mardi 25 juin 2019

Greguería n° 74

" Vivir en un siglo es como vivir en todos si se saben mirar con serenidad las piedras."
" Vivre dans un siècle, c'est comme vivre dans tous si on sait regarder les pierres avec sérénité."

lundi 24 juin 2019

La convenable inconvenance du regard analytique.

Dans l' Anthropologie d'un point de vue pragmatique, Kant souligne l'utilité du pouvoir de faire abstraction, c'est-à-dire de volontairement ne pas tenir compte d'une perception présente:
" Bien des hommes sont malheureux par manque de pouvoir d'abstraction. Le prétendant pourrait faire un bon mariage s'il pouvait seulement fermer les yeux sur une verrue au visage de sa bien-aimée, ou sur un vide dans sa denture. C'est bien une inconvenance particulière de notre faculté d'attention que de se fixer justement, fût-ce de manière involontaire, sur une défectuosité d'autrui, de diriger les regards sur un bouton manquant à la veste ou sur l'absence d'une dent ou sur un défaut coutumier d'élocution, de plonger par là l'autre dans la confusion, mais de gâcher aussi son propre jeu dans ses rapports avec lui (den Anderen dadurch zu verwirren, sich selbst aber auch im Umgange das Spiel zu verderben). Quand l'essentiel est de bon aloi, c'est agir non seulement avec équité, mais aussi avec un sens avisé que de passer sur les côtés fâcheux d'autrui ou même de l'état momentané de notre propre fortune ; mais cette faculté d'abstraire est une vigueur d'esprit qui ne peut s'acquérir que par la pratique." ( Oeuvres philosophiques, tome III, La Pléiade, p. 950 )
Par opposition à ces normes qui tiennent aux yeux de Kant de la conduite civilisée et non de la conduite éthique, moralisée, la psychanalyse a dressé l'oeil et l'ouïe du praticien à se fixer précisément sur les " défectuosités " de l'âme. Surtout si " l'essentiel est de bon aloi ", le psychanalyste manifestera sa " vigueur d'esprit " dans son aptitude à ne pas " passer sur les côtés fâcheux d'autrui ". Mais, dans ce nouveau cadre, l'autre, pour autant qu' il connaît les règles de ce jeu inédit, ne sera pas plongé " dans la confusion ". Il verra même dans cette attention, que la politesse mal éclairée pourrait juger inconvenante, la condition nécessaire pour faciliter in fine ses rapports avec lui-même.
Autrement dit, le regard porté sur autrui que Kant dénonce en fin de compte autant au niveau de la politesse que de la simple prudence (ça serait aussi notre propre relation à autrui que l'on gâcherait par une attention indésirable), devient avec la psychanalyse épistémiquement justifié, et même nécessaire, acquérant, par cela même, une justification thérapeutique, donc possiblement morale.

Commentaires

1. Le mardi 25 juin 2019, 22:17 par gerardgrig
Faire abstraction des actes manqués d'autrui semble difficile. La culture analytique s'est diffusée et l'on sait qu'un lapsus est un symptôme de la psychopathologie de la vie quotidienne. Néanmoins, on peut admettre qu'il n'est pas courant d'entamer dans l'ascenseur une psychanalyse de son voisin qui a fait un pataquès. Il reste que l'acte manqué, toujours suspect d'être fait exprès, est ce qui passe le moins bien dans ce que nous tolérons de fâcheux chez autrui, pour notre confort et pour le sien. Un acte manqué est une gaffe. Pour les moralistes du XVIIeme, on n'avait aucune excuse pour ses gaffes. On en était responsable, et c'était justice. On ne fait pas abstraction d'une gaffe, on la pardonne.
2. Le jeudi 27 juin 2019, 11:43 par Philalethe
Il y a, je crois, une différence entre une gaffe et un acte manqué : la gaffe a immédiatement du sens alors que l'acte manqué doit être interprété pour recevoir un sens. En outre, en faisant gaffe, on s'abstient de faire une gaffe, alors qu' on ne peut pas en faisant attention s'abstenir de faire un acte manqué.

dimanche 23 juin 2019

Greguería n° 73

" Lo peor de los arboles genealógicos es que de pronto se fija en ella la chismosa chicharra."
" Le pire dans les arbres généalogiques est que vite s'y installe la cigale bavarde."

Commentaires

1. Le lundi 24 juin 2019, 00:33 par gerardgrig
La génération des années 1910 a eu un privilège inouï, dont Ramón a usé sans limites. Elle était dans un entre-deux et elle marchait à cloche-pied, ou elle dansait en boitant. C'est ce qu'on a appelé le Noucentisme. Ce mouvement avançait vers la modernité, tout en regardant vers le XIXeme siècle, pour corriger les excès de modernité des années 1900. Dans cette gregueria, Ramón semble évoquer les sagas familiales des romanciers de la deuxième moitié du XIXeme siècle. Il y ajoute une métaphore de fabuliste, avec la distance amusée des nouvelles générations. Pour le roman naturaliste, une famille tend vers le désordre et la dégradation, comme toute chose dans le monde. Elle aurait des tares héréditaires, ce qui était une hypothèse fantaisiste. Néanmoins, elle produira une cigale qui chante, un fils prodigue, une fin de race, un artiste. Ce que Sartre appelait l'idiot de la famille.
2. Le jeudi 27 juin 2019, 11:53 par Philalethe
J'ai failli traduire " chismosa " par soûlante. C'est dépréciatif.

samedi 22 juin 2019

Les mauvais frottements.

" Alors les individus désoeuvrés et tournés vers le dehors se poussent, se bousculent, se frottent les uns aux autres, car aucune intime pudeur ne les tient à distance respectueuse les uns des autres ; tout n'est que remue-ménage et remous parfaitement stériles. L'on ne possède rien, ni individuellement, ni en commun : et l'on se monte la tête et se prend de querelle. Ce ne sont pas alors les couplets entraînants et les joyeux festins qui réunissent les amis (...). Non, mais les commérages, les rumeurs, la vaine présomption et la jalousie indolente sont le fade succédané de tout cela." (Kierkegaard, Un compte-rendu littéraire, Oeuvres complètes, VIII, p. 204)

vendredi 21 juin 2019

Greguería n° 72

" El escritor es un ser al que le han sentenciado a escribir cien millones de veces la frase "Quiero superarme", "Quiero superarme", "Quiero superarme"..."
" L'écrivain est un être qu'on a condamné à écrire des centaines de millions de fois la phrase " Je veux me dépasser ", " Je veux me dépasser ", " Je veux me dépasser "..."

jeudi 20 juin 2019

Greguería n° 71

" Los húsares van vestidos de radiografía."
" Les hussards portent une radiographie pour vêtement."

mercredi 19 juin 2019

Greguería n° 70


" Parece mentira, pero aquel hombre horrible tenía cara de pensamiento."
" Ça paraît incroyable, mais cet homme horrible ressemblait à une pensée."

Commentaires

1. Le jeudi 20 juin 2019, 17:00 par gerardgrig
Est-ce Einstein que Ramón caricature, avec une insolence de potache ? Il imaginait bien le Cid avec des nœuds dans la barbe. En réalité, Ramón ne nous fera pas le coup de la beauté intérieure. Il serait prêt à dire que c'est ce que les gens moches ont inventé pour se reproduire. Il préfère trouver de la beauté à la laideur, pour mieux la supporter, en suivant la méthode stoïcienne. Ici, il évoque la sympathie mystérieuse qui existe entre les formes de la nature, notamment dans le règne végétal, et l'imaginaire de la figure humaine. La pensée est la violette, qui a une riche histoire mythologique. Elle signifie le souvenir des morts dans les cimetières. On a une pensée pour eux. Ramón fait un jeu de mots, s'il s'agit de reconnaître le génie du grand homme.
2. Le lundi 24 juin 2019, 00:07 par gerardgrig
En réalité, la pensée et la violette sont des espèces voisines du genre "Viola". La pensée est la violette avec le sourire en plus, à cause de ses pétales latéraux orientés vers le haut. Elle peut comporter des dessins de visages. Ici, l'illustration de la gregueria ressemble à un test de Rorschach que nous propose la nature. Que voyons-nous dans les taches de la pensée ? On dirait un génie hirsute de la fin du XIXeme siècle. Ou est-ce un quidam doté d'une gueule d'enfer, que Ramón a croqué par hasard à la terrasse d'un café, pour le ranger dans un cabinet de curiosités botaniques ? Ramón fait-il ou non un "dessin à clé" ? Dans la nature, à quoi servent ces taches en forme de visages, dont l'utilité semble bien moins évidente que le dessin d'une guêpe sur l'orchidée ? Y a-t-il un langage des fleurs que validerait l'étymologie populaire ? La violette est étymologiquement la fleur d'Io. Elle a été christianisée en herbe de la Trinité, car selon le peuple la nature a le langage de Dieu. Étymologiquement, la pensée est plutôt neutre. Elle est là pour nous rappeler quelqu'un, ce que suggèrent ses formes vagues de visages.
3. Le jeudi 27 juin 2019, 11:56 par Philalethe
" La pensée est la violette avec le sourire en plus "
C'est une greguería !
4. Le vendredi 28 juin 2019, 00:41 par gerardgrig
La paréidolie visuelle est une illusion d'optique qui nous fait trouver des formes humaines dans la nature. On voit des dessins de visages dans des pensées. Dans cette gregueria, Ramón dit l'inverse. C'est le visage qui ressemble à la fleur. Cela s'apparente à la caricature qui appuie sur la ressemblance d'un visage avec un fruit ou un légume, pour faire ressortir la bêtise du modèle. Mais ici, Ramón obtient un résultat opposé. La ressemblance du visage horrible avec la pensée semble lui donner une certaine beauté paradoxale.

mardi 18 juin 2019

Greguería n° 69

" La lluvia que vemos caer por los cristales son nuestras propias lágrimas magnificadas."
" La pluie que nous voyons tomber à travers les vitres, c'est nos propres larmes magnifiées."
Ajout du 14/08/19 :
Ramón a supprimé cette greguería de l'ultime édition de 1962. Mais celle qui la remplace ne me plaît guère : " Il ne faut pas se moucher dans le mouchoir des soirées d'adieux." (" No hay que sonarse en le pañuelo de las despedidas.").

Commentaires

1. Le dimanche 4 août 2019, 12:47 par gerardgrig
Comme tout avant-gardiste, Ramón rejetait l'affectif pur. L' émotion ne pouvait qu'être magnifiée par la littérature.

lundi 17 juin 2019

Greguería n° 68

" El arco del violin cose como aguja con hilo notas y almas, almas y notas."
" Comme l'aiguille avec le fil, l'archet du violon coud les notes aux âmes et les âmes aux notes."

Commentaires

1. Le lundi 17 juin 2019, 17:46 par gerardgrig
Chez Ramón, il y a une sorte de misérabilisme universel, avec un choix de termes familiers qui y ramènent toujours, et qui entrent dans des oxymores. Autant que la métaphore humoristique, c'est l'oxymore burlesque qui caractérise la gregueria. C'est le cas avec le poétique manteau du ciel de la gregueria 66, qui a laissé des "effiloches" sur les branches du saule, ce qui casse la poésie traditionnelle en introduisant une focalisation sur le déchet. Dans le jeûne en caleçon de la gregueria 61, il y a le soin suprême du corps, de l'esprit et de l'âme, si ce n'est pas de l'ironie pour nous faire tomber de haut, car il est associé à l'intimité souvent risible du dessous masculin. Ou bien le "roseau pensant" pascalien de la gregueria 64, qui prend l'aspect du porte-manteau de l'écrivain bohème du Café Pombo, qui cherche à ressembler à tout le monde. On notera la désynchronisation entre l'image, qui ne comporte pas de manteaux pour mieux laisser voir le support, et le texte de la gregueria. Dans la gregueria 68, l'aiguille et le fil du ravaudage sont associés à une esthétique musicale idéaliste. Auparavant, dans la gregueria 67, avec le cygne mélange d'ange et de serpent, Ramón faisait descendre les "Métamorphoses" d'Ovide dans le bassin du jardin public.
2. Le jeudi 27 juin 2019, 11:58 par Philalethe
Je crois que vous caractérisez bien une des veines de la mine ramonienne.

dimanche 16 juin 2019

Greguería n° 67

" En el cisne se unen el ángel y la serpiente."
" Dans le cygne s'unissent l'ange et le serpent."