Le 11 Mars 2005, j’ai consacré à Bion une chronique plutôt expéditive (sectateur de Montaigne, j’avais alors daubé sa mort lamentable) mais, lisant le long article que lui consacre Jan Fredrik Kindstrand dans le Dictionnaire des philosophes antiques (TII p.108-112), je suis pris d’un léger remords.
Malgré que c'est en tant que cynique que je l’ai épinglé, son identité philosophique est fluctuante, voire contradictoire. Si on en croit Laërce, il commença platonicien (d’où sa présence dans ce livre IV) et finit aristotélicien, précisément auditeur de Théophraste; mais entre le point de départ et le point d’arrivée, il y eut deux stations : une chez les cyniques, une autre chez les cyrénaïques, plus exactement chez Théodore l’Athée.
A première vue, le passage du cynisme au cyrénaïsme est malaisé tant est détesté dans la première école ce qui est recherché dans la seconde, je veux dire le plaisir. Cependant Bion retrouvait dans l’enseignement de Théodore une moquerie qui lui était familière à l’égard des prêtres et des images fausses des dieux
De l’ensemble des traits rapportés par Laërce se dégage généralement un air de famille cynique. Laissant de côté les plus provocants, j’en choisirai un destiné à pointer les incohérences des rites funéraires :
« Il blâmait aussi ceux qui brûlent les cadavres en les tenant pour insensibles et déposent à côté d’eux des lampes allumées en les tenant pour sensibles. » (IV 48)
On sait qu’entre la chosification des morts et la personnification des cadavres, les cyniques ont choisi le premier terme, renvoyant le deuxième non au respect des personnes qu’ils furent mais aux conventions sans fondements de la culture. Reste que la conduite dénoncée est pour la plupart d’entre nous la seule à être humaine. L’absence de toute identification à la matière relèverait du pathologique et du déni de réalité ; tout aussi bien ne pas traiter le mort comme s’il vivait encore, comme s’il n’était qu’enfermé dans un sommeil impénétrable, est la négation radicale et scandaleuse de la personne qu’il fut.
Ainsi, entre regard clinique et illusion délirante, le deuil juste se cherche en hésitant.