dimanche 7 mai 2006

Arcésilas et Crantor : le coup de foudre philosophique.

Spinoza dans le Traité de la réforme de l’entendement explique que si on veut s’adonner à la philosophie, il faut laisser de côté les biens ordinaires et qu’à vouloir trop embrasser on étreint fort mal.
Mais Crantor n’est pas spinoziste ; platoniser pour lui n’implique aucun renoncement à l’amour, mieux c’est en suivant ses inclinations qu’il recrute un nouveau disciple, Arcésilas, maître à venir de l’Académie :
« Crantor qui était amoureux de lui, lui demanda en citant un vers de l’Andromède d’Euripide :
"Ô vierge, si je te sauve, m’en sauras-tu gré ? »(IV 29)
Quand le désir, marié à l’érudition impeccable, prend pour cible un jeune homme « épris de philosophie », rien d’étonnant à ce qu’il fasse mouche. En revanche, surprise d’entendre l’aimé donner exactement la réplique :
« Emmène-moi, étranger, comme esclave si c’est ton désir, ou bien comme épouse. » (29)
Etre philosophe, c’était peut-être aussi cela : être assez maître de soi pour exprimer sans déroger ses désirs les plus sensuels. Et si Arcésilas se met immédiatement au diapason, c’est que, passé par l’école aristotélicienne et auditeur de Théophraste, il s’est déjà frotté à la philosophie.
Miracle aussi de la correspondance immédiate et définitive des inclinations :
« De ce jour, ils vécurent ensemble » (30)
Comment ne pas se rappeler les phrases que Platon met dans la bouche d’Aristophane ?
« Quand il lui arrive d’avoir commerce avec cette moitié de lui-même dont je parle, alors l’amoureux des jeunes garçons, et de même toute autre sorte d’amoureux, tous, ils se sentent miraculeusement frappés par une forte émotion d’amitié, de parenté, d’amour ; se refusant, pour bien dire, à se séparer l’un de l’autre, fût-ce même pour peu de temps. Bien plus, ce sont ceux-là qui passent, d’un bout à l’autre, leur vie ensemble. » (Le Banquet 192 bc traduction de Léon Robin)
Cependant Arcésilas a un autre amour mais cette passion-là, loin de l’éloigner de Crantor, a dû au contraire l’unir à lui, ces deux platoniciens communiant en effet dans Homère :
« Il (l’) appréciait plus que tous les autres poètes et il avait l’habitude d’en lire quelques vers non seulement avant dormir, mais à l’aube aussi (il faisait de même), disant, chaque fois qu’il voulait lire, qu’il se rendait chez son bien-aimé. » (31)
Le disciple a donc poussé au paroxysme un trait du maître au point d’identifier à un amant l’auteur chéri. Homère non plus critiqué mais dégusté matin et soir, source toujours renouvelée de plaisir et d'ordre. Certes Laërce écrit tout de même quelques lignes plus loin :
« Il semble avoir également admiré Platon et il possédait ses livres. » (32)
Arcésilas : possesseur de Platon mais possédé d’Homère et par Crantor.

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