mercredi 7 septembre 2005

Phérécide ou comment mettre des parasites au service d'une conquête militaire.

Courir le risque de la mort pour son pays, c’est ordinaire. Phérécyde, lui, innove : il offre sa mort. Ce n’est pas en effet avec les forces de son corps vivant qu’il va aider Ephèse à remporter la victoire sur Magnésie, mais avec l’immobilité inerte de son cadavre. Jugez plutôt :
« (...) il demanda à un passant d’où il était. Comme l’autre répondit « d’Ephèse », il lui dit : « Traîne-moi donc par les jambes (ce mode de locomotion funéraire me paraît bien rude) et dépose-moi sur le territoire des Magnésiens, puis annonce à tes concitoyens de m’ensevelir sur place après la victoire. (Dis-leur que c’est là) ce qu’a prescrit Phérécyde. L’autre transmit ce message. Quant aux Ephésiens, le lendemain, ayant lancé une attaque, ils l’emportent sur les Magnésiens, ensevelissent sur place Phérécyde qui était mort et lui rendent des hommages somptueux» (I 117-118)
Je ne sais pas pourquoi Phérécyde, originaire de l’île de Syros, est attaché à Ephése et pourquoi les Ephésiens se battent pour récupérer son corps : ce corps glorieux avant la victoire et non après, comme pour le banal martyr. Les Ephésiens ont donc atteint leur but (vaincre les Magnésiens) en étant contraints par l’ultime décision de Phérécyde à en viser un autre (accomplir un rite mortuaire). Le sage se fait instrument de la victoire. Mais là encore il semble agir sur ordre, si l’on en croit l’épigramme que Diogène Laërce écrit en son honneur :
« Il ordonna qu’on le mît chez les Magnésiens pour donner victoire aux valeureux citoyens d’Ephèse. Car il y avait un oracle, que lui seul connaissait, Qui prescrivait ce geste. » (121)
Si Diogène a raison, Phérécyde, le mort conquérant, n’est pas un astucieux stratège mais juste un bon Grec qui se conforme, par prudence, à un oracle. Mais de quoi était-il mort ? D’une invasion de poux, dit-on, ou d’une phtiriasis, pour le dire en termes plus choisis :
« L’illustre Phérécyde qu’enfanta un jour Syros a perdu, rapporte-t-on, son ancien aspect quand il fut (dévoré) par les poux » écrit encore Diogène.
Il dût être sévèrement ravagé pour avoir inventé la communication par le doigt, si on peut dire. Pythagore, dont il est traditionnel de dire qu’il était le disciple de Phérécyde, étant venu prendre de ses nouvelles, « il fit passer son doigt par le trou de la porte (dans une lettre à Thalès, il précise qu’il s’agit du trou de la serrure) et dit : « Ma peau le montre clairement » (118)
J’imagine un cynique atteint d’une telle pathologie pédiculaire ; il aurait paradé, fier d’être laid, sur les places publiques, faisant gaillardement du petit animal une preuve de la fragilité du corps, jouissant de la méprise de ceux qui se seraient détournés de lui parce qu’ils l’auraient confondu avec sa peau. Mais enfin, défiguré et pudique, Phérécyde a su tout de même d’une certaine manière faire belle figure sur le champ de bataille.

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