vendredi 1 mars 2013

Fontenelle se moque des Anciens et des Modernes.

Au sein des Nouveaux Dialogues des morts, il est des échanges attendus plus que d'autres. Par exemple, celui entre Socrate et Montaigne. Mais, irrespectueux, le jeune Fontenelle fait d'eux de médiocres raisonneurs.
Joueur, il donne au moderne Montaigne la nostalgie de l'antique et à Socrate l'ancien la confiance dans les lointains temps à venir.
Socrate : (…) Comment va le monde ? N'est-il pas bien changé ?
Montaigne : Extrêmement. Vous ne le reconnoîtriez pas.
Socrate : J'en suis ravi. Je m'étois toujours bien douté qu'il falloit qu'il devînt meilleur et plus sage qu'il n'étoit de mon temps.
Quant à Montaigne qui cherchait désespérément Socrate, il montre bien vite son incohérence : au moment même où il fait l'éloge du passé, il professe la croyance dans une nature humaine essentiellement irrationnelle :
« Les hommes de tous les siècles ont les mêmes penchants, sur lesquels la raison n'a aucun pouvoir. Ainsi, partout où il y a des hommes, il y a des sottises, et les mêmes sottises. » (on se rappellera que la sottise est le fond de commerce de feu Pierre Arétin)
Certes Socrate marque un point en avertissant Montaigne de son inconséquence mais le voilà parti dans la défense d'un point de vue fixiste, qui rétrospectivement, rend bien légère l'espérance placée par lui au début dans les temps à venir. Dans ce cadre, Socrate propose une genèse purement psychologique de l'attachement aux Anciens :
« Ce qui fait d'ordinaire qu'on est si prévenu pour l'antiquité, c'est qu'on a du chagrin contre son siècle, et l'antiquité en profite. On met les anciens bien haut, pour abaisser ses contemporains. » (on pense à La Bruyère : "Quelques habiles prononcent en faveur des anciens contre les modernes ; mais ils sont suspects et semblent juger en leur propre cause, tant leurs ouvrages sont faits sur le goût de l'antiquité : on les récuse.")
Alors Montaigne l'héraclitéen invoque l'évidence de la différence des époques. Mais Socrate reconnaît à la fois les changements de mode et la permanence de l'immoralité.
On dit que Fontenelle a pris parti pour les Modernes, certes, mais dans ces lignes il échappe à l'alternative, comme s'il reprochait aux Anciens d'être victimes d'un mécanisme psychologique qui dans leur dos les fait se tourner vers le passé et aux Modernes de ne pas prendre au sérieux la constance de la nature.
Aucune croyance dans le progrès en tout cas :
« Sur ce nombre prodigieux d'hommes assez déraisonnables qui naissent en cent ans, la nature en a peut-être deux ou trois douzaines de raisonnables, qu'il faut qu'elle répande par toute la terre ; et vous jugez bien qu'ils ne se trouvent jamais nulle part en assez grande quantité pour y faire une mode de vertu et de droiture. »
Au fond, les Modernes comme les Anciens font la même erreur : ils ne réalisent pas la régularité de « l'ordre général de la nature ». L'amour-propre entre autres les conduit à croire dans les irrégularités, dans les exceptions ; ils se distinguent juste par l'identification de l'époque exceptionnelle.

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