mardi 18 décembre 2012

Au sein même de Port-Royal, l'imagination, "maîtresse d'erreur et de fausseté".

On a déjà lu ces lignes de Pascal insistant sur l'emprise permanente de l'imagination, y compris sur les plus aguerris :
" Ne diriez-vous pas que ce magistrat, dont la vieillesse vénérable impose le respect à tout un peuple, se gouverne par une raison pure et sublime, et qu'il juge des choses dans leur nature sans s'arrêter à ces vaines circonstances qui ne blessent que l'imagination des faibles ? Voyez-le entrer dans un sermon où il apporte un zèle tout dévot, renforçant la solidité de sa raison par l'ardeur de sa charité. Le voilà prêt à l'ouïr avec un respect exemplaire. Que le prédicateur vienne à paraître, que la nature lui ait donné une voix enrouée et un tour de visage bizarre, que son barbier l'ait mal rasé, si le hasard l'a encore barbouillé de surcroît, quelques grandes vérités qu'il annonce, je parie la perte de la gravité de notre sénateur." (Pensées fragment 82, éd. Brunschwicg)
On connaît peut-être moins ce passage de Sainte-Beuve : Saint-Cyran, le maître à penser de Port-Royal, vient d'être libéré de la prison à laquelle Richelieu l'avait condamné à cause de ses idées religieuses. C'est un événement, les nonnes l'attendent avec ferveur mais un petit objet domestique va donner à leur imagination un élan dommageable :
" Toute la Communauté s'était réunie au parloir de Saint-Jean, vers cinq ou six heures du soir, pour recevoir le Père tant désiré ; mais lorsqu'il entra, M. de Rebours (sic), qui avait la vue fort basse, prit une lunette pour lorgner, ce qui fit rire une religieuse, et celle-ci en fit rire une autre, et toutes, ayant le coeur plein de joie, éclatèrent. M. de Saint-Cyran dut ajourner les paroles plus graves : " J'avois bien quelque chose à vous dire, mais il y faut une autre préparation que cela ; ce sera pour une autre fois." Et l'on se retira un peu confus de cet éclat d'allégresse innocente." (Port-Royal, livre II, p.521, La Pléiade)

samedi 15 décembre 2012

Contribution à une réflexion sur le bullshit : pourquoi le fatras croît-il donc ?

Dans Croisière d'hiver. Voyage en Amérique Centrale(1933, trad. JulesCastier, Paris, Plon, 1935, p.273-275), Aldous Huxley écrit :
" Les progrès en technologie ont conduit (...) à la vulgarité (...) la reproduction par procédés mécaniques et la presse rotative ont rendu possible la multiplication indéfinie des écrits et des images. L'instruction universelle et les salaires relativement élevés ont créé un public énorme sachant lire et pouvant s'offrir de la lecture et de la matière picturale. Une industrie importante est née de là, afin de fournir ces données. Or, le talent artistique est un phénomène très rare ; il s'ensuit (...) qu'à toute époque et dans tous les pays la majeure partie de l'art a été mauvais. Mais la proportion de fatras dans la production artistique totale est plus grande maintenant qu'à aucune autre époque.(...) C'est là une simple question d'arithmétique. La population de l'Europe Occidentale a un peu plus que doublé au cours du siècle dernier. Mais la quantité de "matière à lire et à voir" s'est accrue, j'imagine, dans un rapport de un à vingt, au moins, et peut-être à cinquante, ou même à cent. S'il y avait n hommes de talent dans une population de x millions, il y aura vraisemblablement 2 n hommes de talent dans une population de 2 x millions. Or, voici comment on peut résumer la situation. Contre une page imprimée, de lectures ou d'images, publiée il y a un siècle, il s'en publie aujourd'hui vingt sinon cent pages. Mais, contre chaque homme de talent vivant jadis, il n'y a maintenant que deux hommes de talent. Il se peut, bien entendu, que, grâce à l'instruction universelle, un grand nombre de talents en puissance, qui, jadis, eussent été morts-nés, doivent actuellement être à même de se réaliser. Admettons (...) qu'il y ait à présent trois ou même quatre hommes de talent pour chacun de ceux qui existaient autrefois. Il demeure encore vrai que la consommation de "matière à lire et à voir" a considérablement dépassé la production naturelle d'écrivains et de dessinateurs doués. Il en est de même de la "matière à entendre". La prospérité, le gramophone et la radiophonie ont créé un public d'auditeurs qui consomment une quantité de "matière à entendre", accrue hors de toute proportion avec l'accroissement de la population, et, partant, avec l'accroissement normal du nombre des musiciens doués de talent. Il résulte de là que, dans tous les arts, la production de fatras est plus grande, en valeur absolue et en valeur relative, qu'elle ne l'a été autrefois ; et qu'il faudra qu'elle demeure plus grande, aussi longtemps que le monde continuera à consommer les quantités actuelles et démesurées en "matière à lire, à voir et à entendre""
Walter Benjamin ajoute à ce texte qu'il cite en note dans L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique (1939) ;
" Il est clair que le point de vue ici exprimé n'a rien de progressiste."
Certes, mais est-ce faux pour autant ? L'invention de l'Internet n'a fait que rendre plus vraies ces lignes, 80 ans après leur première publication.

Commentaires

1. Le mercredi 19 décembre 2012, 22:01 par julius
Il y a deux choses distinctes mais liées dans cette déclaration d'Huxley.

a) L'une est la question du medium de l'information (la reproductibilité technique des oeuvres à l'infini ( ou quasi) avec l'imprimerie, puis d'autres moyens comme la radio, les images, puis les media electroniques
b) l'autre est l'accroissement du nombre des auditeurs, lecteurs, récepteurs, visionneurs, etc.
Est ce que la reproductibilité , les capacités toujours accrues de diffusion rendent les gens plus stupides? Selon certains non, car d'une part le médium ou véhicule n'a pas d'effet sur le message ( il n'y a pas plus à déplorer l'invention de l'imprimerie que celle d'internet) et d'autre part plus on informe plus on sait , plus cela circule plus le savoir entre dans les caboches (thèse de la "petite poucette" de Michel Serres). C'est la vision irénique : l'augmentation de la taille et de la circulation des infos va augmenter le savoir global, et au total, les gens s'instruiront et seront moins cons.
Selon d'autres, il est faux que le médium soit neutre ( le médium est le massage , comme disait Mc Luhan) : le format par lequel l'info passe compte. En ce sens le livre demande un effort de lecture et d'intelligence que l'internet ne demande pas. Et l'internet nous rend idiots, volages papillonnants. Il nous formate dans nos méthodes. Nombre d'adolescents ne peuvent lire plus de 15 lignes, et leur "attention span" ne dépasse pas 20 minutes ( tout enseignant le constante) . De plus l n'y a aucune raison de supposer que plus le savoir se diffuse moins on est con. Comme disait Jaques Lanzmann ( chanté par Dutronc) : "plus on apprend plus on ne sait rien". Donc l'accroissement du nombre, de la foule, augmente la connerie moyenne.
Je vois du vrai dans les deux, mais je tends comme vous à penser que la seconde thèse est plus vraie que la première. donc comme disait Benjamin, je tends à être réac.

samedi 8 décembre 2012

Qu'est-ce qu'un bon livre ? Éléments d'esthétique orwellienne.

Dans le numéro 5 de Polemic (sept-oct 1946), George Orwell tient à mettre en évidence que l'idéologie de Swift, telle qu'elle transparaît à travers Gulliver, est loin d'être celle d'un homme de gauche :
" Il est hors de doute qu'il hait les grands seigneurs, les rois, les évêques, les généraux, les dames à la mode, les ordres, les titres et les hochets en tout genre, mais il ne semble pas avoir une meilleure opinion des gens ordinaires que de leurs dirigeants, ni être favorable à une plus grande égalité sociale, ni s'enthousiasmer pour les institutions représentatives." (Essais, articles, lettres, p.260, Volume IV)
Cependant, sur la fin de l'article, Orwell, imaginant que le lecteur de l'article le jugera "contre Swift", précise :
" D'un point de vue politique et moral, je combats ses idées, pour autant que je les comprenne. Cependant c'est curieusement l'un des écrivains que j' admire avec le moins de réserves, et Les voyages de Gulliver, en particulier, est un livre dont il me semble que je ne me lasserai jamais (...) Si je devais dresser une liste de six livres à sauver de la destruction, j'y ferais certainement figurer Les Voyages de Gulliver" (p.267)
Se pose alors le problème suivant :
" Quel rapport y a-t-il entre l'approbation des opinions et le plaisir que procure son oeuvre ? " (ibid.)
Orwell part d'abord d'une conception objectiviste de la valeur d'un livre (et plus généralement d'une oeuvre artistique) : cette dernière est dans l'oeuvre, même si elle n' est identifiable que si le livre est lu (que si l'oeuvre est connue) :
" Si l'on admet qu'il y a en art une distinction entre le bon et le mauvais, il faut bien que cette qualité bonne ou mauvaise réside dans l'oeuvre d'art elle-même, non pas indépendamment de l'observateur, bien sûr, mais de son état d'esprit du moment."
Orwell, s'opposant ainsi au relativisme et au subjectivisme, continue en distinguant très clairement la valeur de l'effet produit par elle :
" En un certain sens, il n'est donc pas vrai qu'un poème puisse être bon un jour et mauvais le lendemain. Mais si l'on juge ce poème selon l'effet qu'il produit, cela peut certainement être vrai, car l'effet produit ou le plaisir éprouvé sont des réactions subjectives qui ne se commandent pas."
L'auteur détermine alors quelques-unes des causes physico-psychologiques qui peuvent faire obstacle à un "jugement esthétique" ("un sentiment esthétique", Orwell ne paraissant pas dans ce texte faire de différences entre les deux) : la peur, la faim, la rage de dents, le mal de mer. Mais ces perturbations ne sont pas dangereuses car le lecteur a facilement conscience de leur effet déformant sur l'appréciation. En revanche "un désaccord politique et moral" peut conduire à nier catégoriquement la valeur esthétique d'un ouvrage. Orwell reconnaît donc la possibilité d'évaluer une oeuvre selon deux perspectives : l'une politico-morale, l'autre esthétique.
Or, sans qu'il ne l'écrive noir sur blanc, Orwell pense, semble-t-il, que la seule bonne critique réside dans la lucidité autant du point de vue esthétique que du point de vue politico-moral et dans la capacité de ressentir du plaisir esthétique pour une oeuvre même condamnable éthiquement (un seul adverbe suffit en effet car Orwell ne dissocie pas ici le jugement politique, machiavélien pourrait-on dire, du jugement moral). L'auteur condamne donc les rationalisations qui justifient le rejet d'une oeuvre pour des raisons esthétiques alors qu'il trouve ses raisons dans l'évaluation morale. Il dénonce aussi une critique littéraire qui "consiste dans une large mesure en ce type de va-et-vient frauduleux entre deux systèmes de valeurs".
Mais la valeur esthétique est-elle donc la condition nécessaire et suffisante pour qu'une oeuvre soit jugée bonne et cause donc le plaisir de celui qui la goûte ?
À dire vrai, cette valeur esthétique est une condition nécessaire (pas question de juger un livre comme une oeuvre d'art du seul fait qu'il soutient une position juste), mais non suffisante. Orwell semble alors enlever d'une main ce qu'il a donné de l'autre, car un certain type de contenu est requis, pense-t-il, pour rendre accessible le plaisir esthétique.
Systématisons un peu ici la pensée de l'auteur du point de vue de l'identité des positions défendues dans un livre :
1) celles qui sont "d'une imbécillité flagrante" : à leur propos, on peut formuler un "diagnostic de pathologie mentale". Orwell ne paraît pas ici vraiment distinguer le bête du délirant et du méchant, ce qui est "blessant ou choquant " l'est autant du point de vue de l'intelligence que de l'éthique. Il donne trois exemples de positions appartenant à cette catégorie : celles des spirites, des membres du Ku Klux Klan et celles des partisans de Buchman (une note du traducteur apprend utilement ici que " Frank Buchman (1878-1961) fonda en 1921, à l'université d'Oxford, un mouvement de "réarmement moral"). Si on laisse de côté le dernier cas, mal connu de nous, on réalise que les deux premières idéologies peuvent être qualifiées respectivement de bête et délirante (pardon à William James) et de bête et délirante aussi bien mais de méchante en plus.
2) celles qui sont "compatibles avec la santé mentale, au sens médical du terme, et avec la capacité de mener une réflexion suivie" : on relève donc que la cohérence est une valeur épistémique nécessaire. Dans cet ensemble, Orwell accorde visiblement des degrés de fausseté aux opinions et il n'est pas tendre sur ce point avec Swift dont "la vision du monde n'échappe que de justesse" au ressort des psychiatres. Parmi les points de vue, dont "certains sont manifestement plus erronés que d'autres", Orwell place ceux des catholiques, communistes, fascistes, pacifistes, anarchistes, libéraux à l'ancienne mode, conservateurs ordinaires. Si on l'en juge d'après le livre de John Newsinger (La politique selon Orwell, Agone, 2006), deux de ces positions (anarchiste et pacifiste) ont été plus ou moins à des moments différents celles de l'auteur.
3) quant aux troisièmes positions, le texte, ici ne permet guère de les déterminer positivement, sinon par opposition à celles précédemment évoquées. On les appellera vaguement justes en jouant de l'ambiguïté du terme,le problème n'étant pas ici de déterminer l'identité politique de l'auteur en 1946 (le livre de Newsinger me semble être sur ce point la meilleure des sources en langue française).
Restent deux points à clarifier, l'un précis: pourquoi Swift échappe-t-il de justesse au diagnostic psychiatrique ?, l'autre plus général : d'où vient la valeur littéraire d'un livre ?
On peut aborder le premier point en disant que ce n'est pas un hasard si Cioran aimait lire Swift. Mais c'est précisément l'identité de ce lecteur qui met sur la voie de la réponse : aux yeux d' Orwell, Swift est trop pessimiste. Plus précisément il prend la partie pour le tout ou comme le philosophe pour Wittgenstein, sa vue n'est pas suffisamment panoramique :
" Swift peint du monde un tableau mensonger en refusant de voir dans la vie humaine autre chose que la saleté, la sottise et la méchanceté, mais cet aspect, pour partiel qu'il soit, existe bel et bien, et nous le connaissons tous, même si nous refusons d'en faire mention." (p.269)
Je reste réservé concernant la question de savoir si on peut généraliser à partir de ces lignes et soutenir que les positions de type 2 ont chacune leur part de vérité (ce qui reviendrait alors à chercher ce qu'il y a de vrai dans le fascisme et qui le distingue du Ku Klux Klan par exemple),
Et la valeur littéraire ? Et bien Orwell en donne une explication naturaliste :
" Certaines personnes sont naturellement douées pour faire le meilleur usage des mots, comme d'autres ont des aptitudes naturelles pour les activités sportives. Il s'agit pour l'essentiel, d'une question de rythme et de connaissance instinctive du relief qu'il convient de donner à certains passages."
Plus loin, Orwell est réductionniste d'une autre manière en identifiant le talent à la conviction. À dire vrai, les deux explications peuvent s'additionner même si le résultat sonne un peu tainien : talent = sens instinctif du rythme des mots + conviction.
Concluons : à la différence de La Bruyère, Orwell a donc pensé qu'un bon livre n'est pas nécessairement vrai. Il n'a pas voulu dire qu'un livre faux n'a pas de qualités littéraires (qu'est-ce qui empêcherait un spirite d'avoir et conviction et sens des mots ?). Il a juste défendu que si l'auteur ne défend rien du tout de vrai, alors la condamnation intellectuelle par le lecteur est si radicale que le texte est rejeté en bloc, les idées produisant alors quelque chose comme une colère intellectuelle, qui rend définitivement aveugle à la valeur formelle, littéraire de l'oeuvre.
Notre époque trouvera sans doute audacieuse, voire démodée car dogmatique, l'effort d'identifier une frontière réelle entre les opinions de type 1 et celles de type 2.

Commentaires

1. Le dimanche 9 décembre 2012, 14:18 par Jacques Bolo
Outre que c'est un peu trop ostensiblement formaliste (sans doute par pédagogie) et qu'Orwell n'est pas un philosophe antique (soyons formaliste), il me semble qu'Orwell dit qu'un bon livre, surtout Swift, est sinon "nécessairement vrai", tout au moins partiellement vrai. Et c'est cette part de vrai qui le rend bon.
La question d'une "valeur formelle, littéraire de l'oeuvre", sans aucune vérité, n'a sans doute pas de sens pour lui, contrairement à nos contemporains, pour lesquels elle semble être devenue une norme (formelle). Sans doute à tort.
2. Le dimanche 9 décembre 2012, 15:17 par Philalethe
D'abord je suis content de découvrir quelqu'un partageant (sauf à me tromper) une propriété rare avec Karl Kraus.
Ensuite je suis, si possible, pédagogue (et aussi un pédagogue). Quant aux philosophes antiques, si je les appelle souvent à notre secours (d'ailleurs ils ne peuvent plus grand chose pour nous), ils partagent en effet avec d'autres, non antiques, la tâche de m'éclairer.
Enfin concernant votre remarque je doute de sa vérité car Orwell dans le texte mentionné écrit noir sur blanc :
"Il est exact que la qualité littéraire d'un livre peut, dans une certaine mesure, être distinguée de son thème."(p.268)
Le problème est plutôt qu' à partir de ce que j'ai expliqué, on a deux positions différentes :
a) même les livres indéfendables intellectuellement peuvent avoir une qualité littéraire mais on n'y sera pas sensibles car ils sont par leur manque total de vérité illisibles.
b) si un livre est nul intellectuellement, il l'est littérairement.
Ce qui me fait pencher pour la première position est cette phrase entre autres :
" Pourtant, malgré toute la force et la simplicité de la prose de Swift, et tout cet effort d'imagination qui est parvenu à rendre plus crédibles que la plupart des livres d'histoire non pas un seul, mais toute une série de mondes impossibles, nous ne pourrions prendre plaisir à le lire si sa vision du monde était réellement choquante ou blessante" (p.268)
Cette proposition contrefactuelle laisse penser que le livre de Swift pourrait et être choquant ou blessant et être écrit dans une prose forte et simple.
3. Le mercredi 12 décembre 2012, 14:45 par Jacques Bolo
Justement, je trouve ça un peu formaliste. Mais quant à l'être, si la question est pourquoi on trouve un livre bon, et qu'on ne le trouve pas bon parce qu'on n'y reconnaît aucune vérité, alors la "notion" de qualité littéraire ne peut pas apparaître à celui qui le lit. On ne peut supposer une qualité que d'un point de vue uniquement formaliste, complètement abstrait de toute vérité. Il est alors question de la "notion" de qualité littéraire, pas de la qualité elle-même.
La question essentielle est donc bien celle de la vérité minimale, selon Orwell, mais je suis assez d'accord. Dans une période formaliste, on peut admettre, si on est sensible à cette notion de vérité minimale (et uniquement grâce à cela) que le formalisme est une sorte de "vérité" (de contenu) d'une oeuvre. Mais le contraire ("la vérité est une forme") n'est pas vrai.

Donne-t-on aux élèves en France une éducation scientifique ? Que veut dire scientifique ? Sens étroit et sens large.

Voici quelques passages extraits d'un article écrit par George Orwell le 26 Octobre 1945 pour le journal Tribune:
" (...) Est-il vraiment certain qu' un "scientifique", dans l'acception étroite du terme, soit mieux à même que toute autre personne d'aborder les questions non scientifiques de manière objective ? Il n'y a guère de raisons de le croire. Prenons un seul et simple critère : la capacité de résister au nationalisme (...) Dans son ensemble, la communauté scientifique allemande n'a opposé aucune résistance à Hitler (...) Et il y a plus sinistre encore : le fait qu'un certain nombre de scientifiques allemands aient avalé la monstruosité de la "science raciale" (...) On voit donc que la seule compétence dans une ou plusieurs sciences exactes, même lorsqu'elle est associée à des dons remarquables, n'est d'aucune façon le gage d'une disposition à l'humanité ou à l'esprit critique (...)"
Après avoir présenté la vulnérabilité des scientifiques par rapport à des croyances qui ne sont pas de relation directe avec le savoir qu'ils maîtrisent, Orwell esquisse, certes vaguement, un programme :
" Il est clair que l'éducation scientifique devrait avoir pour but d'inculquer une tournure d'esprit rationnelle, sceptique et expérimentale. Elle consisterait en l'acquisition d'une méthode - méthode qui puisse être appliquée à tous les problèmes que l'on rencontre -, et non en une simple accumulation de faits. Si l'on s'exprime en ces termes, l'apologiste de l'éducation scientifique sera généralement d'accord. Mais si l'on insiste et qu'on lui demande d'être plus précis, on verra qu'en définitive l'éducation scientifique signifie pour lui davantage d'intérêt pour les sciences exactes, en d'autres termes davantage de faits. Dans la pratique, l'idée que la science puisse être une manière d'appréhender le monde et pas simplement un ensemble de connaissances rencontre de fortes résistances. Je pense que le simple esprit de corps en est en partie la cause. Car si la science est simplement une méthode ou une attitude, de sorte que tout individu dont la réflexion est suffisamment rationnelle peut un un sens être qualifié de scientifique, qu'advient-il alors de l'immense prestige dont jouissent le chimiste, le physicien, etc., et de leur prétention à posséder une sagesse dont serait dépourvu le commun des mortels ?" (Qu'est-ce que la science ? Essais, articles, lettres, volume IV p.17)