Suzanne Husson dans une note de la conclusion de La République de Diogène (Vrin, 2011) affirme ne pas pouvoir croire dans une renaissance du cynisme :
" Il est tout à fait improbable que le cynisme puisse renaître dans notre société aux normes floues et négociables, où toute déviance non-criminelle est rapidement récupérée et, devenue phénomène de mode, s'intègre à l'ordre marchand. On n'ose pas imaginer ce que seraient devenus un Diogène ou l'un de ses imitateurs invités sur les plateaux de télévision : jusqu'où faudrait-il alors pousser la provocation sans que son traitement médiatique n'en désamorce la portée ?" (p. 179)
Premier problème : le cynisme ne peut-il se développer que dans une société aux normes rigides et absolues ?
Dans nos sociétés existe une pluralité de normes faisant que toute contestation de l'une est interprétée comme respect d'une autre. Aussi toute transgression cynique d'une norme donnée pourra être interprétée comme défense d'une autre norme ; or, les Cyniques ont opposé aux normes la nature. On pourrait objecter que les normes éthiques sont elles rigides et absolues (accordons que ces normes pourraient être résumées par le principe de non-nuisance à autrui). Certes mais une transgression de ces normes n'est pas cynique : si la victime du cynique est offensée en effet, elle n'est pas contrainte physiquement, ni lésée dans ses propriétés ou dans son intégrité physique. Il est donc exclu qu'être cynique revienne à autre chose qu'à offenser autrui dans ses opinions. Mais nous sommes portés à identifier l'offense à ce qui va avec la liberté d'expression des opinions, ce qui, en identifiant la transgression cynique à la manifestation d'une opinion, lui enlève son statut de prétendue vérité fondamentale. Au pire, le cynique ne serait alors qu'un bizarre excentrique ; au mieux, il aurait une opinion minoritaire.
Deuxième problème : le cynisme serait-il rapidement récupérable par la mode ?
En effet difficile d'imaginer l'absence d'une telle récupération. Mais le cynique resterait en mesure de la dénoncer comme telle et de s'en différencier. Le critère de différenciation pourrait être la présence ou non d'un ponos, d'un effort. Celui qui jouerait au cynique s'amuserait au sein d'une nouvelle coterie ; le cynique authentique resterait fidèle à l'effort que coûte la supposée rupture avec toute opinion ; profondément individualiste, on le verrait guère participer à un courant mais au contraire il mordrait ses imitateurs.
Troisième problème : le cynisme est-il présentable sur un plateau de télévision ?
Pierre Bourdieu, qui n'était pas cynique mais seulement averti de la manipulation que les médias font subir à ceux qu'ils invitent à leur parler, était pour cela réticent à passer à la télévision. Un cynique aujourd'hui la fuirait, comme il fuirait toute médiatisation de ses actes. Il transgresserait mais n'appellerait pas les journalistes avant la transgression ni après, laissant à la société la charge de secréter ses anticorps, si on me permet l'expression. Il faut répéter ici que si le cynique viole l'usage, c'est d'abord dans le cadre d'un perfectionnement individuel - ce qui permet d'envisager des actes cyniques quelquefois sans témoin-. Bien sûr on ne comprendrait pas que quelqu'un se prétende cynique et n'ait jamais offensé publiquement autrui car en effet ce sont tous les usages sociaux dont le cynisme prétend montrer l'absence de fondement.
Dans nos sociétés existe une pluralité de normes faisant que toute contestation de l'une est interprétée comme respect d'une autre. Aussi toute transgression cynique d'une norme donnée pourra être interprétée comme défense d'une autre norme ; or, les Cyniques ont opposé aux normes la nature. On pourrait objecter que les normes éthiques sont elles rigides et absolues (accordons que ces normes pourraient être résumées par le principe de non-nuisance à autrui). Certes mais une transgression de ces normes n'est pas cynique : si la victime du cynique est offensée en effet, elle n'est pas contrainte physiquement, ni lésée dans ses propriétés ou dans son intégrité physique. Il est donc exclu qu'être cynique revienne à autre chose qu'à offenser autrui dans ses opinions. Mais nous sommes portés à identifier l'offense à ce qui va avec la liberté d'expression des opinions, ce qui, en identifiant la transgression cynique à la manifestation d'une opinion, lui enlève son statut de prétendue vérité fondamentale. Au pire, le cynique ne serait alors qu'un bizarre excentrique ; au mieux, il aurait une opinion minoritaire.
Deuxième problème : le cynisme serait-il rapidement récupérable par la mode ?
En effet difficile d'imaginer l'absence d'une telle récupération. Mais le cynique resterait en mesure de la dénoncer comme telle et de s'en différencier. Le critère de différenciation pourrait être la présence ou non d'un ponos, d'un effort. Celui qui jouerait au cynique s'amuserait au sein d'une nouvelle coterie ; le cynique authentique resterait fidèle à l'effort que coûte la supposée rupture avec toute opinion ; profondément individualiste, on le verrait guère participer à un courant mais au contraire il mordrait ses imitateurs.
Troisième problème : le cynisme est-il présentable sur un plateau de télévision ?
Pierre Bourdieu, qui n'était pas cynique mais seulement averti de la manipulation que les médias font subir à ceux qu'ils invitent à leur parler, était pour cela réticent à passer à la télévision. Un cynique aujourd'hui la fuirait, comme il fuirait toute médiatisation de ses actes. Il transgresserait mais n'appellerait pas les journalistes avant la transgression ni après, laissant à la société la charge de secréter ses anticorps, si on me permet l'expression. Il faut répéter ici que si le cynique viole l'usage, c'est d'abord dans le cadre d'un perfectionnement individuel - ce qui permet d'envisager des actes cyniques quelquefois sans témoin-. Bien sûr on ne comprendrait pas que quelqu'un se prétende cynique et n'ait jamais offensé publiquement autrui car en effet ce sont tous les usages sociaux dont le cynisme prétend montrer l'absence de fondement.
En résumé, un renouveau cynique devra trouver les formes pour apparaître comme une contestation non de la culture mais de toute culture. Ces formes trouvées, il devra répondre à ceux qui soutiendront que c'est bien une forme de vie naturelle qu'il prône et non un autre style de vie avec ce que l'expression implique de conditionnement culturel et social. Et ici comment ici ne pas rejoindre Suzanne Husson quand elle écrit :
" La prétention cynique à vivre de façon naturelle est donc fondamentalement illusoire. L'homme ne parviendra jamais à rejoindre la nature, quand bien même il en projetterait une image en se donnant pour modèle moral. Le cynisme ne se situe pas en deça ou au-delà de la civilisation, mais en est un produit particulièrement raffiné, même s'il ne correspond pas aux règles courantes du "raffinement philosophique".
Ainsi, le cynisme s'élabore en niant précisément ce qu'il est en train de faire, c'est-à-dire la construction culturelle d'une certaine image que l'homme se donne de lui-même, dont les cyniques furent à la fois les principaux scénaristes, les acteurs et les metteurs en scène." ( ibid., p.180-181)
Ainsi, le cynisme s'élabore en niant précisément ce qu'il est en train de faire, c'est-à-dire la construction culturelle d'une certaine image que l'homme se donne de lui-même, dont les cyniques furent à la fois les principaux scénaristes, les acteurs et les metteurs en scène." ( ibid., p.180-181)
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