lundi 2 mai 2005

Des ambiguïtés sur Timon aux ambiguïtés de Timon.

Larousse en 1876 dans son Grand Dictionnaire le désigne sous le nom de Timon le Sillographe. C’est en effet le poème des Silles qui le rend célèbre aux yeux de Larousse, aux nôtres et à ceux de Diogène Laërce qui, tout au long des Vies, ne perd pas une occasion de le citer. Ce sceptique théoriquement dubitatif ne semble pourtant guère avoir hésité au moment de juger les philosophes auxquels ils consacrent ses vers. Au nombre de ses ennemis on compte entre autres :
a)Platon : « un beau parleur à la langue mielleuse » (III, 7 trad. de Luc Brisson)
b)Antisthène : « un bavard qui produit n’importe quoi » (VI, 18 trad. de Marie-Odile Goulet-Cazé)
c)Zénon : « je vis aussi une vieille Phénicienne avide désirant tout acquérir Dans son sombre orgueil ; mais son panier débordait, parce qu’il était petit ; Elle avait l’intelligence plus courte qu’un skindapsos (Richard Goulet explique que le mot est dépourvu de signification : je comprends donc que du point de vue de l’intelligence Zénon a moins que rien !) » (VII, 15)
d)les disciples de Zénon : « Pendant ce temps il ramassait une nuée de pauvres gueux Qui étaient de tous les citoyens les mortels les plus démunis et les plus insignifiants » (VII, 16)
e)Epicure : « Ce porc, le dernier des physiciens, et le plus chien, venu de Samos En petit maître d’école, le plus mal dressé des animaux » (X, 3 trad. de Jean-François Balaudé) Il fait bien sûr l’éloge de Pyrrhon (cf la note du 29-04-05) mais aussi de Thalès, d’ Anaxagore, de Démocrite et d’autres. Mais vu que les louanges sont autant ennuyeuses à lire qu’à reproduire…
Je n’ai pas su où placer Socrate car comme Timon aimait les jeux de mots et précisément l’amphibologie, il lui consacre des vers fielleux et mielleux à la fois. Certes, vues les attaques qu’il réserve systématiquement aux socratiques, on n’est pas étonné de lire :
« Ensorceleur des Grecs, qu’il rendit maître en arguties » (II, 19)
Cependant Michel Narcy explique que le verbe apophaino (rendit) peut se traduire aussi bien par « faire voir », « déclarer », « démontrer » d’où une autre version:
« Ensorceleur des Grecs en qui il dénonça des maîtres en arguties »
Il en va de même avec le vers suivant :
« Nez de moqueur au profil de rhéteur, incapable d’une ironie attique. »
Qu’on peut lire aussi bien:
« Moqueur se moquant des rhéteurs, ironiste quelque peu attique »
Timon a finalement inventé par endroits la langue authentiquement sceptique : Socrate n’étant pas plus ceci que cela, le vers donne donc à entendre la thèse et son contraire. C’est bien sûr une langue qu’on ne peut écrire que par moments et précisément quand ce qu’on a dit avant est si clair que l’ambiguïté est alors lumineusement significative…

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