Il y a donc pour Lucilius un meilleur moyen de progresser, c’est de venir voir Sénèque.
De toute évidence, ce dernier met la parole vivante (vox viva) au-dessus du discours (oratio). Noblot traduit oratio par discours écrit. Je me demande s’il ne convient pas davantage d’opposer ici la parole spontanée au texte composé, qu’il soit écrit ou oral, l’idée me paraissant être que l’oratio peut faire illusion alors que la vox viva révèle ce qu’il en est de l’homme. La première raison que Sénèque donne pour justifier le fait que Lucilius doit venir sur les lieux (in rem praesentem venire) est que les hommes croient plus dans leurs yeux que dans leurs oreilles (homines amplius oculis quam auribus credunt). Or, il semble y avoir une contradiction entre l’éloge de la parole vivante et la valeur accordée non à l’ouïe mais à la vue. Mais il n’en est rien car si la parole vivante est formatrice, ce n’est pas en tant qu’elle est porteuse d’un contenu mais en tant qu’elle exemplifie une conduite exemplaire. Ainsi la deuxième raison est tout à fait intelligible :
De toute évidence, ce dernier met la parole vivante (vox viva) au-dessus du discours (oratio). Noblot traduit oratio par discours écrit. Je me demande s’il ne convient pas davantage d’opposer ici la parole spontanée au texte composé, qu’il soit écrit ou oral, l’idée me paraissant être que l’oratio peut faire illusion alors que la vox viva révèle ce qu’il en est de l’homme. La première raison que Sénèque donne pour justifier le fait que Lucilius doit venir sur les lieux (in rem praesentem venire) est que les hommes croient plus dans leurs yeux que dans leurs oreilles (homines amplius oculis quam auribus credunt). Or, il semble y avoir une contradiction entre l’éloge de la parole vivante et la valeur accordée non à l’ouïe mais à la vue. Mais il n’en est rien car si la parole vivante est formatrice, ce n’est pas en tant qu’elle est porteuse d’un contenu mais en tant qu’elle exemplifie une conduite exemplaire. Ainsi la deuxième raison est tout à fait intelligible :
« longum iter est per praecepta, breve et efficax par exempla » ( = le chemin est long par les préceptes, court et radical par les exemples)
La voix en direct ne donne donc pas aux préceptes un pouvoir plus fort de conviction, elle illustre à sa manière la conformité d’une vie aux préceptes. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que Sénèque aille jusqu’à mettre au second plan les paroles de Socrate :
« Platon et Aristoteles et omnis in diversum itura sapientum turba plus ex moribus quam ex verbis Socratis traxit » ( = Platon et Aristote et toute cette troupe de sages qui allait prendre une direction opposée ont plus tiré des mœurs de Socrate que de ses paroles)
Il y aurait donc deux paroles : l’une, scolaire, qui, du point de vue de la formation, ne vaut pas plus que l’écrit, c’est celle qui se réduit à être le véhicule des règles ; l’autre qui manifeste l’accord de la vie avec la doctrine : il ne paraît donc même pas nécessaire que cette parole se réduise à formuler les vérités doctrinales. Quoi qu’elle dise – mais certes elle ne peut tout de même pas dire n’importe quoi –, elle montre ce qui doit être imité par le disciple. Aussi il ne s’agit pas tant pour lui d’écouter une vérité qui coulerait des lèvres mêmes du maître que de vivre avec lui :
« Zenonem Cleanthes non expressisset, si tantummodo audisset : vitae eius interfuit, secreta perspexit, observavit illum, an ex formula sua viveret » ( = Cléanthe n’aurait pas reproduit Zénon, s’il l’avait seulement écouté : il a participé à sa vie, il a vu clairement les choses secrètes, il a observé s’il vivait selon sa règle)
Comme des soldats qui logent sous la même tente – en effet Sénèque utilise le terme militaire de contubernium pour caractériser la camaraderie d’Epicure et de ses disciples -maître et disciple cohabitent : aucune vie privée ne permet donc au maître de cacher des vices. Quant elle n’est jamais à l’abri des regards, la conduite est transparente : pas d' idée chez Sénèque d’une intériorité secrète et impénétrable qui réduirait la possibilité pour le disciple de connaître en profondeur ce qu’il en est de son maître.
J'ajoute pour terminer que ces quelques lignes consacrées à Cléanthe donnent à la figure du disciple un relief inattendu : en effet par le regard pénétrant (perspexit) et le souci de vérifier, de surveiller (observavit), il a quelque chose sinon de l’espion du moins du contrôleur méfiant qui ne veut pas s’en laisser compter par un maître dont seule la parole serait magistrale.
Doit-on aller jusqu’à penser que par sa présence attentive le disciple contribue au perfectionnement du maître, au sens où ce dernier, constamment sous le regard de celui qu’il veut transformer, fait correspondre au plus près ses actions à ses principes ? Est-ce ce que veut dire Sénèque dans la phrase qui clôt ce passage ?
J'ajoute pour terminer que ces quelques lignes consacrées à Cléanthe donnent à la figure du disciple un relief inattendu : en effet par le regard pénétrant (perspexit) et le souci de vérifier, de surveiller (observavit), il a quelque chose sinon de l’espion du moins du contrôleur méfiant qui ne veut pas s’en laisser compter par un maître dont seule la parole serait magistrale.
Doit-on aller jusqu’à penser que par sa présence attentive le disciple contribue au perfectionnement du maître, au sens où ce dernier, constamment sous le regard de celui qu’il veut transformer, fait correspondre au plus près ses actions à ses principes ? Est-ce ce que veut dire Sénèque dans la phrase qui clôt ce passage ?
« Nec in hoc te accerso tantum, ut proficias, sed ut prosis : plurimum enim alter alteri conferemus » ( = et je ne te demande pas seulement de venir pour que tu progresses, mais pour que tu sois utile : en effet l’un à l’autre nous nous apporterons beaucoup )
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