On me demande si le philosophe dit la vérité. Si dire la vérité signifie dire ce qu'on pense être vrai, généralement le philosophe dit la vérité, même si à certaines époques et à certains endroits il doit la taire ou la dire discrètement sous une forme qui la rend presque invisible. Si dire la vérité c'est dire ce qui est vrai, le philosophe bien sûr y prétend, même le sceptique quand il dit qu'il ne sait pas s'il la possède ou pire si elle existe. Mais il y a manière et manière de dire la vérité. Dans une lettre, Descartes ne la dit pas comme il le fait dans un traité ou dans une méditation où moment même où il la découvre. Lucrèce la dit en vers tandis que Spinoza la formule en imitant le géomètre. Platon la dit sous la forme plaisante de l'allégorie ou plus directement au moment d'expliquer les mythes qu'il invente. On dira bien sûr que les oeuvres philosophiques ne sont pas les pièces d'un puzzle constitué patiemment au cours des millénaires et s'appelant la Vérité. En effet la vérité cartésienne n'est pas la vérité marxiste qui n'est pas la vérité kantienne. Mais on aurait tort de penser que chaque philosophe est en querelle avec tous les autres. Parler de guerre dramatise encore plus les choses. Il est certain que parmi ses contemporains et ses prédécesseurs proches et lointains le philosophe se choisit des amis et aussi des ennemis. Mais il en connaît aussi beaucoup par ouï-dire ou pas du tout. Rien d'étonnant car celui qui passe sa vie à lire les philosophes pour finalement prendre position n'arrive jamais au but et ne devient jamais philosophe, d' où entre eux quelquefois ces coups de griffes hargneux et pas toujours mérités ou ces éloges excessifs et qui rendent mal justice. Le jeune lecteur voudrait savoir qui a raison finalement. On lui dira que c'est à lui de le déterminer en les lisant et en les confrontant, que cela prend des années, voire des décennies et qu'il n'est pas exclu qu' il n'arrive pas au but. Se faire une idée dépend de ses forces mais aussi des hasards des lectures et des rencontres. Notre époque n'aime peut-être pas la lenteur et réglera quelquefois la difficulté en disant qu'ils ont tous tort ou tous raison. La première position relève d'une grande immodestie car pour la défendre il faudra prétendre détenir la vérité tant recherchée, seule capable de fonder la dénonciation de leurs erreurs. Quant à dire qu' ils ont tous raison alors qu'ils se contredisent quelquefois, cela revient à affirmer qu'il n' y pas de vérité et donc comment prétendre qu' on a raison de leur donner à tous raison !