-maillard, jeu mondain égrillard où l'on se touche par hasard pour provoquer des rencontres entre adultes, mais qui est teinté de cruauté chez les enfants, l'interprétation de Starobinski est assez étrange. Elle est trop culturelle, car elle se réfère à la fin terrible du guerrier Colin-Maillard au combat, aveuglé par un archer et sadisé par ses ennemis, qui a donné son nom au jeu. Ou au jeu de la poule aveugle (gallina ciega), jeu à base de cruauté sur les animaux, comme la corrida. Starobinski, sage psychocritique resté fidèle à Charles Mauron, avait aussi publié les "Anagrammes" de Saussure. Il profitait de Goya pour rendre surtout hommage au signifiant.
2. Le jeudi 9 mai 2019, 03:19 par Philalethe
Starobinski nous a-t-il offert un symptôme de cécité culturelle ( aveuglement causé par un excès de culture ) ?
Comme vous le dites généreusement  : " rendre hommage au signifiant " ! 
On peut presque en tirer cette question : une interprétation poétique peut-elle être vraie ?

lundi 6 mai 2019

Greguería n° 30, dadaïste.

" En resumidas cuentas, el Pensador de Rodin será el hombre que más tiempo ha estado sentado en el retrete."
" Tout compte fait, le Penseur de Rodin sera l'homme qui a été le plus longtemps assis sur les toilettes."

Commentaires

1. Le mercredi 8 mai 2019, 18:46 par gerardgrig
On admire l'insoutenable légèreté et la désinvolture de Ramón, dans la tradition du baroque espagnol. On pense aussi à la satire des philosophes dans l'Antiquité : Socrate assis dans une corbeille suspendue chez Aristophane, Thalès chutant dans un puits. Il était louable de ramener, avec le simple bon sens, les philosophes à la réalité. En langue vulgaire, on dit qu'ils ne se sentent plus pisser. Ramón ramène le penseur de Rodin à la posture de l'homme aux toilettes. Il y a peut-être une allusion à Duchamp. Mais Ramón va plus loin, en se payant le luxe d'être apolitique, et de passer objectivement pour un homme de droite, pour le plaisir scandaleux d'un bon mot. Il ne pouvait pas ignorer que le Penseur de Rodin avait été une affaire politique, et bien française. Le Penseur avait été installé devant le Panthéon, comme symbole de la démocratie. C'est un homme du peuple qui va changer la société par la puissance de sa pensée. La République était encore fragile, et l'intelligentsia allait se donner Charles Maurras comme penseur politique, si bien que le Penseur a vite été dégagé. Néanmoins, la plaisanterie de Ramón a le mérite de sortir le Penseur du cadre étroit de la politique française, et de rappeler que l'Art est universel. Il est vrai qu'en matière de politique, Ramón a cherché un modus vivendi avec le franquisme comme Dali, autre apolitique. Mais les apolitiques de l'époque avaient le mérite de ne pas choisir entre la peste et le choléra.
2. Le samedi 11 mai 2019, 14:31 par Arnaud
Game of trônes ?
Encore une occasion de recaser l'une des plus célèbres citations de Montaigne:
"Et au plus eslevé throne du monde, si ne sommes assis que sus nostre cul." Essais, III, XIII.
3. Le dimanche 12 mai 2019, 12:42 par gerardgrig
Certes, mais Ramón a toujours l'art de nous dérouter. Il semble reprendre les critiques des monarchistes français adressé au Penseur de Rodin trônant devant le Panthéon : il est lourd, laid, gros, prolétaire, il fait caca. Or Ramón loue le Penseur pour son record absolu de longévité sur le trou des toilettes. Il lui adresse un compliment vache, ce qui est une forme subtile de valorisation, dans une vision carnavalesque du monde, où la seule règle du jeu est d'être le meilleur dans son genre.

dimanche 5 mai 2019

Pourquoi il est difficile d'être stoïcien.

“ Dans la culture moderne, l’ordre social et institutionnel n’est plus, comme dans l’ Antiquité ou au Moyen-Âge, le fait d’ une volonté divine ou l’oeuvre de l’esprit ; dans leurs actions quotidiennes, les sujets modernes ne se vivent plus comme faisant partie d’un ordre cohérent de l’existence (“ the great chain of being “) avec lequel ils entretiendraient une relation responsive intérieure et à partir duquel ils pourraient se définir. Les conditions collectives dans lesquelles ils agissent leur semblent le résultat, en partie contingent, de processus de construction et de négociation historiques et, en particulier, d’innombrables conflits de valeurs et d’intérêts. Dans la mesure où ces conditions limitent les marges d’action et de liberté des individus, elles sont perçues par eux comme une chose extérieure, prédonnée, imposée, comme faisant partie d’un monde “ aliéné “qui leur fait face. À travers notre pratique quotidienne, nous faisons l’expérience de cette forme de relation à l’égard de la sphère publique chaque fois que nous sommes aux prises avec les administrations ou les autorités, du fisc à Pôle emploi en passant par la préfecture de police ou les administrations scolaires ; mais elle se manifeste aussi partout où “ Bruxelles “ est rendu comptable des réglementations de la vie quotidienne. “ ( Hartmut Rosa, Résonance, une sociologie de la relation au monde, La Découverte, 2018)
Les Stoïciens ont souvent été confrontés à des tyrans bien plus terribles que les nôtres, mais par chance ils pouvaient les englober dans le Logos. Vu que la Raison a déserté le terrain, le stoïcisme d’aujourd’hui se réduit à n’être qu’une pratique psychologique à des fins eudémonistes. Ou alors, contre vents et marées, on redore le blason du monde en le rendant rationnel, ce qui est sans doute plus facile à faire pour les agnostiques et les anciens croyants que pour les athées.

Greguería n° 29, ornithologie négative.

" El ruiseñor... No, del ruiseñor no se puede ni se debe decir nada. "
" Le rossignol... Non, du rossignol, on ne peut et on ne doit rien dire."

samedi 4 mai 2019

Greguería n° 28

" Lee y piensa, que para no pensar tienes siglos."
" Lis et pense ! Pour ne pas penser, tu as des siècles."

jeudi 2 mai 2019

Greguería n° 27

" Lo que más le duele al náufrago, indudablemente, es no poder contar cómo pasó "aquello", cómo se ahogó."
" Ce qui fait le plus souffrir le naufragé, indubitablement, c'est de ne pas pouvoir raconter comment s'est passé "ça", comment il s'est noyé."
À la différence des autres greguerías, toutes tirées de l'édition qu'en a donnée Rodolfo Cardona (Cathedra, 1980), cette dernière vient des Greguerías selectas publiées en 1919 par la Casa Editorial Calleja.

mercredi 1 mai 2019

Greguería n° 26

"Tomó tan en serio eso de "ahogar las penas" que se tiró al río."
" Il prit tant au sérieux cette idée de " noyer ses peines " qu'il s'est jeté dans la rivière."

lundi 29 avril 2019

Greguería n° 25, à placer à l'entrée de tous les CDI.

" Una librería es un andamiaje que se adquiere para edificar el futuro. "
" Une bibliothèque est un échafaudage qu'on acquiert pour édifier l'avenir."

dimanche 28 avril 2019

Greguería n° 24

" La vida es decirse ¡adiós! en un espejo."
" La vie, c'est se dire au revoir devant un miroir."

samedi 27 avril 2019

Greguería n° 23


" El que bebe en taza, hay un momento en que sufre eclipse de taza."
" Qui boit dans une tasse connaît un moment où il subit une éclipse de tasse."

Commentaires

1. Le samedi 27 avril 2019, 11:26 par gerardgrig
Les Chinois ont compliqué le problème de l'éclipse du contenant de boisson. Ils ont inventé la fille nue au fond du verre à saké. Mais ce faisant, ils lui ont ajouté le dilemme du beurre et de l'argent du beurre. L'Européen affronte l'intervalle de vide de l'éclipse de tasse. On notera que la gregueria est illustrée, comme pour suggérer le comblement d'un vide, mais son illustration est-elle pertinente ? Elle l'est moins que dans le cas de l'architecture mozarabe par le trou de la serrure.
2. Le samedi 27 avril 2019, 20:30 par Philalèthe
Pour la précédente illustration, Ramón avait fait un dessin subjectif ; ici c'est le point de vue de la troisième personne, c'est peut-être pour cette raison que vous trouvez le dessin moins pertinent.

vendredi 26 avril 2019

Greguería n° 22

" El erudito pone las manos crispadas en la librería, como el pianista en el teclado, y arranca veinte libros para sacar veinte notas."
" L' érudit pose ses mains crispées sur la bibliothèque, comme le pianiste sur le clavier, et tire vingt livres pour en sortir vingt notes."

lundi 22 avril 2019

Greguería n° 21.

" ¿ No os dice nada el que tantos grandes hombres hayan muerto ? A mi me dice más que lo que ellos dijeron en vida."
" Ça ne vous dit rien que tant de grands hommes soient morts ? À moi ça me dit plus que ce qu'ils ont dit de leur vivant."

dimanche 21 avril 2019

Greguería n° 20 : rareté du génie, banalité du modèle.

20
" Laura sigue saliendo de misa bella y joven todos los domingos. Quien desaparacío fut el Petrarca."
" Laura continue de sortir de la messe, belle et jeune, chaque dimanche. Celui qui a disparu est Pétrarque."

Commentaires

1. Le lundi 22 avril 2019, 14:16 par gerardgrig
L'Université de Pittsburgh possède les "Gregues" de Ramón, qui sont ses "greguerias intimes". Il s'agit de sa bibliothèque de travail, un trésor de citations. Elle comprend des fiches cartonnées et des coupures de presse, en abondance, car Ramón avait une formation journalistique. On apprend que ses maîtres antiques en gregueria étaient Euripide, Horace et Ovide. Il prenait aussi des citations chez les auteurs du Siècle d’or (Góngora, Quevedo et Gracián), ses prédécesseurs, ou dans la littérature des avant-gardes (Breton et les surréalistes, García Lorca, etc.). Il reconnaissait Cernuda et Neruda comme des continuateurs de l'art de la gregueria. Néanmoins, on voit aussi que tout écrit l' intéressait, parce qu'il pouvait l'aider à résumer la vie par une citation, et mettre un peu la vie entre parenthèses. La gregueria des deux pelles, ces superbes parenthèses symboliques qui font disparaître une vie d'homme dans le néant, est éclairante pour cela. Cette hantise de la littérature s'élargissait même, en rendant inutile la citation écrite. La jeune et belle Italienne sortant d'une église semblait citer Pétrarque, par son geste, et changer de prénom.
2. Le lundi 22 avril 2019, 17:26 par Philalèthe
Merci beaucoup de nourrir mon afición a Ramón !

samedi 20 avril 2019

Greguería n° 19 ou quand la moraline devient pathologique.

" Era tan moral que perseguía las conjunciones copulativas."
" Il était si moral qu'il faisait la chasse aux copules."
Traduction un peu infidèle car las conjunciones copulativas sont les conjonctions de coordination.
En tout cas, le malade de la moraline avec la suppression de la copule aura plus de difficultés à se faire comprendre que el perseguidor de las conjunciones copulativas qui saura conjoindre sans les immorales conjonctions.

vendredi 19 avril 2019

Greguería n° 18, intraduisible.

" Cenobita : uno que cenar evita."
Savoir qu'en espagnol, le b et le v se confondent dans la prononciation.

mercredi 17 avril 2019

Greguería n° 17, sine grano salis.

" Monologo quiere decir el mono que habla solo"
Cette greguería est traduisible mais perd beaucoup de son sel dans l'opération : " Monologue veut dire singe qui parle tout seul "
Dans la même veine, " monomaníaco : mono con manías " ( " monomaniaque : singe à manies ")

mardi 16 avril 2019

lundi 15 avril 2019

Greguería n° 15, païenne.


" El deseo del rayo es plantar en el suelo un arbol electrico. "
" Le désir de la foudre est de planter dans le sol un arbre électrique."

dimanche 14 avril 2019

Une greguería pascalienne ?

Dans le prologue de Total de greguerías, Ramón mentionne le fait qu'il a trouvé des greguerías chez des auteurs anciens. Entre autres il cite, en l'abrégeant, une pensée de Pascal : " Los ríos son caminos que andan ". Le texte original, lui, dit : " Les rivières sont des chemins qui marchent et qui portent où l'on veut aller." Rien d'étonnant en effet que Ramón ait trouvé les deux ingrédients de la greguería : métaphore et humour.
Greguería, ce mot que Valéry Larbaud et Mathilde Pomès ont traduit par criaillerie, nom qu'ils ont donné en le mettant au pluriel à un des 6 chapitres des Échantillons, extraits de l'oeuvre de Ramón, publiés par eux en 1923 chez B. Grasset. D'après Rodolfo Cardona dans son édition des Greguerías (Cátedra, Madrid, 2014), ce sont les seuls traducteurs à avoir proposé une traduction du mot, malheureuse à mes yeux. Le mot vient de griego (grec), voulant dire ici langage incompréhensible, comme le précise le dictionnaire de la Real Academia Española. Si on peut le remplacer, en dehors du contexte ramonien, par griteria que rend bien lui criaillerie, c'est parce qu'on peut ne rien comprendre quand quelqu'un crie très fort. Il semble donc plus fidèle à l'intention de Ramón de laisser en français le mot d'origine, incompréhensible pour qui n'entend pas l'espagnol. L'espagnol cultivé, lui, comprend immédiatement ce mot comme voulant dire invention littéraire de Ramón Gómez de la Serna.
Le plaisir est bien sûr de chercher à rendre intelligible l' hébreu de Ramón. Quant à la phrase de Pascal, l'édtion de Le Guern la laisse sans note. En revanche, dans son édition des Pensées, le grand Léon Brunschvicg fait un rapprochement intéressant avec Rabelais. Voici la notule pour qui n'a pas la chance d'avoir sous la main l'édition en question :
" Il semble qu'il y ait là un souvenir d'un chapitre de Rabelais : Comment nous descendimes en l'isle d'Odes, en laquelle les chemins cheminent.... Puys se guindans au chemin opportun, sans aultrement se poiner ou fatiguer, se trouvoyent au lieu destiné ; comme vous voyez advenir à ceulx qui de Lyon ou Avignon et Arles se mettent en bateau sur le Rhosne,..." Cette pensée n'est-elle dans Pascal qu'une remarque isolée et sans portée ? Ou ne devrait-elle pas servir à titre de comparaison pour mieux faire entendre sa conception de l'éloquence ? Le discours est en effet pour Pascal un chemin qui marche et qui porte l'esprit à la conclusion où l'on tend." (Hachette, 1922, p.327)
Les greguerías de Ramón, elles, sont loin d'être toujours des chemins qui portent l' esprit à la conclusion où veut conduire leur auteur (pas sûr d'ailleurs qu'il ait toujours eu une conclusion à transmettre). Déconcerter, provisoirement ou non, était son intention.
Vu que la phrase de Pascal étonne aussi, certes moins par son sens que par sa fonction dans les Pensées, il était donc sensé de la part de Ramón de la voir comme une greguería.

Commentaires

1. Le lundi 15 avril 2019, 17:53 par gerardgrig
Si Ramón a détecté au moins une gregueria pascalienne, Lautréamont, dans ses "Poésies", a malmené les "Pensées" de Pascal d'une manière qui a eu un résultat très inquiétant. Si Lautréamont y a réussi aussi bien, c'est parce qu'il y a peut-être un surréalisme ou un "greguerianisme" potentiel dans les "Pensées" de Pascal. Quand Lautréamont écrit "Si la morale de Cléopâtre eût été moins courte, la face du monde aurait changé. Son nez n’en serait pas devenu plus long." (II-22), il ne fait qu'accentuer notre étonnement quand on découvre cette maxime de l'effet-papillon, à base de "long" nez. Pascal aurait dû écrire "Le nez de Cléopâtre, s'il eût été moins grec...". J'avoue que j'ai éclaté de rire, la première fois. Le "surréalisme" de Pascal est là. Il écrivait pour une élite éternelle, mais ses "Pensées" étaient lues par des lycéens pour qui le petit nez en trompette des filles était le canon suprême de la beauté féminine.
2. Le mercredi 17 avril 2019, 18:26 par Philalethe
Oui, Lautréamont parodie aussi La Rochefoucault et Vauvenargues, que j'ai aimé moi simplement commenter, à défaut d'avoir le talent de les retourner. 
Quant au surréalisme de Pascal, je l'interpréterai seulement métaphysiquement, comme synonyme de son surnaturalisme. Bourdieu a essayé de garder l'essentiel du pascalisme en extrayant réalisme et naturalisme de l'ensemble surnaturel de ses pensées. 

samedi 13 avril 2019

Greguería n° 14

" La pala es la primera y la última amiga del hombre, primero en la arena de los juegos infantiles y por fin descansando sobre el último montículo en el cementerio."
" La pelle est la première et la dernière amie de l'homme, d'abord sur le sable avec les jeux d'enfants et enfin reposant sur le dernier tas, au cimetière."