Dans l' Histoire des oracles, Fontenelle, incrédule par rapport aux oracles, défend que déjà dans l' Antiquité, ils étaient loin d'être pris au sérieux par tous, qu'il s'agisse des philosophes ou des gens ordinaires. Mais pourquoi faut-il privilégier le témoignage des incrédules et non celui des crédules ? L'opinion des pro n'a-t-elle pas autant de poids dans un domaine controversé que celle des contra ?
Pour répondre à l'objection, Fontenelle va évaluer la valeur des raisons, non en fonction de leurs qualités intrinsèques mais en fonction de leur dimension réactive ou non : les raisons réactives sont un indice de raisonnement, en revanche celles qu'elles réfutent manifestent la passivité de ceux qui, élevés dans une société donnée, en partagent les croyances et les désirs ordinaires. Il précise bien que cette conception ne revient pas à disqualifier systématiquement les croyances ou incroyances grégaires ni à faire confiance aveuglément aux croyances et incroyances réactives. Son principe est plutôt : toutes choses égales par ailleurs, les thèses réactives sont à prendre plus au sérieux que les thèses reçues. Voici le texte :
" Mais tous les païens méprisaient-ils les oracles ? Non, sans doute. Eh bien ! quelques particuliers qui n'y ont point d'égard suffisent-ils pour les discréditer entièrement ? À l'autorité de ceux qui n'y croyaient pas, il ne faut qu'opposer l'autorité de ceux qui y croyaient.
Ces deux autorités ne sont pas égales. Le témoignage de ceux qui croient une chose déjà établie n'a point de force pour l'appuyer, mais le témoignage de ceux qui ne la croient pas a de la force pour la détruire. Ceux qui croient peuvent n'être pas instruits des raisons de ne point croire : mais il ne se peut guère que ceux qui ne croient point ne soient point instruits des raisons de croire.
C'est tout le contraire quand la chose s'établit : le témoignage de ceux qui la croient est de soi-même plus fort que celui de ceux qui ne la croient point, car naturellement ceux qui la croient doivent l'avoir examinée et ceux qui ne la croient point peuvent ne l'avoir pas fait.
Je ne veux pas dire que, dans l'un ni dans l'autre cas, l'autorité de ceux qui croient ou ne croient point soient de décision ; je veux seulement dire que, si on n'a point d'égard aux raisons sur lesquelles les deux partis se fondent, l'autorité des uns est tantôt plus recevable, tantôt celle des autres. Cela vient en général de ce que, pour quitter une opinion commune ou pour en recevoir une nouvelle, il faut faire quelque usage de sa raison, bon ou mauvais ; mais il n'est point besoin d'en faire aucun pour rejeter une opinion nouvelle ou pour en prendre une qui est commune. Il faut des forces pour résister au torrent, mais il n'en faut point pour le suivre." (Première dissertation, Chapitre VIII)
On notera la prudence de Fontenelle : les positions réactives ont généralement des raisons - et l'auteur n'exclut pas qu'elles soient mauvaises- , les positions attaquées ont généralement des causes - et il n'écarte pas que des bonnes raisons peuvent aussi les soutenir.