mercredi 25 avril 2007

Digression VIII: les philosophes antiques et la grève ! (1)

Imaginons un lecteur, prenant au pied de la lettre le titre de mon blog et cherchant donc dans la philosophie antique de quoi l’orienter dans la réponse à une question précise à laquelle le conduit sa vie professionnelle: dois-je faire grève ? Les philosophes antiques, n’ayant pas eu la possiblité de prendre position sur cette modalité d'action, voyons alors ce que leurs textes inclineraient à penser plus généralement du refus d’obéissance à finalité revendicative.
Le sceptique tendrait à convaincre mon lecteur du fait que les bonnes raisons de faire la grève sont aussi nombreuses que celles de ne pas la faire. Il serait ainsi précieux pour fournir à chaque camp un argumentaire exhaustif. Bien sûr l’usage partisan d’un tel argumentaire serait d’autant plus efficace que l’argumentaire adverse serait ignoré. Mais, connaissant les deux discours pour les avoir produits , que ferait donc le sceptique ? N’ayant pas plus de raisons de faire grève que de ne pas la faire, il ne peut pas décider de ne rien faire car ne rien faire, c’est ou ne rien faire pour faire grève ou ne rien faire pour ne pas faire grève. N’est-ce pas finalement la situation qu’évoque Descartes dans la Quatrième Méditation quand il caractérise la liberté d’indifférence ? Le sceptique n’a pas plus de raisons de choisir la grève que la non-grève mais, au moment du jour fatidique, il ne peut pas ne pas choisir.
Descartes, lui, croit que la décision de l’homme volontaire est handicapée par un défaut de lucidité, son idée étant qu'il y a toujours une solution meilleure que les autres. Mais le sceptique ne pense pas qu’on puisse justifier l’idée qu’une solution est objectivement meilleure : il a juste réalisé que les efforts pour prouver la supériorité de l’une sont vains. Il ne regrette donc de ne pas avoir un plus haut degré de liberté, celui où la décision serait éclairée par une connaissance réelle de la valeur de la grève ou du moins de la valeur de cette grève-ci dans ce contexte-là.
Sur ce fond indépassable d’indétermination, le sceptique réglerait la question du choix en suivant ou l’usage (dans le cas d’une collectivité habituée à faire grève) ou l’opinion générale, non parce qu’ils seraient porteurs de vérité mais parce que l’un et l’autre permettent de se décider (quand on ne peut pas ne pas le faire : en effet s'il restait chez lui à réfléchir, il ferait grève, objectivement du moins) sans justifier la décision par la vérité ou la fausseté.
On pourrait peut-être lui rétorquer qu'il juge vrai qu'il est meilleur, dans ce cas de figure, de suivre l'usage ou la majorité que de ne pas le faire et que donc, malgré lui et tous ses efforts, le hante l'image d'une vie bonne, celle qui, à défaut d'être prouvée bonne, est bonne par défaut.

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