jeudi 1 mai 2014

La femme, le pudding, la pièce, le pain, le vin, le cheval, l'outil.

Il n'y a pas de grand homme pour son valet de chambre, non parce que l'homme manque de grandeur, mais parce que le domestique n'est sensible qu'à la petitesse.
Aujourd'hui, je vais jouer au valet avec Louis Althusser dans le rôle du grand homme. En lisant les lignes suivantes, j'a pensé à Richard Rorty qui, par anti-sexisme, utilise dans ses textes she, au lieu de he, pour désigner homo, l'être humain.
Dans le chapitre 3 de son Introduction à la philosophie pour les non-philosophes, intitulé L'abstraction, Althusser a expliqué qu'on a accès au concret par l'intermédiaire de l'abstraction, précisément ici le concept véhiculé par le mot. Ceci fait, il va mentionner la possibilité d'un accès direct , non conceptuel, au concret.
Mais comme j'ai un point de vue de valet, ce n'est pas la thèse qui me retient mais les exemples de concret, pris par le philosophe :
" On peut évidemment poser la question de savoir s'il n'y a pas d'autres moyens que l'abstraction du langage pour "saisir" le concret. Quand un homme mange un pudding, il ne se trompe pas de nourriture : il sait bien que c'est ce pudding qu'il mange, et pas un autre. Quand un homme serre une femme dans ses bras et qu'il la pénètre, il ne se trompe pas de femme, sauf dans les comédies de Marivaux : c'est bien elle et pas une autre. Mais justement, il se tait, et ce sont ses bras et son sexe qui "ont la parole".
Quand un ouvrier travaille à "sa" pièce, c'est la même chose : l'objet concret, il le désigne parce qu'il le tient, et travaille sur lui avec des outils qu'il tient en main. On en conclura qu'il y a une appropriation du concret qui ne passe pas par le langage, mais par le corps de l'homme, soit qu'il travaille une matière première, soit qu'il se joigne à une autre personne dans l'acte sexuel, soit qu'il consomme pour sa nourriture du pain et du vin, ou qu'il s'y empare du pouvoir d'État. Dans tous ces cas, il n'y a pas, sauf imposture, d'erreur sur le concret, et le concret est approprié par l'homme sans un mot.
Mais ce qui manque dans cet acte d'appropriation, c'est la communication sociale, c'est la capacité de dire aux autres hommes : celle-ci est ma femme, cette chose est mon cheval ou mes outils. Ce qui manque de ce fait, c'est la reconnaissance sociale et publique de l'acte d'appropriation du concret. Or, tout montre que, pour vivre en société - et l'homme vit en société -, l'homme n'a pas seulement besoin de s'approprier physiquement les choses concrètes, il a aussi besoin que cette appropriation lui soit reconnue socialement, soit par le consentement tacite des autres, soit par le droit de propriété : sinon n'importe qui pourrait venir lui emprunter ou lui voler son cheval et ses outils. L'acte d'appropriation corporelle, physique, a donc, en quelque sorte, besoin d'être redoublé par une consécration qui passe par le détour d'un langage particulier, le langage du droit, qui affirme publiquement, devant tous les hommes : cette femme est bien à lui (et pas à un autre), ce cheval est bien à lui, etc."

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