dimanche 3 février 2008

Sénèque (1): une manière possible de comprendre l'expression "se posséder".

A Geneviève G., qui m'a parlé du temps qui passe.
Depuis fin juin que j’ai pensé en avoir fini avec mon cher Diogène Laërce, me faisait défaut un opus magnum offrant de quoi méditer sur les styles antiques de vie.
Un temps, j’ai cru le trouver dans les Vies de Plutarque.
En fait c’est Sénèque et ses Lettres à Lucilius qui l’ont emporté (une des raisons: j’ai appris autrefois le latin et donc les traductions dont je dispose ne sont pas trop contraignantes).
Me voici donc parti pour une série de réflexions sur cette direction de conscience que le philosophe stoïcien a exercée à l’égard de son ami Lucilius dont je donnerai en premier lieu comme une fiche signalétique inspirée en partie du Dictionnaire des philosophes antiques dirigé par R.Goulet (l’article est extrait du quatrième volume – 2005 – et a été rédigé par Régine Chambert ).
Gaius Lucilius Junior : né vers l’an 5, moins âgé que Sénèque (- 4), chevalier, procurateur en Sicile vers 63-64, à plusieurs reprises inquiété par le pouvoir impérial (Caligula, Néron). Philosophe et poète dont l’œuvre est perdue. Dans la lettre 46, Sénèque dit avoir « dévoré tout entier » (« exhausi totum » – trad. de Henri Noblot Les Belles Lettres 1947 -) le livre de Lucilius qu’il vient de recevoir, tant la langue en est charmante. Quelques-uns de ses vers, sentencieux, ont été grâce à Sénèque sauvés de la perdition : « N’est pas tien ce que fortune a fait tien », « Bien qu’on a pu donner peut être repris » (lettre 8), « La mort ne vient pas en une fois ; il est une dernière mort, celle qui nous emporte » (lettre 24). Son identité philosophique n’est pas déterminable mais, c’est certain, il était désireux de passer d’une vie publique à une vie philosophique, Sénèque ayant comme fonction de lui montrer le chemin.
La première lettre est consacrée au temps.
C’est par un terme de droit que Sénèque commence sa première lettre : « vindica te tibi », Noblot traduisait « revendique tes droits sur toi-même », Novarra: « entreprends de te libérer toi-même ».
Ce que je dois réclamer comme étant ma propriété, c’est moins moi-même que mon temps. La première phrase m'engage en effet à devenir maître de mon temps. Ce qui y fait obstacle est autant les autres que moi-même.
D’abord autrui qui a deux manières de me priver du temps : ouvertement ou furtivement (« tempus (…) aut auferebatur aut subripiebatur »). Le temps m'est arraché (Sénèque emploie aussi plus bas le verbe eripere) ou subtilisé (subducere). La conscience du danger que représentent les autres n’est donc que partielle dans la mesure où je ne réalise pas constamment que je ne maîtrise pas mon temps.
Mais c’est moi-même aussi qui ne sais pas le retenir. (« tempus (…) excidebat ») : comme une parole qui sort de ma bouche mais que je ne veux pourtant pas dire, comme l’eau que je ne peux saisir, le temps m’échappe.
Ce que Sénèque décrit ainsi n’est pas le rapport qu'en tant qu'homme j'ai nécessairement avec le temps mais un rapport personnel vicié par ma neglegentia (« incurie » selon Noblot, « négligence » selon Novarra). Ce vice s’exprime de trois manières : mal (male) faire, ne rien (nihil) faire, faire autre chose (aliud). Ce que me demande donc Sénèque, ce n’est pas d’avoir du temps pour moi mais d’occuper mon temps à bien faire ce que je dois. La vie philosophique est donc de l’ordre du faire (agere), de l'action et ne se réduit pas à penser correctement, lucidement les emplois du temps qui hasardeusement m'échoient.

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