samedi 24 septembre 2005

Anaxagore vu par Platon (2) : la clé du succès de Périclés.

Dans le Phèdre de Platon, Socrate ne parle plus d'Anaxagore comme l'auteur d'un ouvrage qui ne tient pas ses promesses mais comme le maître de Périclès. Ce dernier est d'après Socrate "parvenu au plus haut degré du talent oratoire" (269 e); cependant, curieusement, il ne le doit pas à une maîtrise incomparable de la rhétorique mais à l'apport d'Anaxagore. Le texte vaut pour son ambiguïté d'être cité in extenso selon la traduction de Jean-Paul Dumont (1988):
" Tous ceux des arts qui ont du prix réclament un complément de subtilité (Robin (1950) avait choisi "complément de bavardage"...) et de rêverie spéculative concernant la nature; car c'est bien de là que s'introduisent en eux la sublimité de pensée (pas de divergence cette fois avec la traduction de Robin) qui les caractérise, et la perfection de la mise en oeuvre. C'est justement de ce complément que Périclès a bénéficié, outre ses qualités naturelles. La raison en est, je crois, que, étant tombé sur quelqu'un comme Anaxagore, il se gorgea de rêveries spéculatives (c'est mot à mot la traduction de Robin) et en vint à considérer la nature à la fois de l'Intellect (qu'on n'oublie pas que l'Intellect ou l'Intelligence, traduction habituelle du nous grec, est le fondement du monde) et de l'absence d'intelligence, choses dont Anaxagore faisait grand cas; d'où il tira, pour l'appliquer à l'art de la parole, ce qui s'y rapportait." (ibid.)
Ni Périclès ni Anaxagore ne sortent grandis de ce passage. Le fameux homme politique tirerait son ascendant d'une connaissance douteuse et le philosophe ne serait au fond qu'un exceptionnel imaginatif (non, pas un délirant tout de même...). "Rêverie spéculative concernant la nature" traduit le grec meteorologia que Bailly dans son dictionnaire rend par "recherche concernant les corps célestes". Mais Robin dans une note justifie sa traduction en associant à ce même mot grec l'"étude des choses qui sont en l'air", d'où une double connotation selon que l'air rapproche du divin ou du vent ! Il semble donc ici que Platon fait le même usage ironique de l'expression qu'Aristophane dans les Nuées quand il place Socrate dans une nacelle au-dessus de la scène pour manifester à quel point les philosophes n'ont pas de contact avec la réalité. Aucun autre passage de Platon ne reprend cette charge contre Anaxagore, mais en revanche dans les Mémorables, Xénophon, disciple aussi de Socrate, attribue à son maître des propos sévères contre Anaxagore:
"En général, Socrate dissuadait (ses disciples) de s'adonner à l'étude de la manière dont Dieu règle les phénomènes célestes (...): "On courait, disait-il, en se consacrant à cette étude, le risque de divaguer rien moins qu'Anaxagore, qui eut l'extrême orgueil d'expliquer les mécanismes divins. Car quand il dit que le Soleil est de feu (on verra plus tard que la thèse a failli pour lui être mortelle), il oublie que les hommes peuvent facilement regarder le feu en face, alors qu'il est impossible de fixer le Soleil et que les rayons du Soleil font un teint bronzé, ce que ne fait pas le feu." (IV, 7, 6, trad. de Dumont)
Le sens de la critique est clair: la physique anaxagoréenne n'est pas à l'échelle de ce qu'elle vise à connaître. Prise au piège d'une métaphore (comme le feu, le soleil brille), elle manque la grandeur des choses célestes. Le regard en l'air, Anaxagore ne voit pourtant pas plus loin que le bout de son nez.

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