jeudi 5 mai 2005

Épicure, un propriétaire.

Diogène Laërce ne sait pas si Epicure est né à Athènes ou dans la colonie athénienne de Samos. Mais, comme il consacre plus de lignes à cette deuxième possibilité, c’est elle que la tradition a retenue. Après diverses pérégrinations, il s’installe à l’ouest d’Athènes, «dans la banlieue » (comme dit un peu anachroniquement Balaudé), au Jardin, une propriété qu’il achète 80 mines (environ 8000 francs-or d’après une note de Robert Genaille) (X, 9). Dès que Laërce évoque le Jardin, il y associe les amis. C’est le lieu d’où Epicure part (rarement) voir ses amis. Mais c’est aussi le lieu vers où ils convergent :
« Eux venaient à lui de toutes parts » (11)
Le Jardin m’apparaît comme un pôle fixe d’attraction dans une Grèce traversée par « une période de troubles graves » C’est en même un lieu d’installation (les amis viennent y vivre) au point que cet endroit me semble être la colonie d’Epicure à l’intérieur d’Athènes ! C’est aussi un territoire unifié par « un régime de vie, le plus frugal et le plus simple ». On y boit généralement de l’eau, quelquefois du vin, sans dépasser alors un quart de litre. Le Jardin fait secte, je n’ai rien trouvé d’équivalent chez les cyniques, les stoïciens ou les sceptiques. Epicure se fixe et fixe autour de lui. Epicure est un propriétaire. Ses amis vivent chez lui :
« Il n’était pas d’avis que l’on dût mettre ses biens en commun, comme Pythagore qui disait qu’entre amis tout est commun. »
La défense de la propriété individuelle ne manque pas d’originalité : c’est parce que les propriétaires sont amis les uns des autres qu’il n’est pas utile d’instituer une propriété collective :
« Un tel précepte ne peut revenir qu’à des gens méfiants et s’ils sont méfiants, ils ne sont pas amis. »
Cette secte est une communauté d’infimes propriétaires solidaires vivant dans le cadre de la propriété épicurienne. Ce qui est à moi sera à toi dès que tu en auras besoin mais tu en auras rarement besoin car ton ordinaire est moins que rien et tes excès un rien :
« Il dit lui-même dans ses lettres qu’il a son content avec seulement de l’eau et du pain de froment et il écrit : « Envoie-moi un pot de fromage, afin que je puisse, quand le voudrai, faire grande chère. »
De ce Jardin j’apprends en lisant le testament d’Epicure qu’il a des dépendances. C’est un curieux texte, ce testament, il n’a rien en tout cas de spirituel. Le maître y lègue très soigneusement ses biens, et précisément le Jardin, à deux inconnus, Amynomaque et Timocrate, dont Richard Goulet pense dans son grand œuvre Le dictionnaire des philosophes antiques qu’ils sont « des sympathisants athéniens de l’école qui acceptaient de servir de gérants pour assurer la continuité matérielle de l’institution. » La raison en est que son successeur à la tête de l’école, Hermarque, étant originaire de Mytilène, ne pouvait hériter légalement du Jardin. Le nouveau maître et « ceux qui philosophent avec lui » en auront seulement l’usufruit. Epicure par ce testament transforme explicitement sa propriété en propriété au service de l’école épicurienne. La transmission continuelle de ce bien de scholiarque à scholiarque est l’acte juridique qui va de pair avec la transmission fidèle de la pensée d’Epicure. Propriété des idées et propriété des choses, Epicure les transmet à sa postérité d’un même mouvement.

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