vendredi 24 juin 2005

Cléoboulos ou l'amitié comme processus et non comme état.

Lisant Epicure, j’ai eu l’impression que si le philosophe a des amis, ils sont gagnés pour toujours et sont amis comme la pierre est pierre, constituant à plusieurs ce rempart invulnérable qui le protège des autres. Quant aux ennemis, ils sont ennemis jusqu’à la moëlle (1) mais pourtant complètement inoffensifs pour celui qui s’est enfermé dans la citadelle de l’amitié. Je réalise cependant la rigidité quasi manichéenne de l’opposition en lisant que Cléoboulos « disait qu’il faut rendre service à son ami, pour qu’il soit (encore) plus un ami ; à son ennemi pour s’en faire un ami. Car il faut se garder du reproche de ses amis et du complot de ses ennemis. » (I, 92) Ici l’ami perd de sa subtance et glisse vers l’ennemi virtuel, comme l’ennemi réel, qui n’a rien de définitif. L’amitié apparaît plus comme un idéal vers lequel on tend par accumulation des obligeances que comme une donnée. L’ami est celui que je risque de perdre si... Quant à l’inimitié, ce n’est pas un fait, mais le point de départ des actions qui visent à la réduire. Les hommes sont convertibles en leur contraire, ce qui me paraît peu en accord avec la pensée épicurienne. En plus, l’ami attend le service, comme un dû à payer sous peine de faute, tandis que l’ennemi cherche, lui, à nuire. Par inertie, on court donc à la catastrophe, c-à-d à l’inimitié universelle ; avec des efforts, on progresse vers l’ entente sans exception. Il faut donc toujours donner, ou bien pour augmenter la proximité, ou bien pour réduire la distance. Je repense à Chilôn qui a violé la loi pour rendre service à un ami et à Bias qui lui aussi pensait l’amitié et l’inimitié comme aisément transformables en leur contraire :
« Il disait qu’il était plus agréable de juger entre deux ennemis qu’entre deux amis ; car nécessairement d’un des amis on se fera un ennemi, tandis que d’un des ennemis on se fera un ami. » (I, 87)
Ces premiers sages ne sont pas au-dessus des hommes, ils sont au milieu d’eux, fragilement.
(1) Ajout : en fait, n'est-ce pas doute'un douteux ? Toute conversion à l'épicurisme réalise le passage d'un ennemi possible à un ami actuel et définitif

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire