Dans Le viol des foules par la propagande politique (1952), Serge Tchakhotine donne un exemple de publicité " à l'américaine " :
" Une charcuterie de New-York eut l'idée de placer dans son local un pick-up, qui reproduisait les cris stridents et les hurlements des cochons qu'on égorge aux abattoirs ; cette charcuterie était toujours pleine de gens qui s'arrachaient les saucissons." (Gallimard, Tel, p. 130)
Le fait, s'il est vrai, est un exemple frappant de la relativité des dégoûts, puisqu'une telle bande-son ne pourrait aujourd'hui être diffusée que comme répulsif et non plus comme appât.
Certes il est courant encore aux arènes de Madrid, à las Ventas, que certains spectateurs aillent, juste après la corrida, acheter pour un bon prix quelques kilos de viande hâtivement découpés sur les victimes du combat et vite fourrés dans un sac en plastique. Bien sûr la mise à mort du taureau n'a sans doute pas excité le désir de consommer un bifteck prélevé sur lui mais les 20 mn de spectacle qui séparent le taureau sain du taureau mort n'ont pas produit non plus de répulsion chez les acheteurs en question.
J'ajoute que la charcuterie new-yorkaise ne produit pas une performance et ne donne pas l'occasion de s'extasier sur les qualités du taureau, ce que peut faire toute corrida devant un public d'initiés, si, par exemple, le taureau est remarqué pour sa noblesse et son courage (on sait même qu' en théorie un tel taureau peut être gracié, soigné et rendu pour toujours à l'élevage qui l'a produit).
Non, la charcuterie en question donne à entendre des manifestations de souffrance, ayant pour effet de mettre en appétit le client. On peut donc appeler ce type de réclame la réclame sadique : elle donne envie de consommer ce qui souffre parce qu'il souffre.
Bien peu de consommateurs de viande actuels se reconnaîtront dans le chaland new-yorkais et sans doute la plupart diront qu'ils ne pensent pas aux souffrances animales quand ils entrent chez le boucher et que, s'ils y pensaient, ou ça les laisserait froids ou ça les gênerait.
Or, manifestement, la bande-son assassine donne de la vigueur aux acheteurs, vu qu'ils rivalisent férocement pour s'approprier les saucissons.
Cette publicité, d'autant plus efficace qu'elle est un enregistrement direct dela mise à mort des animaux, Serge Tchakhotine la présente en premier lieu, avant une seconde, qui, elle aussi, est, selon lui, " à l'américaine ", mais à la différence de la première, ne nous surprend en rien :
" Le propriétaire d'un café laissa sortir dans la rue une cheminée de son four : les odeurs appétissantes se répandaient à l'entour et les passants venaient en grand nombre, attirés par ces excitations conditionnelles, qui provoquaient en eux l'envie de goûter aux plats préparés."
La surprise vient de ce que l'auteur met sur le même plan les deux situations, mais en fait cela se comprend dans le contexte d'un livre qui présente comme fondamental (pour la compréhension des hommes et plus généralement des êtres vivants) le réflexe conditionné, analysé par Pavlov (auquel l'ouvrage d'ailleurs est dédié).
Partant de de cette importance du réflexe conditionné, on peut donc faire l'hypothèse suivante concernant la cause du comportement des acheteurs de saucissons : loin d'être sadiques, ils sont conditionnés par une jeunesse qui a fait succéder de manière répétée à la mise à mort du cochon la consommation d'une charcuterie délicieuse. Une objection vient pourtant à l'esprit : les New-Yorkais ne sont pas principalement des paysans...
En outre, l'explication par les réflexes conditionnés, intégralement déterministe, peut être blessante pour le défenseur des animaux qui n'est plus alors vu comme juste et éclairé, donc méritant, mais simplement comme autrement conditionné. C'est d'ailleurs l'idée-maîtresse du livre : qu'il faut maîtriser les réflexes conditionnés pour conditionner les hommes au bien et ne plus laisser les habiles méchants (Hitler, Mussolini, Lénine, etc.) conditionner les hommes au mal.