Métroclès de Maronée est un cynique; à vrai dire, la postérité y voit plutôt le frère d’Hipparchia et le beau-frère de Cratès. En effet, même s’il semble avoir été le premier à recueillir par écrit mots fameux et faits et gestes de Diogène, aucune anecdote ne le met, lui, en scène, de manière illustre, sauf sa mort qui, je l’accorde, rachèterait toute vie, même particulièrement médiocre, je veux dire du point de vue de la vie cynique standard
« Il mourut à un âge avancé, s’étant lui-même étranglé » (VI, 95 trad. de Marie-Odile Goulet-Cazé)
Mais si je parle de lui aujourd’hui, c’est parce que je n’oublie pas que Théodore, qui s’était fait coincer par un raisonnement d’Hipparchia, s’en était sorti bassement en lui relevant les jupes, ce qui d’ailleurs, on s’en rappelle, n’avait pas démonté la philosophe cynique . J’imagine donc que le frère a voulu venger la soeur et ça donne :
« On raconte qu’un jour où il passait à Corinthe entraînant avec lui de nombreux disciples, Métroclès le Cynique, qui était en train de laver des brins de cerfeuil, lui dit : « Hé toi, le sophiste, tu n’aurais pas besoin de tant de disciples si tu lavais des légumes ! » A quoi Théodore, en l’interrompant, rétorqua : « Et toi, si tu savais t’entretenir avec les hommes, tu n’aurais pas affaire à ces légumes ! » (II, 102)
Je comprends l’hostilité du cynique vis-à-vis du cyrénaïque : comme lui, il provoque mais au service d’une cause cyniquement méprisable : le plaisir. Et puis, de voir la file des disciples coller aux basques du maître, ça ne peut qu’irriter celui pour qui il faut avant tout, quand on est un maître, chasser les élèves à coups de bâton. En tout cas, ils sont terribles l’un avec l’autre ces deux philosophes puisqu’ils réduisent un style de vie à l’expression déguisée d’une impuissance. Incapable de vivre une existence simple et frugale : c’est la course-poursuite aux disciples ; incapable d’entrer en rapport avec les hommes : c’est la misanthropie légumière. Ce que chacun dit à l’autre : « tu es vaincu au moment même où tu cries victoire. » Dans la joute dialectique, c’est à coup sûr un match nul. Théodore, enlevé par Cratès à la secte aristotélicienne sur un coup fumant, n’a certainement pas avec une telle réplique gagné un quelconque disciple. Seuls ceux qui le suivaient déjà se sont un petit peu plus pressés autour de lui.