lundi 8 juillet 2013

Le désert platonicien : l'équivalent de l'état de nature.

Il faut attendre le 17ème siècle (Hobbes, Spinoza etc.) pour que le concept d'état de nature soit déterminé dans son sens politique, par opposition à l'état de société.
Reste que quelques lignes de Platon, dans le cadre de ce que certains appelleraient peut-être aujourd'hui une expérience de pensée, décrivent exactement ce qui sera désigné plus tard par le concept d'état de nature.
C'est dans La République, à l'occasion d'une analyse psychologique et politique de la tyrannie, où Platon compare le tyran au propriétaire d' esclaves :
" Socrate : Ces particuliers, que leur richesse a rendu propriétaires dans les cités de nombreux esclaves, ont avec les tyrans ceci de commun, ils commandent à plusieurs, et le tyran ne diffère que par le nombre de ceux auxquels il commande.
Adimante : C'est une différence en effet.
S. : Or, tu sais bien que ces gens-là mènent une vie tranquille et qu'ils ne craignent pas leurs domestiques ?
A. : De quoi auraient-ils peur, en effet ?
S. : De rien, mais en vois-tu la raison ?
A. : Oui, c'est que la cité toute entière prête assistance à chacun des individus particuliers." ( 578 d )
Dit autrement, si le maître ne craint pas ses esclaves, pourtant bien plus nombreux que lui, c'est parce que l'Etat, soutenant l'esclavage, empêche leur révolte ( en passant, on notera que Platon ne présente pas l'argument défendu par Rousseau dans Du contrat social et aussi, bien antérieurement, par La Boétie, selon lequel les esclaves ont intériorisé la soumission ). Logiquement Socrate va alors faire comprendre ce qui nécessairement se passerait s'il n'y avait pas de société organisée autour d'un État et c'est ici qu'on voit apparaître, à travers la représentation du désert, l'équivalent platonicien de l'état de nature :
" Socrate : Bien vu, mais alors, si quelque dieu retirait de la cité l'un de ces particuliers qui possède une cinquantaine d'esclaves ou même plus, et le transférait, lui, son épouse et ses enfants, avec tous ses biens et tous ses domestiques dans un désert, où il ne pourrait recevoir l'assistance d'aucun homme libre, dans quel état de crainte, en proie à quelles frayeurs crois-tu qu'il se trouverait en pensant à son sort, à celui de son épouse et de ses enfants, craignant constamment d'être assassiné par ses serviteurs ? "
On pourrait même se laisser aller jusqu'à dire que, par cette référence à la peur, ce désert platonicien a quelque chose de l'état de nature selon Hobbes... En effet, comme la suite le montre, les réactions du maître vont être bel et bien dictées par la peur de mourir :
" Adimante : La crainte s'emparerait entièrement de lui.
Socrate : N'en serait-il pas dès lors réduit à rallier à sa cause certains de ses esclaves, à leur faire quantité de promesses, à les affranchir sans y être contraints, bref n'apparaîtrait-il pas lui-même comme le flatteur de ceux qui sont pourtant à son service ?
A. : Ce serait pour lui une nécessité contraignante s'il veut éviter de périr."
Pris en lui-même, ce passage contient finalement l'idée que l'esclavage n'a rien de naturel et qu'il est le produit d'un rapport de forces institué par l'État...

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