lundi 17 septembre 2012

Un déclaration anti-platonicienne (et plutôt nominaliste) de Marat, personnage principal de "Drôle de jeu" de Roger Vailland.

Ça commence comme un échange assez ordinaire entre Marat et Rodrigue (deux noms d'emprunt dans la Résistance) :
" - Sais-tu si Chloé passera dans la matinée ? Je voudrais qu'elle m'arrange en vitesse une rencontre avec Caracalla.
- Je ne sais pas. Je ne l'ai pas vue depuis plusieurs jours.
- Brouillés ?
- Non. Pourquoi me brouillerais-je avec elle ? C'est une brave fille..."
Puis, étonné par l'expression, Marat décroche les Idées du Ciel intelligible :
" Une brave fille ? Elle tombe de haut : avant mon départ, si j'ai bonne mémoire, elle venait de te faire comprendre ce qu' est l'allure : une femme qui a de l'allure, un poème de grande allure, un style alluré. J'aime qu'ainsi d'un rapport brusquement et par hasard perçu entre un objet concret et un mot, résulte la prise de conscience d'une idée générale ; c'est cet acte qui fait la réalité de l'idée. J'avais été ravi de te voir adopter cette méthode pour enrichir ton vocabulaire, c'est-à-dire ta "conception du monde". Je ferai un jour un long poème sur les rencontres qui ont illuminé mon vocabulaire : la plante qui m'a éclairé l'élégance, l'aurore du 5 août 1932 sur la mer Rouge qui m'a enseigné le "lever du soleil", le sein de Rosine qui m'a appris la perfection du sein, la phrase de Staline qui m'a révélé la grandeur, etc
- J'avais eu une fausse illumination, provoquée par une chasteté inconsidérément prolongée. Chloé n'enrichira jamais ma conception du monde que du concept de "bonne fille"..." (Le livre de Poche, p.307)
Dommage qu'il y ait le dernier exemple. Heureusement Vailland a écrit en 1956 à Élisabeth, sa compagne : " Il va falloir retirer le portrait au-dessus du bureau. Ce fut un homme très génial et très terrible, je l'aime, mais il n'a pas plus de raison d'être là (au-dessus de mon bureau) qu' Héliogabale" (Écrits intimes , Gallimard, 1968, p.482). Le 5 Juin de la même année, Vailland prend une décision radicale : " Je ne mettrai plus jamais le portrait d'un homme sur les murs de ma maison " (ibid., p.485)
Restent le sein, la plante, l'aurore...
Bien sûr, d'autres préféreront des cieux plus sérieux, comme celui d' Alain, platonicien à sa manière :
" La Caverne de Platon, cette grande image, s'est rompue en métaphores qui ont circulé dans le monde des hommes comme des bijoux, jetant de vifs éclats. Mais l'image mère est bien autre chose ; elle forme un thème à réflexion pour des siècles encore. J'aime à penser, quand je regarde ce ciel d'hiver qui maintenant descend, que je suis enchaîné à côté des autres captifs, regardant avec admiration ces ombres sur le mur. Car les idées qui pourront m'expliquer quelque chose du ciel n'y sont nullement écrites. Ni l'équateur ni le pôle, ni la sphère, ni l'ellipse, ni la gravitation ne sont devant mes yeux. J'aperçois qu'il faudrait regarder ailleurs, et faire même le long détour mathématique, et contempler alors les choses sans corps et sans couleur, qui ne ressemblent poit du tout à ce spectacle, que pourtant elles expliqueront." (Propos du 25 Mars 1928)

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