Comment vivre heureux si on est inquiet à l’idée de mourir ?
Épicure dans la lettre qu’il écrit au jeune Ménécée pense pouvoir dissiper la peur : il l'assure, nous ne vivrons pas notre mort, elle n’est pas du tout un objet d’expérience ni pour l'homme vivant ni pour le mort. Car Le mort, c’est l’homme totalement détruit, ensemble désorganisé d’atomes qui du fait de son désordre ne rend plus possibles l’esprit et ses expériences.
Nous pouvons certes objecter à Épicure que nous serons témoin de la mort des autres. Mais ce n’est pas cette mort-là, indirecte et au fond seule réelle pour nous, qui est censée gâcher la vie ; c'est la mienne, la mort propre, comme disent les philosophes, celle que j’attends à tort comme un événement et qui n’est que le nom désignant le passage instantané de la sensibilité à l’insensibilité.
Exit ma mort, reste pourtant la pensée de la vie menacée par elle à chaque instant. Comment alors ne pas identifier la vie mortelle à une vie malheureuse ? La souffrance ne vient-elle pas de l’impossibilité de satisfaire notre désir d’immortalité ? Platon dans Le Banquet a fait de ce désir une tendance essentielle : il la satisfait en faisant des enfants de chair ou, s'il est hors du commun, des œuvres qui lui survivront. Épicure, lui, pense que ce désir est un de ceux qui disparaissent quand les opinions fausses, qui les engendrent, ont été dissipées. En effet, pour qui a compris que le bonheur n’est que la disparition de la douleur physique et de la souffrance morale, la paix de l'esprit et du corps est accessible ici et maintenant. L’état heureux n’est donc pas au sommet d’une longue paroi dont l’escalade n’est jamais finie ; il est à la portée de quiconque satisfait simplement tous ses désirs naturels. Mourir à 40 ans plutôt qu’ à 80 ans c’est certes avoir une vie plus courte mais le bonheur ne prend pas de temps, on l’atteint dès qu’on ne souffre plus ; aussi l’homme bienheureux qui meurt ne perd-il rien d’autre que la répétition de la réjouissance qui déjà le comble et l'a comblé.
Vient alors à l’esprit l’objection de la douleur. Non certes la douleur mentale qui ne va guère avec l'effort de  sagesse mais celle des muscles, des entrailles, des os. En effet même si l’aspirant à la sagesse multiplie par son régime simple ses chances de conserver la santé, il n’est pas à l’abri d’une maladie ou d’un accident. Peut-on alors rester heureux ? Si la mort n’est pas à craindre, la douleur physique, elle, ne l’est-elle pas bel et bien ?