En 1741 dans ses Essais moraux et politiques, Hume intitule une de ses réflexions : De la superstition et de l’enthousiasme. Il y fait une distinction entre deux fausses religions qui s’opposent autant à la vraie religion qu’à la saine raison et à la philosophie. A la différence donc de la conclusion de l'Enquête sur les principes de la morale, c’est à l’intérieur même de la religion que le couple superstition/enthousiasme permet d’opérer cette fois une distinction.
Dès les premières lignes, Hume fait la genèse de la superstition, je cherche alors dans ce texte une clarification de la dimension artificielle de la philosophie pascalienne, telle que Hume l’a dénoncée. Or, je trouve bien plus une référence à la nature qu' à l’artifice :
« L’esprit de l’homme est sujet à certaines terreurs et appréhensions inexplicables procédant ou bien d’une situation privée ou publique malheureuse, d’une santé déficiente, d’une tendance dépressive ou mélancolique, ou bien de la concomitance de toutes ces circonstances. Dans un tel état d’esprit, des maux infinis et inconnus sont redoutés d’agents inconnus ; et là où manquent de réels objets de terreur, l’âme agissant à son détriment et favorisant son inclination prédominante en découvre d’imaginaires, à la malignité et au pouvoir desquels elle n’attribue aucune limite. Ces ennemis étant complètement invisibles et inconnus, les méthodes employées pour les apaiser sont également inexplicables, consistant en cérémonies, observances, mortifications, sacrifices, offrandes, ou toute pratique, même absurde ou frivole, que la folie ou la canaillerie préconise à une crédulité aveugle et terrifiée. Faiblesse, peur, mélancolie alliées à l’ignorance, sont donc les véritables sources de la superstition. » (Essais moraux, politiques et littéraires traduction de Jean-Pierre Jackson Editions Alive p.116)
La superstition a donc trois conditions, dans l’ordre : l’infortune, la peur et la folie ou la canaillerie.
Quelques lignes plus loin, Hume éclaire la troisième condition : elle est incarnée par « un individu quelconque que sa sainteté de conduite, ou peut-être son impudence et sa ruse fait supposer (au superstitieux) plus favorisé par la Divinité. » Le concept de prêtre (priest) se réfère à un tel individu, « prétendant au pouvoir et à la domination, à un caractère sacré qui soit distinct de la vertu et des bonnes moeurs » qu’il distingue nettement du curé ou pasteur (clergyman), lui tout à fait respectable (reste que la mention de la sainteté de la conduite devient alors passablement mystérieuse).
Ceci dit, Hume est clair : ici le prêtre ne crée pas la superstition, l’ascendant qu’il a naît d’elle.
Je reviens désormais à Pascal : ou bien on le réduit à n’être qu’un superstitieux ordinaire, mais alors on ne comprend pas pourquoi Hume le qualifie d’ « homme d’intelligence et de génie » ni pourquoi il dit de lui qu’il est « dans un autre élément que le reste de l’humanité » ; ou bien il est malgré son génie victime des prêtres (ce qui donne aux prêtres une dimension offensive, conformément à la suite de l’essai : « La superstition s’insinue graduellement et insensiblement ; elle rend les hommes timorés et soumis (la peur produit le prêtre qui la renforce parce qu’il en tire profit, Hume ne me semble pas très loin ici de la position de Kant dans l’opuscule Qu’est-ce que les Lumières ? (1784))) mais reste alors inexplicable tout de même l’idée que Pascal est dans le vide et plus dans l'air.