jeudi 1 septembre 2005

Épiménide : être un sage, ce n'est pas forcément être éveillé.

La vie d'Epiménide ne ressemble à aucune des vies précédentes. Certes les premières lignes donnent le change: comme souvent, Diogène Laërce fait sa généalogie en présentant des alternatives; dans son cas, on ne sait pas en fait de qui il est le fils. Ceci dit, j'ai bientôt l'impression gênante de lire le début d'une histoire fantastique:
" Envoyé un jour par son père dans la campagne pour rechercher un mouton (ce sage semble donc avoir été d'abord un berger, du moins un paysan), il dévia de son chemin à midi (il se perd donc à l'heure où il fait le plus clair) et il s'endormit dans une grotte pour cinquante-sept ans. En se réveillant après tout ce temps, il cherchait le mouton, croyant avoir dormi peu de temps (voilà bien une illustration hyperbolique du caractère trompeur de la conscience humaine ! ). Comme il ne le retrouvait pas, il vint dans le champ: découvrant que tout avait changé et appartenait à quelqu'un d'autre, il revint vers la ville, tout perplexe. Et là, entrant dans sa maison il rencontra des gens qui lui demandèrent qui il était, jusqu'à ce qu' il trouve son plus jeune frère, maintenant déjà âgé (est-il devenu, le temps passant, le tout petit frère de son pourtant jeune frère ?) et apprenne de lui toute la vérité. Quand on l'eut reconnu, il fut considéré chez les Grecs comme l'homme le plus aimé des Dieux (pour avoir dormi cinquante-sept ans ? Etrange ! Subir passivement pendant une si longue durée le passage du temps, n'avoir donc aucune action à mettre à son compte et néanmoins être le favori des dieux ! A moins que la faveur divine ne se traduise par le maintien d'une apparence juvénile ?) (I, 109)
Je ne sais que penser de cette histoire: dois-je en tirer l'idée qu'est sage celui qui reste le même alors que tout change autour de lui ? Ce long endormissement à l'abri de tout serait-il une allégorie paradoxale ? En sorte que je pourrais faire de cet enfant immobilisé par le sommeil l'illustration de l'éveil vigilant du stoïcien par exemple, enfermé dans sa citadelle intérieure ? Comment ne pas penser aussi à la Caverne platonicienne, d'où il faut s'enfuir au plus tôt si on veut découvrir la réalité ensoleillée du monde intelligible ? Bizarre Epiménide qui fait ici l'inverse, en s'enfonçant dans une grotte pour presque toute une vie alors que le soleil est à son acmé !
Ajout du 04/09/12 :
Dans Timon ou le Misanthrope de Lucien, Timon reproche à Zeus de ne pas se manifester et mentionne à cette occasion le sommeil de 57 ans d' Épiménide :
" Alors, décide-toi maintenant enfin fils de Cronos et de Rhéa, secoue ton profond et doux sommeil - tu as déjà battu le record d' Épiménide ! -, ranime la flamme de ton foudre et rallume-le à l'Etna, fais-nous un grand feu d'artifice et nous montre une colère de Zeus vaillant et impétueux, à moins qu'il n'y ait du vrai dans les histoires que racontent les Crétois sur toi et le tombeau que tu aurais dans leur île."
Avant la grande nouvelle diffusée par Nietzsche que Dieu est mort, Lucien discrètement évoque la possibilité de la mort de Zeus.

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