Dans Just the arguments : 100 of the most important arguments in Western philosophy(ed. Michael Bruce et Steven Barbone, Wiley-Blackwell, 2011), Steven Luper présente l'argument célèbre d' Épicure destiné à supprimer la peur de la mort (pour rappel, le voici dans la traduction de Jean Brun : "celui des maux qui fait le plus frémir n'est rien pour nous, puisque tant que nous existons la mort n'est pas, et quand la mort est là nous ne sommes plus"). Puis il le critique en ces termes :
" Unfortunately, it is not clear that this argument accomplishes what Epicurus wanted it to do. The problem is that the term "death" might mean at least two different things. First, it might signify an event : our ceasing to live. Call this "dying". Second, il might signify a state of affairs : the state of affairs we are in result of our ceasing to live. Call this "death". Both dying and death appear to harm us, and hence both threaten our equanimity. But Epicurus' argument shows, at best, that death is nothing to us." (p.99-100)
Je traduis : " Malheureusement, il n'est pas clair que l'argument réalise ce qu' Épicure voulait qu'il fît. Le problème est que le terme "mort" peut signifier au moins deux choses différentes. En premier, il peut signifier un évènement : le fait que nous sommes en train de cesser de vivre. Appelons-le "le fait d' être en train de mourir". En second, il peut signifier un état de choses : l'état de choses dans lequel nous sommes comme résultat du fait que nous avons cessé de vivre. Appelons-le "la mort". À la fois "le fait d'être en train de mourir" et "la mort" semblent bien nous nuire et par conséquent les deux mettent en danger notre sérénité. Mais l'argument d' Épicure montre, au mieux, que la mort n'est rien pour nous."
Il me semble que la critique ne porte pas car, tant que l’évènement n'a pas eu lieu, on est vivant comme on l'a toujours été. Épicure paraît concevoir en effet la mort comme un évènement instantané et donc personne n'est jamais en train de mourir. Certes cette conception instantanéiste de la mort n'est pas en accord avec les manières de parler : "on met du temps à mourir", "on est entre la vie et la mort" etc. mais on peut retraduire toutes ces expressions dans un idiome épicurien (par exemple, pour la première, on peut dire que les souffrances qui précèdent la mort n'en finissent pas). Certes ce que Steven Luper appelle le fait que nous cessions de vivre est bel et bien l'expérience de souffrances mais il ne faut plus aller chercher un remède dans l' argument examiné mais dans l'argument selon lequel la souffrance physique n'est pas à craindre car soit elle est terrible et courte soit elle dure mais est supportable (certes cet argument empirique, a posteriori n'est guère en accord avec l'expérience : lui est donc faible en revanche). Sur cette question, on peut se rapporter à l'un ou l'autre de mes anciens billets