vendredi 21 janvier 2005

Une sexualité plutôt superflue.

Chez Platon, on monte très haut avec l’amour. A travers un corps, puis les corps, à travers une belle âme, puis les belles actions et les belles connaissances, bien guidé, on atteint le Beau éternel. Que reste-t-il de cela chez Epicure ? Rien. La 18ème sentence vaticane fournit seulement un remède contre la passion amoureuse : le pathos eroticon disparaît « si l’on supprime la vue, et les rencontres, et la vie ensemble. » Le sage a en effet un trésor : la suffisance à soi-même qu’il perdrait dans l’attachement à une personne. L’enthousiasme amoureux, qui mène si loin dans le Banquet, est désormais pure perte. Ne demandons pas alors comment le sage épicurien s’y prend pour accéder au Beau absolu. Il n’existe plus. Le plaisir des belles choses reste sensuel, on les voit, on les écoute. C’est un contact entre deux corps, entre deux agrégats d’atomes. Et le plaisir sexuel ? Quelle est sa part dans le bonheur ? Epicure ne nous a pas laissé grand-chose ; il condamne « la jouissance des garçons et des femmes » dans la lettre à Ménécée et « les plaisirs des gens dissolus » dans la 10ème maxime capitale mais il prend garde de préciser que ces plaisirs ne sont pas condamnables en soi mais parce qu’ils ne font disparaître ni les craintes ni les soucis : la débauche ne donne que des plaisirs impurs ; si elle allait avec les plaisirs purs, qu’il serait sage de se livrer aux orgies ! Attention, qu’on n’entende pas impur dans un sens moral : ici l’impur n’est pas ce qui est lié à la faute mais ce qui n’est pas séparable de la souffrance, de la peine, physique et morale. Mais peut-on être parfaitement heureux sans faire l’amour ? Après un siècle de psychanalyse et de névroses sexuelles, nous sommes portés à dire que non et à évoquer alors les frustrations, les désirs refoulés et toute la panoplie freudienne. Pourtant dans la sentence 33, Epicure écrit :
« Le cri de la chair : ne pas avoir faim, ne pas avoir soif, ne pas avoir froid. Celui qui a ces choses, et l’espoir de les avoir, peut rivaliser avec Zeus en bonheur. »
Quelle étrange association de divinité et d’animalité ! Mais ce sage est plus humain qu’il n’apparaît à une lecture rapide. Il a l’espoir d’avoir tous ces biens dans l’avenir, ce qui suppose et la possession du vrai concernant le temps de la vie et la sécurité apportée par les amis. Mais alors, pas de sexualité du tout ? Ou une solution à la Diogène le Cynique dont l’autre Diogène, Laërce, nous rapporte qu’il se masturbait sur la place publique en regrettant à haute voix qu’on ne puisse pas calmer de la même manière la faim ? Epicure ne nous a légué aucun texte sur l’onanisme. Pas de raison cependant de penser qu’il le condamne, pas de raison non plus de défendre qu’il désapprouve le rapport sexuel. Mais c’est une relation alors strictement physique, sans amour, qu’on a à l’occasion, quand on est assuré qu’elle ne causera aucune peine ni de cœur ni de corps. Le désir sexuel est un désir naturel mais il n’est pas nécessaire au bonheur, on le satisfait s’il n’est pas nuisible. Imaginons qu’Epicure pensait aussi au désir sexuel quand il écrivait la 26ème maxime :
« Parmi les désirs, tous ceux dont la non-satisfaction n’amène pas la douleur ne sont point nécessaires, mais ils ont un appétit qu’il est aisé de dissiper, lorsque la chose désirée est difficile à se procurer ou qu’ils paraissent capables de causer un dommage. »
Finalement, Epicure est bien pauvre sur l’amour ; il faudra aller lire son disciple, Lucrèce, franchement plus disert.

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