C’est sur la question de la lecture qu’est centrée cette deuxième lettre. Sénèque va donc apprendre à Lucilius comment lire.
Bien lire c’est rester sur (inmorari) et se nourrir (innutriri) d’hommes de génie, de talents incontestables (certis ingeniis), pour en tirer quelque chose qui se fixe dans notre esprit.
Mais la traduction de Noblot est décidément trop bavarde.
Alors que Sénèque écrit : « certis ingeniis inmorari et innutriri opportet, si velis aliquid trahere, quod in anima fideliter sedeat », Noblot (Novarra) traduit prolixement et pompeusement : « Séjournons dans l’intimité de maîtres choisis ; nourrissons-nous de leur génie, et ce que nous en aurons tiré se conservera fidèlement dans notre âme ».
Je proposerai bien plus sobrement : « Il convient de s’appesantir sur d’incontestables hommes de génie et de s’en nourrir, si on veut tirer quelque chose qui demeure fidèlement dans l’âme ».
Quelques lignes plus loin, le pluriel laisse la place au singulier : lire comme il faut, c’est s’attacher (se applicare) intimement (familiariter) à un homme de génie. Je me demande pourquoi, alors que Sénèque utilise le même mot, ingenium, Noblot passe du maître au grand esprit ?
Cependant la fin de la lettre confirme que Lucilius doit lire plusieurs auteurs, ceux qui ont fait leurs preuves (probati). Ce qui est intéressant, c’est qu’il précise comment ce qui est à l’extérieur peut être transporté dans l’esprit.
Si Lucilius ne doit pas courir de tout côté (discurrere), il doit tout de même parcourir (percurrere) des textes dont il doit extraire (excerpere) quelque chose à digérer (concoquere) ce jour-là. L’alimentation est donc le modèle de la lecture, ce qui est à dire vrai bien banal (mais à quand remonte cette comparaison du lire avec le manger ?)
Donnant à Lucilius comme exemple son comportement de lecteur, Sénèque qui a lu ce jour même Epicure dit être passé dans le camp d’autrui (in aliena castra transire) non en transfuge mais en éclaireur (explorator) et être tombé sur (nactus sum) quelque chose qu’il a saisi (apprehendere) (il s’agit d’une courte citation).
Bien lire c’est rester sur (inmorari) et se nourrir (innutriri) d’hommes de génie, de talents incontestables (certis ingeniis), pour en tirer quelque chose qui se fixe dans notre esprit.
Mais la traduction de Noblot est décidément trop bavarde.
Alors que Sénèque écrit : « certis ingeniis inmorari et innutriri opportet, si velis aliquid trahere, quod in anima fideliter sedeat », Noblot (Novarra) traduit prolixement et pompeusement : « Séjournons dans l’intimité de maîtres choisis ; nourrissons-nous de leur génie, et ce que nous en aurons tiré se conservera fidèlement dans notre âme ».
Je proposerai bien plus sobrement : « Il convient de s’appesantir sur d’incontestables hommes de génie et de s’en nourrir, si on veut tirer quelque chose qui demeure fidèlement dans l’âme ».
Quelques lignes plus loin, le pluriel laisse la place au singulier : lire comme il faut, c’est s’attacher (se applicare) intimement (familiariter) à un homme de génie. Je me demande pourquoi, alors que Sénèque utilise le même mot, ingenium, Noblot passe du maître au grand esprit ?
Cependant la fin de la lettre confirme que Lucilius doit lire plusieurs auteurs, ceux qui ont fait leurs preuves (probati). Ce qui est intéressant, c’est qu’il précise comment ce qui est à l’extérieur peut être transporté dans l’esprit.
Si Lucilius ne doit pas courir de tout côté (discurrere), il doit tout de même parcourir (percurrere) des textes dont il doit extraire (excerpere) quelque chose à digérer (concoquere) ce jour-là. L’alimentation est donc le modèle de la lecture, ce qui est à dire vrai bien banal (mais à quand remonte cette comparaison du lire avec le manger ?)
Donnant à Lucilius comme exemple son comportement de lecteur, Sénèque qui a lu ce jour même Epicure dit être passé dans le camp d’autrui (in aliena castra transire) non en transfuge mais en éclaireur (explorator) et être tombé sur (nactus sum) quelque chose qu’il a saisi (apprehendere) (il s’agit d’une courte citation).
Finalement cette définition de la lecture optimale est très ambiguë : si elle évoque fortement la sédentarité (inmorari), elle n’est pas réductible à une appropriation des auteurs consacrés ; la métaphore militaire évoque l’exploration. Mais il s’agit d’une exploration conquérante et non d’une exploration déroutante. Ce que Sénèque découvre dans la lecture des auteurs qui ne font pas partie de sa tradition de pensée (je me demande si Sénèque dispose de ce concept : « tradition de pensée »), c’est une possibilité de renforcer ses convictions, précisément ici sur la pauvreté.
La métaphore de la digestion est donc parfaite pour décrire le processus de lecture : Sénèque prélève dans les œuvres étrangères le comestible et développe ainsi son identité intellectuelle (encore un autre concept sans doute anachronique).
Lire les autres, ce n’est pas apprendre à manger ce qu’ils aiment eux consommer, mais y choisir ce qui, mangeable pour nous, convient à notre régime, est digestible.
La métaphore de la digestion est donc parfaite pour décrire le processus de lecture : Sénèque prélève dans les œuvres étrangères le comestible et développe ainsi son identité intellectuelle (encore un autre concept sans doute anachronique).
Lire les autres, ce n’est pas apprendre à manger ce qu’ils aiment eux consommer, mais y choisir ce qui, mangeable pour nous, convient à notre régime, est digestible.
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