mardi 27 mars 2007

Héraclite vu par Thémistius (1)

Je découvre dans le Diels traduit par Jean-Paul Dumont un passage de Thémistius portant sur Héraclite. Ignorant qui il est, je me reporte au catalogue des auteurs et lis :
« Rhéteur grec du 4ème siècle, surnommé « le Beau Parleur », auteur de Discours et de divers traités philosophiques. »
Le portrait n’incline pas à l’empathie. Je pousse néanmoins ma recherche : Pierre Aubenque dans le texte de l’Encyclopédie Universalis consacré à Aristote en fait un des grands commentateurs du maître et son nom y apparaît dans sept autres articles mais toujours, au fond, comme un figurant.
Surprise donc en ouvrant le quinzième tome du Grand dictionnaire universel du 19ème de Pierre Larousse :
« Thémistius de Paphlagonie, né en 325. Si nous éprouvons une émotion douloureuse chaque fois que le culte de la vérité nous oblige de saper une réputation qui semble solidement établie, en revanche c’est avec un vif sentiment de plaisir que nous accomplissons cet acte de justice qui consiste à tirer de l’obscurité un homme de talent et de cœur dont le caractère et les écrits méritent d’être mis en lumière. Or, rarement cette satisfaction sera aussi légitime qu’à propos de Thémistius. Esprit sérieux et élevé, il est de plus homme d’Etat, et, quoiqu’il se souvienne un peu trop qu’il a été professeur de rhétorique, la chaleur de ses convictions, la noblesse de ses sentiments, la hauteur de ses idées impriment à son style cette gravité éloquente, cette qualité indéfinissable qui font estimer l’écrivain, parce que sous cet écrivain il y a un homme. Tout jeune, il composa sur La philosophie d’Aristote et de Platon un remarquable commentaire ; mais ce sont ses Discours qui lui ont valu une certaine réputation, bien au-dessous de son mérite. La plupart roulent sur des sujets d’une importance réelle. Il nous en est parvenu trente-trois, écrits en grec, pleins d’énergie et d’élévation. Ils prouvent que Thémistius ne craignait pas d’adresser de sévères remontrances aux princes de son temps. Dédaignant, dans sa juste fierté, de s’abaisser aux flatteries et aux banales adulations dont les déclamateurs de cette époque de servitude et d’avilissement fatiguaient les puissants de la terre, il communique à la philosophie une vie nouvelle par son élégance, pure et variée. Il professait les doctrines de Platon et d’Aristote, mais son culte pour ses grands penseurs n’allait pas jusqu’à l’aveuglement, ni jusqu’à lui faire abdiquer cette indépendance d’esprit qui est une des premières qualités du philosophe sérieux. Il ne jurait sur la parole d’aucun maître, et son caractère était à la hauteur de son talent. »
Larousse, qui loue en somme Thémistius d’incarner au 4ème siècle l’idéal que lui-même a du philosophe, caractérise brièvement ses discours, en relevant toutes les qualités qu’il aimerait, j’imagine, pouvoir attribuer aux penseurs de son temps : défenseur de la liberté de conscience et exemple de tolérance religieuse. Enfin, contre les jésuites qui l’ont calomnié, Larousse conclut :
« Il résulte de cette appréciation que les œuvres de Thémistius sont loin de mériter l’oubli, et nous serions presque tenté de croire que la rancune religieuse au moyen âge a organisé contre elles la conspiration du silence. On devrait les mettre entre les mains des princes ; le fanatisme y perdrait, mais la civilisation ne pourrait qu’y gagner. Le style de Thémistius est clair, correct, harmonieux, généralement exempt de mauvais goût, quoique un peu apprêté ; mais ce qui le distingue surtout, c’est l’énergie et la précision. Saint Grégoire de Niziance lui a décerné le titre flatteur de Roi de la parole et ses contemporains celui de l’Orateur bien disant. » (1876 p.72)
Entre le beau parleur et l’orateur bien disant, il y a un monde même si les mots sont proches.
Larousse, en tout cas, fournit ici un bel exemple d’histoire monumentale au sens que lui donne Nietzsche dans la deuxième de ses Considérations inactuelles :
« Par quoi donc la contemplation monumentale du passé, l’intérêt pour ce qui est classique et rare dans les temps écoulés, peut-il être utile à l’homme d’aujourd’hui ? L’homme conclut que la grandeur qui a été une fois a en tout cas été possible autrefois et sera par conséquent encore possible un jour. » (De l’utilité et de l’inconvénient de l’histoire pour la vie p.228 Edition Robert Laffont)
Malheureusement Richard Goulet et ses collaborateurs n’ont pas encore dépassé la lettre O dans leur magnifique Dictionnaire des philosophes antiques… Il faudra attendre. Mais que dit donc Thémistius à propos d’Héraclite ?

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