« Hiéronymos de Rhodes dit aussi, dans le deuxième livre de ses Mémoires dispersés, que, voulant montrer qu’il était facile de s’enrichir, il loua les pressoirs à huile d’olive alors qu’il prévoyait qu’une importante récolte approchait et amassa de grandes richesses. » (I, 26).
Voilà le démenti qu’inflige Thalès à toutes les servantes. Thalès en homme pratique, tirant parti de la connaissance scientifique du ciel pour faire fructifier ses affaires. Mais ne faisant de l’argent que pour clouer le bec aux détracteurs. Qui peut le plus peut le moins ! C’est d’Aristote peut-être que Diogène Laërce reprend l’anecdote :
« Comme on lui faisait des reproches de sa pauvreté, qu’on regardait comme une preuve de l’inutilité de la philosophie, l’histoire raconte qu’à l’aide d’observations astronomiques et, l’hiver durant encore, il avait prévu une abondante récolte d’olives. Disposant d’une petite somme d’argent, il avait alors versé des arrhes pour utiliser tous les pressoirs à huile de Milet et de Chios, dont la location lui était consentie à bas prix, personne ne se portant enchérisseur. Quand le moment favorable fut arrivé, il se produisit une demande soudaine et massive de nombreux pressoirs, et il les sous-loua aux conditions qu’il voulut. Ayant ainsi amassé une somme considérable, il prouva par là qu’il est facile aux philosophes de s’enrichir quand ils le veulent, bien que ce ne soit pas l’objet de leur ambition. » (Politique A 11, 1259a6 sqq, trad. Tricot)
Démentant d’avance toute interprétation réductrice, Thalès met en évidence que le philosophe dédaigneux de l’argent n’est pas l’homme du ressentiment ! Son mépris n’est pas faiblesse transformée en force mais indice de lucidité (la valeur de l’argent est mesurée à l’aune d’une autre valeur : celle de la connaissance à laquelle il a bel et bien accès). Les vraies richesses sont intérieures ; à la question « qui est heureux ? », il répond :
« Celui qui est sain de corps, plein de richesses en son âme, bien éduqué naturellement. » (I, 37).
Montaigne, lui, a bien compris la leçon :
« Thales accusant quelquefois le soing du mesnage et de s'enrichir, on luy reprocha que c'estoit à la mode du renard, pour n'y pouvoir advenir (ces contradicteurs avaient pu lire Esope mais pas encore Phèdre, encore moins La Fontaine !). Il luy print envie par passetemps d'en montrer l'experience, et ayant pour ce coup ravalé son sçavoir au service du proffit et du gain, dressa une trafique, qui dans un an rapporta telles richesses, qu'à peine en toute leur vie, les plus experimentez de ce mestier là, en pouvoient faire de pareilles. » ( Essais Livre I, chap. XXV Du pédantisme)
Il exagère un peu en transformant le très peu affairé Thalès en champion des affairistes. Mais, grand lecteur de Diogène Laërce et ô combien illustre modèle, Montaigne reste tout de même dans le droit fil d’Aristote.