jeudi 8 septembre 2005

Phérécide et les dieux.

D’après Théopompe, historien et orateur du 4ème siècle, Phérécyde aurait été le premier physicien et le premier théologien grec en écrivant Sur la nature et les dieux. Diogène Laërce a dû y attacher de l’importance car, alors qu’il se réfère généralement aux oeuvres sur la fin de la biographie, c’est dans ce cas dès la deuxième phrase qu’il le fait. Que pouvait donc contenir cet ouvrage ? C’est un des intérêts de Diogène d’éveiller l’imagination en citant des titres de livres perdus. Mais lisons la suite du texte. Je comprends immédiatement que Phérécyde croit dans l’existence des dieux puisqu’il lui a suffi de voir Héraclès en rêve pour obéir à l’ordre que ce dernier lui donnait. Plus que cela il semble même connaître la langue des dieux :
« Il disait aussi que les dieux appellent la table (des sacrifices) thuoros » (I 119)
En fait je ne pense pas que c’était pour les Grecs un problème de savoir comment les dieux communiquaient, la question ne se posait pas: ils parlaient grec. Mais ce que Phérécyde a peut-être voulu dévoiler, c’est le mot juste pour désigner l’objet en question. Ceci dit, le fameux livre existe encore au 3ème siècle après JC, Diogène l’assure, il en rapporte même la première phrase :
« Zeus, Chronos et C(h)thonie étaient depuis toujours. C(h)thonie reçut le nom de Terre, parce que Zeus lui donna la terre en guise de privilège » (119)
Ces quelques mots me suggèrent que ce texte est dans la veine de la Théogonie d’Hésiode. Mais rien n’interdit de penser que ces noms propres désignent des allégories et que s’organise sous l’apparent défilé des divinités une toute autre recherche. C’est ce que Clémence Ramnoux suggère dans l’article qu’elle consacre à Phérécyde dans l’Encyclopédie universalis. En tout cas, ces certitudes dogmatiques font mauvais ménage avec ce que Phérécyde dit de son ouvrage dans la lettre (apocryphe) qu’il adresse à Thalès. En effet il demande d’abord qu’on le relise:
« Si toi, avec les autres Sages, tu en approuves (le contenu), rends-le public comme il est. Si en revanche vous ne l’approuvez pas, ne le rends pas public. » (122)
Dans ce contexte, ces Sages apparaissent comme une communauté de théologiens, apte à déterminer ce qui correspond ou non à la réalité des Dieux. Plus loin Phérécyde justifie ainsi sa prudence :
« Car (l’ouvrage) ne me satisfait pas encore. La certitude des faits n’est pas (établie) (il semble que cette théologie est plus historique et narrative que démonstrative et spéculative) et je ne prétends pas connaître la vérité, mais seulement ce qu’on peut dire en discourant sur les dieux (osant prendre au sérieux ce passage « probablement corrompu » selon Richard Goulet, j’imagine donc que Phérécyde entendait écrire : « On dit que Zeus, Chronos etc »). Le reste est matière à réflexion ; car je formule tout sous forme énigmatique (comme si se contentant de rapporter les paroles habituelles il était incapable de formuler des paroles véridiques) » (122)
Bien qu’on lui attribue un épigramme commençant par « Le sommet de toute sagesse est en moi », Phérécyde, par ses aveux sceptiques confiés en fin de vie à Thalès, reconnaît que le dernier des sages n’a pas mis fin à la recherche de la vérité. Les philosophes, bien que précédés par les sages, ont donc encore de quoi faire !

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