« Wittgenstein se demandait si Norman continuerait d’enseigner la philosophie quand il serait plus vieux, et s’il en serait content. Au début de leur rencontre, il lui avait conseillé de ne pas le faire, et à maintes reprises. Plus tard, une fois que sa décision a été prise, W. a laissé tomber. Mais maintenant ? J’ai suggéré que W. lui-même n’avait pas tout le temps eu la même attitude à l’égard de son enseignement. Et ici, je crois qu’il a souhaité faire une distinction entre le fait que lui le faisait et le fait que quelqu’un d’autre le fasse. Il a dit qu’une fois il avait eu un étudiant – maintenant professeur à ***. Il lui a dit : « Supposez donc que je sache la vérité – chaude et incandescente – et que je puisse vous l’enseigner. S’ensuivrait que, vous aussi, vous pourriez l’enseigner – maintenant froide et réchauffée ? Bien sûr que non. Mais le pauvre est maintenant professeur, et très mauvais. » En tout cas, W. ne pouvait plus supporter maintenant d’enseigner à de futurs enseignants. Les étudiants à qui il est à peu près certain d’avoir fait du bien ne sont pas philosophes. L’un d’entre eux est médecin, le docteur Drury à Dublin, et quelques-uns sont mathématiciens. Il n’a pas fait mention de ceux qui sont par ailleurs ses proches amis en philosophie. De cette façon, la philosophie, son étude, est simplement un entraînement à mieux penser – à clarifier et éliminer les confusions. Une fois celles-ci clarifiées, nous voilà prêts pour un autre travail. » ( Bouwsma Conversations avec Wittgenstein 17 août 1949)
Le professeur de philosophie passerait donc son temps à réchauffer pour ses élèves un plat qu’il aurait dû avaler une fois pour toutes afin d’avoir l’esprit libre pour faire autre chose ? Ou bien se dévouerait-il à sacrifier sa vie à faire passer les plats réchauffés afin que quelques-uns parmi les nombreux qui l’ont écouté pussent être disponibles pour faire un travail non-philosophique ? Mais peut-on être à la fois malade et bon médecin ?
Commentaires
Sinnbegabte,
Liebt nicht vor allen
Wunderescheinungen
Des verbreiteten Raums um ihn
Das allerfreuliche Licht -
[...]
Abwärts wend ich mich
Zu der heiligen, unaussprechlichen
Geheimnissvollen Nacht -
Aucune des sources que je connaisse ne mentionne le fait que Wittgenstein ait lu Novalis.
Je n'ai pas les moyens de commenter adéquatement ces vers, mais de manière très libre et donc bien risquée, je dirais que Wittgenstein aurait aussi préféré la lumière réjouissante de l'espace autour de lui aux miracles. Vers 1944, il écrit :
" Un miracle est pour ainsi dire un geste de Dieu. Comme un homme tranquillement assis fait tout à coup un geste spectaculaire, Dieu laisse le monde suivre paisiblement son train, et tout à coup accompagne les paroles d'un saint d'un geste symbolique, un geste de la nature. Un exemple en serait qu'après qu'un saint a parlé, les arbres autour de lui s'inclinent, comme par révérence. Cela dit, est-ce que je crois qu'une telle chose se produise ? Non.
La seule chose qui me ferait croire au miracle ainsi compris serait que je sois impressionné par un événement qui se produirait de cette façon particulière. En sorte que je dirais, par exemple : "Il 'etait impossible de voir ces arbres sans avoir le sentiment qu’ils répondaient aux paroles de ce saint.” Tout à fait comme je dirais : « Il est impossible de voir la face de ce chien sans voir aussi qu’il est en alerte et qu’il suit attentivement tout ce que fait son maître. » Et j’imagine aisément que le simple récit des paroles et de la vie d’un saint puisse mener quelqu’un à croire également l’histoire des arbres qui s’inclinent. Mais je ne suis pas impressionnable de cette façon. »