mercredi 4 mai 2005

Épicure, trop blanc, trop noir.

Finalement, cette vie d’Epicure est bien embarrassante. La raison en est que Diogène a choisi son camp. Comme jamais jusqu'à présent, il est, sans nuances, du côté des apologistes. D’où à la fois l’hyperbole de l’éloge et la médiocrité des accusations. Cet Epicure ne m’offre pas de prises : trop petit ou trop grand, il ne fait rien d’énigmatique. J’aime bien le gris et je ne trouve ici que du blanc et du noir. Le noir n’est même pas amusant: a)il a écrit des lettres licencieuses b)il a prostitué un de ses frères c)il a eu des relations avec des prostituées d)il reprend à son compte les doctrines des autres e)il est flagorneur f)il est ignorant g)il vomit deux fois par jour en raison de ses excès, etc. Le blanc est bien fade :
« Sur cet homme en effet, on a suffisamment de témoignages de son insurpassable bienveillance envers chacun : sa patrie, qui l’a honoré de vingt statues, ses amis, si nombreux que des villes entières ne suffiraient pas à en donner la mesure, ses disciples, tous possédés par les charmes de son enseignement, à l’exception de Métrodore de Stratonice, qui passa chez Carnéade, peut-être parce qu’il était accablé par ses insurpassables bontés (un seul disciple fait défaut et la raison en est dans son excès de générosité !), sa succession qui, lorsque presque toutes les autres se sont éteintes, se maintient toujours et d’innombrables fois libère une direction de l’un des disciples après celle d’un autre, sa reconnaissance envers ses parents, ses bienfaits envers ses frères, sa douceur à l’égard de ses serviteurs etc. » (X, 9-10)
Quitte à le dénigrer, je préfère le mordant du stoïcien Epictète qui décrit ainsi sinon Epicure en personne, du moins ses disciples :
« Que veulent ces gens-là, sinon dormir sans être déranges ni gênés, se lever en bâillant et se laver le visage, puis écrire et lire à leur fantaisie, puis bavarder quelque peu en se faisant complimenter par leurs amis pour ce qu’ils disent, puis partir à la promenade et, après s’être promenés un peu, se baigner, manger, puis dormir, et sur quel lit doivent dormir de telles gens ! Qu’en pourrait-on dire ? On peut le deviner. » (Entretiens III, XXIV, 38 trad. de Bréhier)
J’aime beaucoup ce portrait de l’épicurien en jouisseur paresseux et je me demande si Epictète ne décrit pas exactement ce qu’est en somme l’épicuriste… Quant à l’éloge, je préfère la superbe démesure de Lucrèce, magnifiquement rendue par la traduction de Bernard Pautrat :
« Toi le premier qui pus, en de telles ténèbres, élever un flambeau d’une telle clarté et mettre de la vie les charmes en lumière, c’est toi, honneur des Grecs, que je suis, déposant dans l’empreinte des tiens la trace de mes pieds ; non pas tant que je sois avide de lutter, mais plutôt par amour brûlant de t’imiter ; car l’hirondelle, en quoi irait-elle lutter, avec le cygne ? En quoi pourraient se ressembler la course du chevreau sur ses pattes tremblantes et celle du cheval avec sa force ardente ? Tu es le père, toi, le découvreur des choses, C’est toi qui nous fournis en paternels préceptes, Et comme, dans les prés tout fleuris, les abeilles Goûtent à tout, de même ô héros, dans tes livres Nous autres dévorons tous tes dits d’or, oui, d’or Les plus dignes de vivre à perpétuité. » ( De natura rerum Chant III 1-13)
Mais, bon, je trouve tout de même dans ce texte de Diogène des miettes qui me mettent en appétit. Comme celle-ci :
« Apollodore l’épicurien déclare dans le premier livre de son ouvrage Sur la vie d’Epicure qu’il est venu à la philosophie par mépris pour ses professeurs de lettres ( cette expression a un drôle de côté anachronique ! Robert Genaille choisit plus noblement « grammairiens »), du fait qu’ils étaient incapables de lui expliquer le passage concernant le chaos chez Hésiode. » (X, 2)
J’imagine l’élève Epicure butant sur le vers :
« Au commencement exista le Chaos » (trad. tirée du très précieux site http://remacle.org/)
Car il n’y pas de commencement, pas plus que de fin, dans la cosmologie épicurienne. Et quand il lisait quelques lignes plus loin « Du Chaos sortirent l’Érèbe et la Nuit obscure » (ibid.) il devait demander au grammairien d’expliquer cette genèse et le pauvre grammairien de n’en pouvoir mais et de le renvoyer à l’autorité de sa source. Comme la philosophie épicurienne va désenchanter le monde en remplaçant ces entités mi-abstraites, mi-imaginables par les atomes et leurs incessantes et toujours changeantes combinaisons ! Mais ce n’est pas lui qui l’invente, l’atomisme :
« Hermippe dit qu’il a été maître d’école, et que c’est ensuite, après avoir découvert les livres de Démocrite, qu’il s’est élancé vers la philosophie. »(X, 2)
Epicure ou Hésiode dépassé par Démocrite.

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