dimanche 8 mai 2005

Diogène Laërce commenté par Nietzsche : Épicure/Platon.

Dans la partie où Diogène présente les calomnies dont Epicure a été l’objet, il écrit :
« Quant aux platoniciens, il les appelait « flatteurs de Denys » (X, 8)
Platon fut en effet l’ami de Dion, beau-frère du tyran Denys de Syracuse, et il tenta de gagner à ses idées politiques le tyran Denys le Jeune. Nietzsche commente précisément ce passage dans Par-delà le bien et le mal en 1886 :
« Que les philosophes peuvent être méchants ! Je ne sais rien de plus venimeux que la plaisanterie que s’est permise Epicure à propos de Platon et des platoniciens : il les appelait « dionysiokolakes », ce qui signifie, au sens premier et littéral du mot : flatteurs de Denys, c’est-à-dire domestiques de tyran et lécheurs de bottes ; mais cela veut dire encore : « ce ne sont tous que des comédiens, sans rien d’authentique » (car dionysiokolax était le sobriquet populaire qu’on donnait au comédien) : et c’est ce dernier sens qui fait à proprement parler la méchanceté du trait d’Epicure contre Platon : il s’irritait de la mise en scène et des airs majestueux auxquels s’entendaient si bien Platon et ses disciples et dont il était incapable, lui, le vieux pédagogue de Samos, qui, tapi dans son jardinet d’Athènes, écrivit trois cents livres, peut-être par colère contre Platon, qui sait ? Et par esprit d’émulation ? Il fallut cent ans pour que la Grèce découvrît enfin qui était en réalité ce dieu des jardins, Epicure. Mais le découvrit-elle vraiment ? » (Des préjugés des philosophes, 7)
Mais ne nous trompons pas, sous cette défense apparente de Platon, Nietzsche est du côté d’Epicure. Ce qu’Epicure et Nietzsche ont eu en commun, c’est le refus de croire dans un autre monde qui justifierait et expliquerait le nôtre. Platon l’a décrit sous le nom de monde des Idées (eidos) et Nietzsche en traque la représentation sous toutes les métamorphoses. Certes il ne traite pas Platon de dionysiokalax mais il écrit en 1885 dans la préface de l’ouvrage déjà cité :
« La plus grave, la plus tenace et la plus dangereuse de toutes les erreurs a été celle d’un dogmatique, de Platon, l’inventeur de l’esprit pur et du Bon en soi. »
Dans les dernières lignes qu’il consacre à Platon, il est encore plus direct et plus dur :
« Platon est lâche devant la réalité – par conséquent il se réfugie dans l’idéal. » (Le crépuscule des idolesCe que je dois aux anciens, 2)
Mais dans cette fin d’œuvre, Epicure lui-même se trouve réduit à être un représentant de la décadence et ainsi étrangement rapproché des chrétiens :
« Ainsi j’ai appris à comprendre Epicure, l’opposé d’un Grec dyonisien, et aussi le chrétien qui, de fait, n’est qu’une sorte d’épicurien et qui avec son principe « la foi sauve » ne fait que suivre le principe de l’hédonisme aussi loin que possible – jusque par-delà toute probité intellectuelle. » (Nietzsche contre Wagner)
Les philosophes ne sont pas méchants entre eux mais toute philosophie se bâtit sur les ruines de plusieurs autres.

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