vendredi 20 avril 2007

Les fins contrastées de Xénophane.

Les dernières lignes que Diogène Laërce consacre à Xénophane le décrivent d’abord en tant que maître (de lui) puis en tant qu’esclave (des autres).
1) Le maître :
« Selon Démétrios de Phalère dans son traité Sur la vieillesse et selon Panétius le Stoïcien dans son traité Sur l’égalité d’humeur, il ensevelit ses fils de ses propres mains, comme Anaxagore. » (IX 20)
Il y a mille manières d’ensevelir ses enfants mais le titre du traité de Panétius laisse penser que Xénophane est resté de marbre.
Dans De la tristesse (Essais Livre I Chapitre II) Montaigne écrit :
« C’est une qualité tousjours nuisible, tousjours folle, et, comme tousjours couarde et basse, les Stoïciens en défendent le sentiment à leurs sages. »
Reste qu’ être impassible ne signifie pas nécessairement incarner à la perfection l’idéal d’apathie ; dans le même essai, Montaigne en donne plusieurs exemples, dont celui-ci :
« En la guerre que le Roy Ferdinand fit contre la veufve de Jean Roy de Hongrie, autour de Bude, Raïssiac, capitaine Allemand, voïant raporter le corps d’un homme de cheval, à qui chacun avait veu excessivement bien faire en la meslée, le plaignait d’une plainte commune ; mais curieux avec les autres de reconnoistre qui il estoit, après qu’on l’eut désarmé, trouva que c’estoit son fils. Et, parmi les larmes publicques, luy seul se tint ses yeux immobiles, le regardant fixement, jusques à ce que l’effort de la tristesse venant à glacer ses esprits vitaux, le porta en cet estat roide mort par terre. »
La faiblesse n’épargne pas les philosophes si l’on en croit la dernière anecdote rapportée par Montaigne :
« Pour un plus notable tesmoignage de l’imbécilité humaine, il a été remarqué par les anciens que Diodorus le Dialecticien mourut sur le champ, espris d’une extrême passion de honte, pour en son eschole et en public ne se pouvoir desvelopper d’un argument qu’on luy avoit faict. »
Les deux dernières phrases laissent entendre que c’est seulement à partir d' un fond de nature que les raisonnements éthiques aident à mieux vivre :
« Je suis peu en prise de ces violentes passions. J’ay l’appréhension naturellement dure ; et l’encrouste et espessis tous les jours par discours. »
Hume pensera dans la même direction :
« Celui qui sans préjugés considère le cours des actions humaines découvrira que l’humanité est presqu’entièrement guidée par sa constitution et son tempérament, que les maximes générales ont peu d’influence, et dans la seule mesure où elles émeuvent notre goût ou notre sentiment. »(Le Sceptique 1742 in Essais moraux, politiques et littéraires p. 219 Ed. Alive 1999)
Finalement Xénophane était peut-être déjà esclave de son caractère avant d’être asservi dans un sens moins contestable.
2) L’esclave :
« On pense qu’il a été vendu comme esclave (…) par les Pythagoriciens Parméniscos et Orestadas comme le dit Favorinus dans le livre I de ses Mémorables. » (20)
Jean-Paul Dumont dans son édition des textes réunis par Diels (1903) traduisait ainsi:
« On croit qu’il fut vendu comme esclave, (et affranchi ) par les pythagoriciens Parméniscos et Orestadas etc »
La note 6 (p.1217) indique laconiquement : « Doublet de la Vie de Platon de Diogène Laërce, d’après H.Diels. ». Cela signifie, j’imagine, que Laërce aurait, à l’occasion de la vie de Xénophane, répété un trait déjà narré dans la biographie de Platon.
Mais les parenthèses demeurent tout de même énigmatiques. La philologie ayant progressé, Jacques Brunschwig crache le morceau :
« Sans doute parce qu’il lui paraissait impensable que deux philosophes aient pu en vendre un troisième, Diels suppose ici un saut du même au même, qu’il comble partiellement par quelques mots signifiant « et racheté » ; l’honneur des Pythagoriciens est sauf. D’autres, pensant à une liaison par association d’idées, remplacent péprasthai (= vendu comme esclave) par tétaphtai (« enseveli ») »
Ah ! Sous ces philologues scrupuleux se cacheraient quelquefois des hommes scandalisés...
Mais alors comment comprendre ce commerce, à première vue, bien peu philosophique ?
Dans la notice qu’il consacre à Orestadas de Métaponte, l’un des deux « coupables », Constantino Macris reprend surtout les remarques de Jacques Brunschwig mais il finit tout de même par quelques lignes suggestives :
« De telles anecdotes, comme d’autres illustrant les rapports de Parménide avec la secte, ne font qu’effleurer, en le transposant sur le plan biographique, le problème assez compliqué de la relation – ambiguë, et peut-être même tendue – entre pythagorisme et éléatisme. » (Dictionnaire des philosophes antiques IV p.799)
La lecture allégorique a le mérite de rester fidèle et au texte et à la représentation que l’on se fait des relations normales entre philosophes. Lisons donc « deux pythagoriciens vendent comme esclave Xénophane » comme voulant dire « le pythagorisme est parti en guerre contre le xénophanisme ». Peut-être.
Mais, au fond deux philosophes ne pourraient-ils pas bel et bien en vendre un troisième et rester philosophes ?
J’ai l’idée que deux compères cyniques n’auraient pas répugné à donner sous cette forme une bonne leçon d’indépendance à un philosophe, par exemple, tenté de flatter les puissants.
« Tu veux servir et ben tiens donc ! »…

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