“(Antigone) ajoutait qu’à l’oral il était le plus doux – d’où (sic) vient que certains ajoutèrent un gamma a son nom mais que par écrit il ne se ressemblait pas. » (V 65)
La personne de Lycon éclipse, semble-t-il, sa pensée ; la douceur dont il s'agit ne paraît en rien relative à son argumentation car si tel était le cas, le texte écrit l'exprimerait tout autant. A première vue, Lycon est sur ce point une sorte de Socrate qui aurait commis l’erreur d’écrire non parce qu'en écrivant il encouragerait l’illusion du savoir et découragerait la recherche du vrai mais parce qu’aucune partition n’équivaudrait la musique effectivement jouée.
Reste que ce qui différencie le cas Socrate du cas Lycon, c’est que les paroles du premier peuvent être répétées sans perte, comme le dit Alcibiade :
« Une chose est sûre ; quand nous prêtons l’oreille à quelqu’un d’autre, même si c’est un orateur particulièrement doué, qui tient d’autres discours, rien de cela n’intéresse, pour ainsi dire, personne. En revanche, chaque fois que c’est toi que l’on entend, ou que l’on prête l’oreille à une autre personne en train de rapporter tes propos, si minable que puisse être cette personne, et même si c’est une femme, un homme ou adolescent qui lui prête l’oreille, nous sommes troublés et possédés. » Le Banquet 215 d (traduction de Luc Brisson)
La parole socratique, loin de se perdre dans la bouche d’autrui, l’habite au point que, même minable, il devient exceptionnellement intéressant. Il est donc clair que ces mots, à la différence de ceux de Lycon, ne tirent pas leur prix de la voix qui les prononce ; leur valeur est inhérente à eux au point qu’elle se conservera quelle que soit la médiocrité de celui qui la véhiculera oralement.
Cette précision d’Alcibiade légitime ainsi l’entreprise platonicienne : si la voix n’a rien à faire dans le prix de la parole, elle ne perd donc rien du tout à être rapportée par écrit, à la différence de celle de Lycon qui perd sa saveur (car ce n’est pas sa saveur mais celle de Lycon) du fait d’être retranscrite.
Ce qui m’étonne, c’est l’inconséquence de Laërce qui, après avoir refusé à l’écrit la capacité de rendre l’oral, n’hésite pourtant pas à enchaîner ainsi :
« Par exemple, à propos de ceux qui se repentent de n’avoir pas étudié quand il était temps et qui en expriment le souhait, il avait cette jolie formule : il disait qu’ils s’accusent eux-mêmes puisqu’ils expriment par un impossible souhait le repentir d’une paresse incorrigible. » (66)
Laërce contredit ainsi ce qu'il disait plus haut de ce même Lycon (cf la note du 12 octobre): en effet il parvient à exhiber le fruit sans l’arbre ou, encore plus difficile, à donner à percevoir le parfum et la beauté de la pomme sans la pomme.