Montaigne a toujours placé en tête de ses Essais un texte intitulé Par divers moyens on arrive à pareille fin. Pierre Villey l'interprète comme un signe de l'attachement de Montaigne à la thèse de l'inconstance humaine. En effet, dans ce premier essai, l'auteur, s'appuyant exclusivement sur des situations militaires, relève que la clémence du vainqueur peut être autant causée par les supplications du vaincu que par son inflexible résistance.
Gardant de Villey l'idée que ce premier essai, par sa place exceptionnelle, contient des idées que Montaigne a particulièrement à coeur de transmettre, je veux relever ce qu'il y dit de lui. Certes Montaigne a commencé d'écrire ce texte à une époque (vers 1572) où il n'avait pas comme but de se décrire, ce qui explique que les quelques lignes que je vais commenter n'apparaissent pas avant l'édition de 1588.
Le texte en jeu est fort court :
Gardant de Villey l'idée que ce premier essai, par sa place exceptionnelle, contient des idées que Montaigne a particulièrement à coeur de transmettre, je veux relever ce qu'il y dit de lui. Certes Montaigne a commencé d'écrire ce texte à une époque (vers 1572) où il n'avait pas comme but de se décrire, ce qui explique que les quelques lignes que je vais commenter n'apparaissent pas avant l'édition de 1588.
Le texte en jeu est fort court :
" L'un et l'autre de ces deux moyens m'emporterait aysement. Car j'ai une merveilleuse lascheté vers la misericorde et la mansuetude. Tant y a qu' à mon advis, je serois pour me rendre plus naturellement à la compassion, qu'à l'estimation : si est la pitié passion vitieuse aux Stoïques : ils veulent qu'on secoure les affligez, mais non pas qu'on flechisse et compatisse avec eux."
Montaigne vient de dépeindre trois guerriers, Edouard, prince de Galles, Scanderberch, prince de l' Épire et l'Empereur Conrad III, qui ont eu comme point commun de devenir clément face à la résistance de l'adversaire (Montaigne a pris soin d'exclure que leurs conduites pourraient tout aussi bien s'expliquer par la peur).
Dans un premier temps, Montaigne identifie en lui une constance et une inconstance.
Une constance : il est porté à la clémence (ne pas commettre ici l'erreur de donner à "lascheté" son sens moderne, le mot signifiant alors propension, penchant).
Une inconstance : la clémence est causée en lui autant par la compassion que par l'admiration. Cependant Montaigne dit ensuite clairement qu'il est plus incité à la clémence par la pitié que par "l'estimation", l'estime du courage, de la valeur d'autrui. Ce qui revient à ne pas correspondre aux normes des Stoïciens ( qui, comme il a lu dans le De clementia de Sénèque, identifie la compassion à une passion incompatible avec la sagesse ).
On dira qu'il n'exclut pas d' être identique dans certaines situations aux personnages historiques qu'il a mentionnés. Certes mais le plus souvent, il est inclus dans l'ensemble le plus ordinaire, celui des hommes attendris par la plainte :
Dans un premier temps, Montaigne identifie en lui une constance et une inconstance.
Une constance : il est porté à la clémence (ne pas commettre ici l'erreur de donner à "lascheté" son sens moderne, le mot signifiant alors propension, penchant).
Une inconstance : la clémence est causée en lui autant par la compassion que par l'admiration. Cependant Montaigne dit ensuite clairement qu'il est plus incité à la clémence par la pitié que par "l'estimation", l'estime du courage, de la valeur d'autrui. Ce qui revient à ne pas correspondre aux normes des Stoïciens ( qui, comme il a lu dans le De clementia de Sénèque, identifie la compassion à une passion incompatible avec la sagesse ).
On dira qu'il n'exclut pas d' être identique dans certaines situations aux personnages historiques qu'il a mentionnés. Certes mais le plus souvent, il est inclus dans l'ensemble le plus ordinaire, celui des hommes attendris par la plainte :
" La plus commune façon d'amollir les coeurs de ceux qu' on a offensez, lors qu'ayant la vengeance en main, ils nous tiennent à leur merci, c'est de les esmouvoir par submission à commiseration et à pitié."
Dans le paragraphe qui suit ce cours auto-portrait, il explicite clairement les caractéristiques de l'ensemble dans lequel il se place implicitement et qui le sépare généralement des âmes plus "généreuses" :
" Il se peut dire, que de rompre son coeur à la commiseration, c'est l'effect de la facilité, débonnaireté, et mollesse, d'où il advient que les natures plus foibles, comme celles des femmes, des enfans, et du vulgaire y sont plus subjettes ; mais ayant eu à desdaing les larmes et les prières, de se rendre à la seule reverence de la sainte image de la vertu, que c'est l'effect d'une ame forte et imployable, ayant en affection et en honneur une vigueur masle et obstinée."
Cependant, en prenant l'exemple du peuple thébain, il va souligner qu'on trouve aussi quelquefois dans le vulgaire un comportement du même type que celui qu'il attribue à une certaine élite guerrière :
" Toutesfois és ames moins genereuses, l'estonnement et l'admiration peuvent faire naistre un pareil effect. Tesmoin le peuple Thebain : lequel ayant mis en outre le temps qui leur avoit esté prescrit et preordonné, absolut à toutes peines Pelopidas, qui plioit sous le faix de telles objections, et n'employoit à se garantir que requestes et supplications ; et, au contraire, Epaminondas, qui vint à raconter magnifiquement les choses par luy faites, et à les reprocher au peuple, d'une façon fière et arrogante, il n'eut pas le coeur de prendre seulement les balotes en main ; et se departit l'assemblée, louant grandement la hautesse du courage de ce personnage."
Aussi inconstant que lui, Montaigne est donc à l'image du peuple thébain.
Mais, en mettant en relief ce à quoi il est toujours porté (la clémence) et ce pourquoi il y est généralement porté (la compassion), Montaigne souligne autant sa constance - celle de son tempérament- que son inconstance.
D'ailleurs l'ensemble de l'essai fait ressortir le plus souvent dans chaque personne examinée le poids du naturel ; ainsi l'absence d'uniformité des hommes (" c'est un subject merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que l'homme. Il est malaisé d'y fonder jugement constant et uniforme ") est justifiée plus par des différences inter-humaines qu'intra-humaines (à l'exception de Montaigne lui-même, du peuple thébain et d'Alexandre le Grand, "le plus hardy des hommes et si gratieux aux vaincus" qui pourtant, contre toute attente, s'acharne à Gaza sur Betis, son ennemi vaincu (les dernières lignes de l'essai sont d'ailleurs consacrées à une tentative - infructueuse - d'interprétation du cas Alexandre)
Mais, en mettant en relief ce à quoi il est toujours porté (la clémence) et ce pourquoi il y est généralement porté (la compassion), Montaigne souligne autant sa constance - celle de son tempérament- que son inconstance.
D'ailleurs l'ensemble de l'essai fait ressortir le plus souvent dans chaque personne examinée le poids du naturel ; ainsi l'absence d'uniformité des hommes (" c'est un subject merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que l'homme. Il est malaisé d'y fonder jugement constant et uniforme ") est justifiée plus par des différences inter-humaines qu'intra-humaines (à l'exception de Montaigne lui-même, du peuple thébain et d'Alexandre le Grand, "le plus hardy des hommes et si gratieux aux vaincus" qui pourtant, contre toute attente, s'acharne à Gaza sur Betis, son ennemi vaincu (les dernières lignes de l'essai sont d'ailleurs consacrées à une tentative - infructueuse - d'interprétation du cas Alexandre)
S'étant présenté comme un de plus dans l'ensemble des gens banals, Montaigne a donc commencé d'accomplir ici son programme, tel qu'il le donne à lire dans l'Avis au lecteur :
" Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c'est moy que je peins. Mes defauts s'y liront au vif, et ma forme naïfve, autant que la reverence publique me l'a permis."
Certes maints lecteurs ont dû être surpris, après une telle mise au point, de lire un premier essai dans lequel Montaigne ne parle pour ainsi dire pas de lui. Mais on peut interpréter cette entrée en scène discrète dans son propre livre comme une manière de montrer manifestement, tout en la disant discrètement, son peu d'importance.
- Sur cet essai, on lira les pages que lui consacre Hugo Friedrich dans son Montaigne (1949) (p. 158 à 160, p.163 Tel Gallimard). Jean Starobinski dans son très bel ouvrage Montaigne en mouvement (1982) ne s'y rapporte que dans quelques lignes (p.15 Bilbliothèque des idées NRF Gallimard) et on peut s'interroger sur l'exactitude de son interprétation quand il écrit qu' " à examiner l'histoire humaine, Montaigne constate que les effets de la sincérité et de la feinte sont imprévisibles." ; en effet Montaigne n'y oppose jamais sincérité à feinte mais imploration à résistance. Bernard Sève dans Montaigne. Des règles pour l'esprit (PUF 2007) juge que cet essai fait partie des "petits essais" qui "semblent, de prime abord, ne pas dépasser l'anecdotique et la plus courte sagesse" et que "pourtant, on peut aussi (...) lire, de façon plus ambitieuse ou plus rigoureuse, comme pièces d'un dossier "de l'irrégularité des expériences" (p.127). À la fin de son ouvrage, Bernard Sève ajoute : " Le premier chapitre du livre I s'intitule "Par divers moyens on arrive à pareille fin". Ce titre, remarquable par sa place et par sa structure, est plus intéressant que le contenu de ce bref chapitre. Sa structure est celle d'une thèse ; thèse que l'on peut rapprocher du titre "Divers évènements de même conseil" (I, 24), presque symétrique à " Par divers moyens on arrive à pareille fin" : ici, plusieurs moyens pour la même fin, là, plusieurs fins (ou plutôt plusieurs effets) pour le même moyen. Dans les deux cas, ce moyen n'est plus moyen pour cette fin, la solidarité de la fin et du moyen est brisée. Ce qui est ici attaqué, c'est le calcul rationnel des moyens, la Zweckrationalität, ou rationalité instrumentale, pour parler le langage de Max Weber. Risquons un anachronisme : aux théories du choix rationnel, Montaigne va opposer la puissance de l'imprévisible Fortune, ou de ce qu' il appelle, d'un mot qui est presque chez lui un concept, le fortuit. La puissance du fortuit est toujours plus forte que la puissance du calcul, les Essais le répètent inlassablement." (p.339-340). Je ne sais pas si c'est attaquer la valeur de la rationalité instrumentale que de mettre en évidence que divers moyens ont le même effet. Je serais plutôt porté à penser que c'est enrichir la rationalité en question et lui donner une meilleure prise sur la réalité. Ce qui serait la mettre en doute, ce serait soutenir que les moyens ne déterminent pas les effets, mais que les derniers suivent les premiers de manière aléatoire.
Commentaires
Ceci dit, je ne comprends absolument pas la violence dont fait preuve à votre égard Pierre Assouline dans sa première réponse à votre remarque. Avez-vous un contentieux ?
Je suis en cela du côté de Maria Kodama parce que Borges n´a pas pu, je veux le croire, se tromper tant d´années avec elle, qu´elle a vu de première main lui dicter une partie de ses écrits d´aveugle voyant que nous lisons traduits ou en original maintenant. Si la traduction fût infidèle ou trop libre, des inexactitudes se glisseraient dans un texte qui deviendrait (encore plus) difficile à lire. Il faut donc, quoique nous pensions que la traduction est une interprétation pouvant même parfois améliorer un original, être le plus fidèle que l´on peut à ce que l´on traduit sans en rajouter/enjoliver quand cela est possible et sans en trop couper/améliorer.
A un gato
ni más furtiva el alba aventurera;
eres, bajo la luna, esa pantera
que nos es dado divisar de lejos.
divino, te buscamos vanamente;
más remoto que el Ganges y el poniente,
tuya es la soledad, tuyo el secreto.
caricia de mi mano. Has admitido,
desde esa eternidad que ya es olvido,
el amor de la mano recelosa.
de un ámbito cerrado como un sueño.
Non moins silencieux que le miroir,
Tu passes et je pense apercevoir
Sous la lune équivoque une panthère.
Nous te cherchons. Nous voulons, fauve étrange
Plus lointain qu'un couchant ou que le Gange,
Forcer ta solitude et ton secret.
Il est écrit dans ton éternité
Que s'accordent à ta frileuse paresse
Ma main et son amour inquiété,
Clos comme un rêve est ton domaine.
ni plus furtive l´aube aventurière;
tu es, sous la lune, cette panthère
que nous pouvons parfois apercevoir.
divin, nous te cherchons vainement;
plus lointain que le Ganges et le couchant,
oeuvre de solitude et de secret.
à la caresse de ma main. Tu admets,
de cette éternité qui est rejet
l´amour de la main blafarde.
d´un cadre fermé comme un rêve.
Pour ma part j´ai pris également quelques licences poètiques mais qui sont , je le crois, plus admissibles et plus fidèles:
"divisar de lejos"---> "parfois apercevoir"
"Por obra"--->"Objet"
"tuya es la soledad"--->"oeuvre de solitude"
"que ya es olvido"-->"qui est rejet" pour des raisons de rime, mais l´oubli c´est ausi du rejet.
"recelosa"--->"blafarde" pour des raisons de rime, mais la crainte rend blafard.
Finalement j´ai changé la rime "dueño/sueño" par "sève/rêve" et c´est là où j´ai le plus hésité, mais je pense que ce n´est point une trahison.
C´était donc une traduction de Jean-Pierre Bernès et de Nestor Ibarra ? Travaillent-ils en duo ?
Ou bien une traduction de Nestor Ibarra approuvée par Bernès?
Malheureusement je n´ai aucune édition de la Pléiade en mon pouvoir, et ce n´est que sur l´Internet que je trouve les poèmes en français de Borges. En fait la traduction dont nous parlons est la seule en français de Borges que j´ai lu.
Et c´est le seul poème de Borges que j´ai traduit (j´espère que pas trop mal, j´ai des doutes).
Je lis Borges en espagnol. Mais il faudrait réviser d´autres poèmes s´ils étaient comme celui-ci ,j ´éspère que non, parce que cela est littérairement (et poétiquement) plutôt irrespectueux; envers un Borges qui n´aimait certainement pas l´artifice gratuit, en littérature; commme ce Brassens, d´ailleurs, qui essayait, selon ses propres mots, de ne pas en faire, pas d´en faire, de la littérature ,de l´artifice, des feux follets inutiles et souvent prétentieux. J´aime Borges précisément parce qu´il fuit l´artificiel à travèrs du court, de l´accourcissement des maux.
"Jean-Pierre Bernès, éditeur de cette Pléiade Borges en est le responsable, c’est entendu. Mais il n’a traduit que les textes inédits de Borges. Pour le reste, selon une vieille habitude de la collection, le maître d’oeuvre a été tenu de reprendre des traductions historiques de Gallimard. Mais il les a toutes révisées, non seulement avec l’accord mais surtout avec la complicité de Borges. Il lui a relu à voix haute l’intégralité de son oeuvre."
Mais je me souviens d´un enregistrement d´une entrevue de la television espagnole (qui existe sur Internet) où Borges disait qu´il ne se souvenait pas de la plupart de ce qu´il avait écrit. Ce qui est par ailleurs tout à fait normal. Mais on doit considérer que puisqu´il était aveugle, et ne pouvait pas comparer ligne par ligne ce qu´on lui lisait en françois avec son original, il ne pouvait en aucune façon savoir si la traduction était bonne ou mauvaise. Tout au plus pouvait-il juger que la musicalité et le rythme étaient suffisants, ce qui, justement, n´est pas suffisant. Si l´on ajoute, de plus, qu´il est connu que la position de Borges sur la traduction, était d´une grande flexibilité, puisqu´il pensait que le traducteur réecrivait presque indépendamment le texte qu´il traduisait, on peut comprendre qu´il n´a pu vraiment savoir si la traduction en français était bonne ou bien clochait.
C´est aussi ce que je pense qu´il faut faire et c´est pourquoi j´ai traduit contre Ibarra l´enjoliveur. Mais sa traduction est bien plus musicale et rythmée que la mienne qui se veut d´être plus fidèle aux origines, à la lettre.
(minute 2:00)
ni plus furtive l’aube aventurière ;
tu es, sous la lune, cette panthère
qui de loin seulement s’offre à nos regards
nous te cherchons en vain ;
plus éloigné que le Gange et le couchant,
tienne est la solitude, et à toi le secret
de ma main, tu as accepté,
depuis cette éternité en oubli déjà muée,
l’amour de cette main frileuse
d’un territoire aussi impénétrable que le rêve
Concernant le vers 8 (tuya es la soledad, tuyo el secreto) est-ce si lourd de garder la répétition et d'écrire : "tienne est la solitude, tien est le secret" ? Je serai aussi plus sobre au niveau du vers 11 ("desde la eternidad que ya es olvido") : depuis l'éternité qui déjà est oubli. Pourquoi ne pas traduire aussi le vers suivant : "el amor de la mano recelosa" par : l'amour de la main frileuse. Pour les deux derniers vers ("en otro tiempo estas. Eres el dueño / de un ámbito cerrado como un sueño") : tu es dans un autre temps. Tu es le maître d'un territoire fermé comme un rêve"
Il faut le répéter : la traduction de ce poème dans l'édition de la Pléiade (T II p.295 - je me réfère à la première édition) est la création d'un autre poème et non un effort pour rendre le poème de Borges en français.
http://lit-et-raire.blogspot.com
quand je regarde le visage de la glace;
je ne sais quel ancien guette en son palace
de silencieuse et fatiguée colère.
mes invisible traits. Une déchirure
m´atteint. J´ai entrevu ta chevelure
qui est de cendre ou est encore d´or.
la surface vaine des choses.
Le réconfort est de Milton et il est vaillant,
Je pense que si je pouvais voir ma figure
je saurais qui je suis en ce soir d´enluminure.
----------------------------------
cuando miro la cara del espejo;
no sé qué anciano acecha en su reflejo
con silenciosa y ya cansada ira.
mis invisibles rasgos. Un destello
me alcanza. He vislumbrado tu cabello
que es de ceniza o es aún de oro.
la vana superficie de las cosas.
El consuelo es de Milton y es valiente,
Pienso que si pudiera ver mi cara
sabría quién soy en esta tarde rara.
-----------------------------------
Mais mon souci majeur a cependant certainement été la fidelité à l´essence du poème que je crois avoir su respecter.
Quand je regarde la figure du miroir ;
Certain vieillard m'y guette, et je crois entrevoir
Son ire sourde et lasse et vaguement hagarde.
Lent dans ma lente nuit, j'explore de mes doigts
Mes invisibles traits. Soudain vient me surprendre
Un éclair, tes cheveux. Seraient-ils déjà cendre
Ou gardent-ils leur or, leur gloire d'autrefois ?
Je me redis que je n'ai rien perdu des choses
Que leur vaine surface. Ainsi se consolait
Milton ; c'est un courage où je cherche un bienfait.
Je pense aux lettres cependant, je pense aux roses.
Et mon visage, là... Si je pouvais le voir,
Je saurais qui je suis en cet étrange soir.
l´instant dans la guerre kodama Bergès qui me paraît être une guerre d´un tout autre niveau que littéraire, sans en savoir plus ni les avoir rencontré.
En effet, puisque c´est Borges lui même,
d´après Assouline, qui en se faisant relire à haute voix les textes en français, a donné le oui (le "visto bueno") aux traductions de la Pléiade, il n´y a rien à reprocher à Bernès ni même à Caillois ni à Ibarra. Personnellement je me fâcherais si dans la traduction d´un de mes poèmes on enjolive et rajoute à la manière que nous avons vue. Mais si Borges lui même
s´en amusait, parce qu´il pensait qu´un e traduction était une réinterpretation nouvelle du poème-alors que moi je crois qu´une traduction doit être une fidélité optimisée qui conserve l´esprit de l´original en ne changeant que l´indispensable; comment peut-on en accuser Bergès qui a tout simplement obéit aux souhaits (et à l´amusement peut être) de Borges ?
http://clubdetraductoresliterariosd... :
"Las traducciones al francés que han hecho Ibarra y Roger Caillois son muy buenas"
alors que je pense le contraire, qu´elles enjolivent et dénaturalisent le style austère, presque monacal et monotone de la poésie de Borges, ou les mots ont du poids, pèsent, que l´on ne peut donc substituer pas des dances lègères et fleuries (d´autres) mots, sans en altérer la musicalité et le rythme (musical) interne. C´est par ailleurs chez Borges, pareil en prose, dans ses "cuentos" où l´on se doit, à mon avis, de respecter l´arrythmie, si notable (cette arrythmie littéraire) de Borges.
de « La Société du Spectacle » (Guy Debord)
Commentaire d’Olympia ALBERTI : Les deux premiers vers à eux seuls méritent une stèle. Ils sont l’exacte inversion que représente une image rendue par un miroir. Ainsi « quelle figure me regarde » fait chiasme avec « je regarde la figure du miroir ». Cette réussite introduit d’emblée le questionnement métaphysique qui lui est cher, avec l’idée d’un troisième regard majeur, glissé entre l’œil aveugle de l’homme et l’œil impassible du miroir.
« Certain vieillard m’y guette » n’est pas une image innocente puisqu’il s’agit là de souligner et Dieu et le miroir qui reflètent un réel, et que l’aveugle âgé est impuissant lui à percer : cette opacité du monde, épaisseur traduite par les deux épithètes du vers suivant « Sourde et lasse » qui disent, et la fatigue et la fermeture à un sens par un glissement à celui de l’ouïe.
En effet, cette « ire », n’est pas tant colère divine que vaine irritation égarée, que rend admirablement « haguarde » (à l’origine faucon dont la vue baisse derrière une haie).
Le sens de la vue, de la vision même, est délégué aux doigts, à la main de l’écrivain qui cherche sur le visage sans regard, des invisibles traits. L’écriture du temps doit être là, on cherche à s’en assurer pour mieux voir dedans l’image que l’on est à l’extérieur. Pour traduire la sensation de sa démarche entravée, Borges choisit cette belle image répétitive « Lent dans ma lente nuit ». Et dans ce déplacement Saturnien du monde, c’est l’éclair d’une vision intérieure (les cheveux de celle qu’il aima). En un contraste violent, il oppose la gloire de leur lumière, cet or insaisissable qui a fait trace dans son être, et la cendre. Notre vie est un feu, il faut en admettre les étapes. La gloire même n’est plus qu’un souvenir, elle est limitée d’autrefois. Vocabulaire volontiers pâle, comme décoloré par l’impossibilité de s’appuyer aux couleurs vives d’un monde présent. La vie n’est plus que lente déambulation dans une nuit de mémoire déchirée, par failles.
« Je me redis ». Alors le regard est laissé à son errance, le poète se détache du monde « Je n’ai rien perdu des choses », qu’il a pourtant élises en rîme avec roses, image de la vie éphémère mais pleine. Ne plus pouvoir habiter le monde extérieur est une richesse obligée. Il est, tel Milton, renvoyé au plus profond de son être et n’a plus rien à faire de la « vaine surface » mise en relief à la césure. Le poète n’est pas dupe (l’enjambement le montre). Il cherche à poser sa main sur un frère en poésie, sur son courage. Seule demeure, la pesée des choses du monde dedans. Et comme nous avions la répétition de « lente », nous avons celle de « je pense », « Je pense aux lettres, je pense aux roses ». Et on ne pense que dans l’absence, la séparation. Et ce verbe au présent libère une nostalgie douloureuse. « Et mon visage, là », en hyperbate, là, est l’indication d’une distance, d’un être fragmenté dans l’absence du monde, qui tend la main pour se saisir d’une preuve.
A la fin du jour, l’aveugle est privé de cette humanité à voir un visage. Il lui reste qu’un cri : « Je saurai qui je suis ». Voir, là, ce serait savoir. Humilité d’une sagesse qui cherche à cerner un espace charnel, un contour, tant l’être est cette croix absolue entre l’espace et le temps.
Non, le soir n’est pas étrange. Il rend l’homme étranger à lui-même, cherchant à tâtons dans sa mémoire blessée, le souvenir de la lumière. Celle des cheveux de l’aimée où le soleil a fait sa gloire. La seule richesse du poète est bien le souvenir de la lumière étreinte.
En effet; lorsque Olympia exclame, non sans justesse :
"En effet, cette « ire », n’est pas tant colère divine que vaine irritation égarée, que rend admirablement « haguarde » (à l’origine faucon dont la vue baisse derrière une haie)" Mais Borges n´utilise pas le mot "hagarde" = "azorada"; "despavorida"; ..C´est un mot ajouté de toutes pièces par le traducteur Bernès ou par Ibarra; au quatrième vers, : "con silenciosa y ya cansada ira"; que j´ai traduit par "de silencieuse et fatiguée colère".
Olympia continue brillament:
"Pour traduire la sensation de sa démarche entravée, Borges choisit cette belle image répétitive « Lent dans ma lente nuit » Or justement Borges au cinquième vert ,dit :
"Lento en mi sombra, con la mano exploro" que j´ai traduit par: "Lent dans mon ombre, de la main j´explore". Borges ne répète en aucune façon le mot "lent"; et quand Borges répète un mot, c´est parce qu´il le veut. Dans ce cas, la lenteur n´est point l´attribut principal de la cécité; mais comme on peut l´entrevoir ; la solitude face aux traductions peu fidéles que l´on ne peut point lire personnellement ; la lecture impossible. (Je sais de quoi je parle, moi même j´ai perdu une grande partie de la vision; je connais l´ombre en partie; je lis mal; mais moi je n´aime point trop lire, dépendre de l´opinion des autres. Par contre Borges, nous le savons bien, pense être ce qu´il a lu, qu´il ne regrette orgueilleusement pas).
"Pero pienso en las letras y en las rosas"-->"mais je pense aux lettres et aux roses" s´exclame Borges au vers 12; la pensée ne se répète pas, comme chez le traducteur que Olympia lut; ce qui se répète c´est les lettres dans les roses; qui elles ne s´écrivent point, cependant, une écriture différente:
"Et comme nous avions la répétition de « lente », nous avons celle de « je pense », « Je pense aux lettres, je pense aux roses »"
Note: Je tiens à dire que j´aime beucoup le commentaire d´Olympia; qui dépendait trop, cependant, de l´humeur de la traduction; et je m´excuse pour mon mauvais français après 39 ans sans presque jamais le parler; hors de l´inmutable et jolie (good looking; bonita) France.
quand je regarde le visage de la glace;
je ne sais quel ancien guette en son palace
de silencieuse et fatiguée colère.
mes invisible traits. Une déchirure
m´atteint. J´ai entrevu ta chevelure
qui est de cendre ou est encore d´or.
la surface vaine des choses.
Le réconfort est de Milton et il est vaillant,
Je pense que si je pouvais voir ma figure
je saurais qui je suis ce soir d´enluminure.
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cuando miro la cara del espejo;
no sé qué anciano acecha en su reflejo
con silenciosa y ya cansada ira.
mis invisibles rasgos. Un destello
me alcanza. He vislumbrado tu cabello
que es de ceniza o es aún de oro.
la vana superficie de las cosas.
El consuelo es de Milton y es valiente,
Pienso que si pudiera ver mi cara
sabría quién soy en esta tarde rara.
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Mon souci majeur a pourtant certainement été la fidelité à l´essence du poème que je crois avoir su voir (puisque nous parlons d´aveugles) et su respecter (puique dans une traduction
l´important c´est l´original). (1): La beauté des mots très courts castillans "cara" et "rara" se perd lors de la traduction, surtout que le français est en général una langue (un peu) plus "longue" que l´espagnol.
Mi mayor preocupación sin embargo ha sido la fidelidad a la esencia del poema que creo haber sabido ver (ya que hablamos de ciegos) y respetar (puesto que en una traducción lo importante es el original). (1): No entro aquí a valorar la belleza de las palabras castellanas cortas "cara" y "rara", perdida -esa belleza de la cortedad- al traducir a otra lengua además en general (algo) más "larga" que el español.
entre les cornes des bœufs.
Nous irons, si tu le veux,
si tu le veux, dans la campagne monotone.
Entends là-bas, là-bas, l’âne...
L’hirondelle noire plane,
les peupliers au loin s’en vont comme un ruban.
qui grince, qui grince encor,
car la fille aux cheveux d’or
tient le vieux seau tout noir d’où l’argent tombe en pluie.
sur sa tête d’or la cruche,
sa tête comme une ruche,
qui se mêle au soleil sous les fleurs du pêcher.
au ciel bleu des flocons bleus ;
et les arbres paresseux
à l’horizon qui vibre à peine se balancent.
entre los cuernos de los bueyes.
Iremos si lo quieres,
si lo quieres, por el campo que retumba.
Escucha allí, allí al burro...
La golondrina negra en vuelo duro,
los álamos a lo lejos se van como en desmayo.
que chirría, que chirría en coro,
pues la chica con cabellos de oro
sostiene el viejo balde negro donde la plata alea.
en su cabeza de oro al cántaro,
su cabeza como un relámpago,
que se enreda en el sol bajo la flor inquieta.
al cielo azul copos azules;
y los árboles gandules
del horizonte que vibra apenas si suspiran.
À ma connaissances, les oeuvres de Borges sont éditées en plusieurs volumes par Emece Editores.