vendredi 11 mars 2005

Bion de Borysthène, la triste fin d'un cynique, grenouille de bénitier.

Bion a tout eu pour faire un bon cynique. D’abord la profession des parents : Père : esclave pour ne pas avoir payé l’impôt puis affranchi « qui se mouchait du revers de la main » (D.L., IV, 46) Mère : « elle sortait tout droit du bordel » (ibid.) Ensuite, les débuts dans la vie : ce fils d’esclave est d’abord jeune esclave.
« Je fus donc acheté par un certain rhéteur qui me légua sur son lit de mort tous ses biens. Mais je mis tout cela en pièces, je jetais ses volumes au feu, et je m’en vins à Athènes pour me consacrer à la philosophie. » (ibid.)
Le rhéteur n’avait-il que des livres de rhétorique ? Peu importe au fond, brûler les livres, c’est brûler le maître mais c’est surtout l’indice d’une indéniable orthodoxie cynique, dans le droit fil de la pensée du fondateur :
« C’est Antisthène, en tout cas, qui affirme : « Les gens sensés ne devraient pas apprendre les lettres, de peur d’être pervertis par des influences étrangères. » (VI, 103).
Certes cet acte inaugural a pour nous des allures inquiétantes d’autodafé, mais qu’on l’entende bien : il ne s’agit pas de brûler certains livres en en idolâtrant d’autres mais de condamner l’écriture et la lecture quand elles se substituent à la vie qu’il est juste de mener. On se rappellera pourtant que les cyniques ont écrit des livres ; j’imagine qu’ils contenaient les règles de leur bon usage, c'est-à-dire de leur traduction en actions. Malheureusement ce disciple de Cratès, qui joue juste si jeune, finit complètement désaccordé. Laërce le prend lui-même à parti et lui reproche avec une prolixité inhabituelle sa tardive conversion :
« En proie à une lente maladie Et craignant la mort, Ce négateur des dieux, qui ne regardait Même pas un temple, Et raillait abondamment les mortels Qui sacrifient aux dieux, Ne s’est pas contenté de flatter les narines Des dieux Par l’encens, la graisse et les offrandes Déposées sur les foyers, les autels et la table ; Il n’a pas seulement dit : « J’ai péché Pardonnez mes fautes passées » ; Mais il a complaisamment tendu à son cou à une Vieille pour qu’elle y mît des amulettes ; Il s’est laissé persuader, a lié ses bras De lanières, A posé sur sa porte le nerprun (arbuste à fruit épineux) Et la branche de laurier Prêt à tout endurer plutôt que de mourir. Insensé celui-là qui voulait se concilier Dieu à prix d’argent, Comme si les dieux n’existaient qu’au moment Où il plaisait à Bion d’y croire. Eh bien donc ! Il rêve en vain ce morveux Quand il n’est plus que cendres, Tendant la main et disant : « Salut, salut, Pluton ! » (VI, 55-56-57)
J’imagine le plaisir de Laërce à prendre en flagrant délit de contradiction le cynique finissant. Ce long poème, je le vois comme une vengeance lettrée de compilateur mais enfin ce n’est pas parce que je vais bientôt parler de Nietzsche que je dois transformer ce second Diogène en homme du ressentiment !

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