Caton est pour Sénèque un modèle de sagesse (rien d'original ni de surprenant).
Par exemple, dans La Constance du sage (VII 1) Sénèque se demande « si Caton (…) ne s’élève pas encore au-dessus du modèle que nous proposons »(éd.Veyne p.322). Dans De la providence (II 9-12), il présente aussi Caton comme le seul homme capable de fournir aux dieux un spectacle admirable:
« Je ne vois pas en vérité ce que Jupiter, s’il daigne s’intéresser à notre terre, peut y trouver de plus beau à contempler qu’un Caton, qui, malgré l’écrasement réitéré de son parti, demeure debout, inébranlable, au milieu de l’effondrement de la république » (ibidem p 296). Il n’est donc pas étonnant qu’à plusieurs reprises, à l’égal de Scipion, Caton serve à instruire Lucilius des possibilités de l’homme.
Par exemple, dans La Constance du sage (VII 1) Sénèque se demande « si Caton (…) ne s’élève pas encore au-dessus du modèle que nous proposons »(éd.Veyne p.322). Dans De la providence (II 9-12), il présente aussi Caton comme le seul homme capable de fournir aux dieux un spectacle admirable:
« Je ne vois pas en vérité ce que Jupiter, s’il daigne s’intéresser à notre terre, peut y trouver de plus beau à contempler qu’un Caton, qui, malgré l’écrasement réitéré de son parti, demeure debout, inébranlable, au milieu de l’effondrement de la république » (ibidem p 296). Il n’est donc pas étonnant qu’à plusieurs reprises, à l’égal de Scipion, Caton serve à instruire Lucilius des possibilités de l’homme.
Reste que dans la lettre 7 où Sénèque mentionne Caton pour la première fois dans la correspondance, ce dernier a une propriété inattendue : la fragilité.
Certes Caton est en bonne compagnie, entre Socrate (pas besoin de le présenter) et Laelius (surnommé Sapiens, c'est un homme politique et un orateur romain du 2ème siècle av.JC: il apparaît souvent sous un jour illustre dans les textes de Cicéron).
Cependant aussi exemplaires que soient ces trois grands hommes, ils servent à Sénèque à mettre en garde Lucilius contre la fréquentation du peuple (populus)
Certes Caton est en bonne compagnie, entre Socrate (pas besoin de le présenter) et Laelius (surnommé Sapiens, c'est un homme politique et un orateur romain du 2ème siècle av.JC: il apparaît souvent sous un jour illustre dans les textes de Cicéron).
Cependant aussi exemplaires que soient ces trois grands hommes, ils servent à Sénèque à mettre en garde Lucilius contre la fréquentation du peuple (populus)
Subducendus populo est tener animus et parum tenax recti : facile transitur ad plures. Socrati et Catoni et Laelio excutere morem suum dissimilis multitudo potuisset : Il faut soustraire au peuple un esprit jeune et trop peu attaché à ce qui est droit : il est facile de passer du côté du plus grand nombre. La foule, si différente de Socrate, Caton et Laelius aurait pu leur arracher leurs mœurs.
Baillard en 1914 traduisait ainsi le passage en question : « Socrate, Caton, Lélius eussent pu voir leur vertu entraînée par le torrent de la corruption » ; quant à la traduction de Pintrel revue par La Fontaine, elle donne : « Socrate, Caton et Lélie eussent peut-être changé de mœurs s'ils eussent vu quantité de personnes avoir des sentiments opposés aux leurs ». Noblot a jugé plus pertinent de traduire mos par principe : « Un Socrate, un Caton, un Lélius auraient pu, sous la poussée d’une multitude, à eux si peu semblable, quitter leurs principes »
Mais peu importent au fond les subtilités de traduction ; ce qui est marquant ici, c’est l’idée que le sage n’est pas sage à toute épreuve. Il y a comme une contingence de la sagesse qui certes repose sur l’effort et se mérite mais reste à la merci de la moindre foule. Même le sage par excellence, Socrate, ne cesse pas d'être un humain vulnérable. La faiblesse n’est donc pas propre au commençant : on ne peut rien en effet contre le peuple et le risque de contagion qu’il représente.
C’est certes traditionnel d’apprécier chez Sénèque la conscience qu’il a de ses (de nos ?) défauts. Ce qui est original ici à mes yeux, c’est qu’il étend cette même faiblesse aux parangons de vertu.
C’est certes traditionnel d’apprécier chez Sénèque la conscience qu’il a de ses (de nos ?) défauts. Ce qui est original ici à mes yeux, c’est qu’il étend cette même faiblesse aux parangons de vertu.
Bien sûr historiquement Socrate a été condamné à mort par le peuple athénien, mais il est toujours présenté dans les dialogues platoniciens comme un roc inébranlable. S’il est affaibli, c’est de l’extérieur et purement physiquement. En revanche, dans ces lignes de Sénèque, est évoquée la dégradation intime et intérieure d’une personne parfaite.
Commentaires
Est-ce que Sénèque ne reprend pas des passages épicuriens qui soutiennent en définitive des thèses stoiciennes. Ne cherche-t-il pas à convaincre un épicurien (Lucilius cf citation ci-dessous) au stoicisme ?
Lettre 23
Ceci dit, c'est vrai que les passages épicuriens cités sont en accord avec la doctrine stoïcienne, mais il reste que dès la deuxième lettre Sénèque désigne Epicure comme appartenant au camp qui n'est pas le sien (aliena castra) et se présente non comme transfuge mais comme explorator. C'est en fonction de ce rejet global de l'épicurisme - la réhabilitation de la doctrine reste donc partielle - qu'on peut se référer à une vérité locale de la sentence (qu'on pourrait donc opposer à une vérité systématique qui impliquerait toute la doctrine); c'est aussi parce que la sentence, indépendamment de l'ensemble systématique duquel elle est prélevée, sert la fin que se propose Sénèque dans la lettre où il la cite qu'on peut retenir l'expression de Foucault: valeur circonstancielle d'usage.
Il ne me semble donc pas qu'il y a incompatibilité entre les deux principes auxquels se réfère Foucault et la fonction que vous attribuez aux citations. Certes à la différence de l'ecriture des hupomnêmata, l'écriture est faite par soi et pour autrui; mais écrire pour autrui est aussi un exercice pour soi.
Je me rangerai volontiers à la suite de Régine Chambert. Il est vrai que si le but de Sénèque relevait de la réclame stoicienne, il aurait raté la publicité. En effet, Epicure est aussi cité dans les dernières lettres connues et Lucilius ne semble pas être devenu un prosélyte du stoicisme...
Foucault insiste « épreuve de soi », « le soi se mesure à lui-même », « lente découverte de soi », « patient exercice », « culture de soi », « souci de soi », « rapport à soi plein ». Néanmoins à la lumière des analyses de Foucault, je ne comprends pas le texte d’Epictète, Entretiens II, 22 (15-21) où il est écrit par exemple : « L’être vivant penche où se trouvent le moi et le mien (…) le moi peut être dans le corps, dans la volonté, dans les choses extérieurs »)
Cet acte est en effet un choix par lequel le moi peut à volonté devenir une chose soumise à la pression des choses ou un agent libre capable d'une visée morale: "C'est du côté où sont le moi et le mien que penche nécessairement l'être vivant. Sont-ils dans le corps, c'est qu'est le pouvoir qui nous domine. Dans la prohairesis il sera là. Dans les choses extérieures, là lui aussi." (p.155)
La page 66 est aussi éclairante; on y lit entre autres: "le stoïcisme a cherché à faire dériver la moralité d'une tendance primitive qui pousse le vivant à rechercher sa propre conservation et à sauvegarder pour cela l'intégrité de son être (...) Cette tendance est elle-même l'expression d'un rapport fondamental: l'oikeiôsis, l'appropriation initiale grâce à laquelle le vivant s'appartient, prenant immédiatement conscience de lui-même et reconnaissant son être comme le sien propre (oikeion)"