dimanche 21 septembre 2008

Maxime philosophique, proverbe philosophique, cliché philosophique. Réflexions à partir d'un passage de Vincent Descombes.

Dans Philosophie par gros temps (1989), Vincent Descombes commentait déjà le passage des Fleurs de Tarbes (1941) où Jean Paulhan mettait en scène l’abbé de Saint-Pierre refusant d’appeler formule une vérité qu’il avait mis trente ans à découvrir (« ceci est bon, pour moi, quant à présent ») :
« Paulhan a contrasté avec bonheur les misères du langage personnel – mon idée n’est plus qu’un mot pour celui qu’elle ne frappe pas, mon mot pourrait bien n’être qu’un cliché – et la stabilité rassurante des lieux communs, des proverbes, des locutions éprouvées. Il y a une vie différente des pensées dans la réflexion personnelle de quelqu’un et dans la culture d’un groupe. Les mêmes phrases peuvent figurer ici et là. Elles n’ont ni la même force rhétorique sur un public ni la même espérance de vie » (p.18)
Dans la suite du passage, Descombes oppose clairement la maxime philosophique au proverbe philosophique : dans les deux cas, c’est un axiome qui est énoncé - du genre « la force ne fait pas le droit » - mais la maxime est « le résultat d’un travail de pensée », « la pensée d’un philosophe et de ceux qui sont de son avis » tandis que le proverbe est la maxime devenue lieu commun. Sa fonction est rhétorique et éristique, il sert dans la discussion à se défendre ou à attaquer. Une fois entré dans le domaine public, le proverbe est invulnérable aux objections qui viennent des philosophes. Descombes distingue ainsi nettement la philosophie de la quasi-philosophie du public (qu’il désigne aussi du nom d’idéologie et de bon ton philosophique).
Il semble donc justifié de faire correspondre la maxime philosophique à la pensée profonde et le proverbe philosophique à la formule creuse. La différence entre les deux n’est clairement pas une question de vérité mais une affaire de genèse et d’usage : la maxime naît d’un effort de pensée et constitue un outil de réflexion, le proverbe est accepté comme une évidence et sert à avoir les idées "claires".
Désormais l’identité de l’abbé de Saint-Pierre est cruellement déterminable : il a bien une idée mais ce n’est pas une maxime car la maxime est réellement une « invention riche de sens » (il doit y avoir une distinction entre inventer et croire inventer – le problème ne se poserait pas différemment, sur le point qui m’intéresse, si on remplaçait inventer par découvrir -). En fait, l’abbé, qui croit produire une maxime, fait un mot qui, après réflexion, se révèle un cliché – je ne chercherai pas ici à préciser ce qui distingue un mot d’un cliché -. Reste que ce cliché n’est pas un proverbe philosophique car les interlocuteurs de l’abbé ne l’auraient pas alors plaisanté : ils auraient acquiescé ou se seraient défendus à l’aide d’autres proverbes. Le cliché, c'est le proverbe, moins la force rhétorique, autrement dit le proverbe déchu, c’est-à-dire privé de l’aura d’une raison philosophique.
Il y a donc non pas deux types de phrases philosophiques mais trois : la maxime, le proverbe et le cliché.
Le philosophe est celui qui a le pouvoir de faire entrer dans les discussions, via ses maximes, de nouveaux proverbes.
Le faux philosophe, que l’abbé de Saint-Pierre représenterait ici, croit pouvoir faire de même mais, aux yeux de tous, il énonce des clichés.
L’intellectuel – je reprends ici l’usage que Descombes fait dans ces pages de ce terme – est, lui, un énonciateur de proverbes philosophiques à la mode : comme les interlocuteurs de l’abbé de Saint-Pierre, il se sent en droit de se gausser des énonciateurs de clichés.
Reste que la question du rapport de ces trois énoncés à l’action est encore non élucidé. Mais il semble que, vue désormais sous ce jour, la formule creuse – dont la dépréciation n’est justifiée que du point de vue de la connaissance théorique, c’est-à-dire quand il s’agit d’ajuster nos idées au monde – peut entrer comme élément – autant que le proverbe ou la maxime – dans une délibération pratique - où il s’agit alors d’ajuster le monde à nos idées. C’est certain en tout cas qu’aucune de ces trois phrases philosophiques n’a par elle-même, je veux dire sans la volonté, le pouvoir de faire passer à l’action.

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