mardi 13 septembre 2005

Anaximandre et la mer.

"Il fut aussi le premier à dessiner le contour de la terre et de la mer" (Laërce Vies et doctrines des philosophes illustres II, 1)
Pour Anaximandre, la mer n'est pas seulement la limite de la terre, mais aussi le produit d'une genèse. En effet la Terre, telle qu'on la voit, n'est pas ce qu'elle était à l'origine. C'est Aristote dans les Météorologiques qui est encore ici le premier porte-parole d'Anaximandre :
"Au commencement tout l'espace autour de la Terre était occupé par l'humide premier; puis le Soleil l'assécha et une partie, disent-ils (Aristote attribue cette position non seulement à Anaximandre mais à tous les philosophes originaires de Milet) produisit par son évaporation les vents et les mouvements du Soleil et de la Lune, tandis que la partie qui restait forma la mer; c'est pourquoi, à leur avis la mer devient de plus en plus petite en s'asséchant et finira par être un jour entièrement desséchée" (II,1, 353 b6)
La mer est donc un reste, un état intermédiaire entre le plein et le vide. Loin d'être, comme chez son maître Thalès, la matrice d'où tout est issu, l'eau, du moins en tant qu'elle est eau de mer, peut disparaître sans que la Nature cesse d'être identique à elle-même (à noter que de Thalès nous n'avons conservé aucun texte sur la mer en général, si l'on excepte le témoignage d'Hérodote selon lequel il aurait expliqué les crues du Nil par un reflux à l'intérieur des terres des eaux marines poussées par les vents). Si l'eau perd avec Anaximandre son rôle d'élément premier, elle reste tout de même de manière étonnamment moderne la source de la vie. Evolutionniste avant la lettre, Anaximandre fait naître les hommes des poissons, eux-mêmes nés de l'eau. Plutarque dans les Propos de table discute même assez précisément la pertinence de la position anaximandréenne. Finalement fort conformiste, il lui oppose l'usage cultuel traditionnel:
"Les descendants de l'antique Hellène sacrifient aussi à Poséidon né dans leur pays, car ils estiment, comme encore les Syriens, que l'homme est né de la substance humide. C'est pourquoi ils vénèrent aussi le poisson comme ayant même race et parenté que l'homme, ce qui est meilleure façon de philosopher que celle d'Anaximandre, car il ne se borne pas à affirmer que les poissons et les hommes sont de la même espèce, mais assure qu'au commencement les hommes sont nés dans les poissons et se nourrissaient comme les requins, mais que, devenus ensuite capables de subvenir eux-mêmes à leurs besoins, ils se mirent à marcher et prirent pied sur terre. Et de même que le feu dévore le bois dont il est né et qui est sa mère et son père, ainsi que l'a dit celui qui a interpolé dans les vers d'Hésiode le mariage de Céyx, de même Anaximandre, après avoir dit que le poisson est le père et la mère des hommes, osa le leur jeter en pâture." (VIII, 8, 4, 730E)
En somme Plutarque, s'il accepte la parenté entre l'homme et le poisson, refuse le lien de filiation et le parricide qui en découlerait. Filiation que plus tard en 238 l'astrologue latin Censorinus éclaire d'un jour qui n'enlève rien au mystère d'une telle genèse:
"C'est au sein de ces animaux (il s'agit de poissons ou d'animaux tout à fait semblables aux poissons) qu'ont été formés les hommes et que les embryons ont été retenus prisonniers jusqu'à l'âge de la puberté; alors seulement, après que ces animaux eurent éclaté, en sortirent les hommes et des femmes désormais aptes à se nourrir." (Du jour de la naissance IV, 7)
Je rêve sur ces premiers êtres humains nés adolescents d'une explosion animale... Le Pseudo-Plutarque justifie une telle naissance tardive:
" Anaximandre affirme encore que l'homme a été au commencement engendré à partir d'animaux d'espèce différente, compte tenu du fait que les autres animaux se nourrissent très tôt par leurs propres moyens, alors que l'homme est le seul à réclamer un allaitement prolongé: c'est pourquoi, au commencement, l'homme n'aurait pas pu trouver son salut, si sa nature avait déjà été telle qu'elle est maintenant." (Stromates, 2)
Anaximandre résout le problème de la poule ou de l'oeuf en choisissant clairement la poule ! Si, à la différence d'Adam et Eve, les premiers humains ne sont pas créés par Dieu, ils apparaissent pourtant comme eux près à enfanter, sauf qu'il semble que ces proto-poissons les aient portés sans vouloir les faire !

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