dimanche 13 juillet 2025

Comment vivre en déterministe au quotidien ? (9)

Qu'apporte une conception déterministe à l'idée que l'on se fait de l'amour, précisément de son propre état amoureux ? 
Comme n'importe quel autre état psychologique, l' état amoureux est nécessité par le passé du sujet amoureux et globalement par le passé du monde dont ce sujet est un élément. 
Certes, comme on a conscience de ne pas décider de tomber amoureux, on peut donc penser que l'idée de la nécessité fait bon ménage avec l'impression de passivité qu'on ressent à la naissance de l'amour. Sauf que la conception déterministe précise que la personne de laquelle on tombe amoureux ne produit son effet qu'en tant qu'elle est elle-même effet de tout un monde passé, et cela  au sein d'un contexte présent dans lequel elle apparaît sous un jour déterminant  mais déterminé tout autant : sans noyer la personne en question dans les circonstances de son apparition, on pensera que l'effet personnel  exercé n'a pu se réaliser que dans le cadre impersonnel où il a lieu. Dit autrement, la personne est un corps singulier, ayant un parcours nécessairement unique (aucun corps ne coïncidant avec un autre dans l'espace) dans une culture partagée par beaucoup, à l'intérieur d'un monde commun à tous. Sauf à penser à tort que la personne aurait pu produire le même effet sur la même personne dans un autre espace-temps (cf un billet précédent sur la vérité du conditionnel passé dans un cadre déterministe). 
À cela, ajoutons que le sujet amoureux n'est touché que parce qu'il est touchable, héritier d'une disposition déterminée à être ainsi modifié (la comparaison avec le sujet foudroyé convient bien ici, même si l'amour en jeu n'est pas du tout vécu comme un coup de foudre : en effet la position hic et nunc du sujet foudroyé est une des causes nécessaires du choc).
À cette aune, la distinction que l'on peut faire entre les amours déterminées socialement (" les deux appartenaient au même milieu, etc.") et les amours imprévisibles est tout à fait superficielle : que l'amour confirme ou non les attentes des sociologues, il est aussi nécessaire que n'importe quel autre événement, fait, processus, naturel, comme dirait un spinoziste. Bien sûr, si les amoureux se disent " Nous devions nous rencontrer ", ils ont bel et bien raison, mais pas au sens où généralement ils l'entendent.
Cela dit, cette conception déterministe de la naissance de l'état amoureux fait-elle bon ménage avec l'état amoureux ? Autrement dit, reste-t-on amoureux si on voit son propre état dans ce cadre déterministe absolu ?
Penser qu'une rencontre est aussi déterminée que celle de deux boules de billard n'implique pas de juger pour autant qu'elle est banale : de même que les trajectoires les plus exceptionnelles de deux boules de billard obéissent toujours aux lois de la mécanique, de même un amour peut être vécu comme extraordinaire, tout en obéissant aux lois ordinaires de la psychologie, sans tenir donc en rien du miracle (on n'abordera pas ici la question du rapport entre la psychologie et la neurologie, et encore moins celle du rapport entre la neurologie et la chimie, pour ne rien dire de la physique !).
Assurément une telle mise en perspective déterministe entoure la personne aimée d'un paysage nécessaire, qu'on ne doit donc pas plus gommer que souligner à l'excès. En somme, c'est " elle et ses circonstances ", " lui et ses circonstances "...
Certains penseront que ce délicat équilibre entre surestimation subjectiviste de l'être aimé (le délire amoureux) et sous-estimation objectiviste de l'objet aimé (statistiques, etc) tient, lui, bel et bien du miracle. 
Mais, comme l'écrit Spinoza dans la dernière phrase de l' Éthique, " tout ce qui est remarquable est difficile autant que rare ".