vendredi 16 août 2013

Qui occupe aujourd'hui la zone frontière entre le philosophe et l'homme politique ?

« Ils s’imaginent être les plus savants de tous les hommes et, en plus du fait qu’ils s’imaginent l’être, ils croient qu’ils en ont parfaitement acquis la réputation aux yeux de la plupart des gens. En sorte que, selon eux, ils auraient aux yeux de tous, bonne réputation s’il n’y avait, pour y faire obstacle, ceux précisément qui se consacrent à la philosophie. Les hommes dont je parle considèrent donc que s’ils parviennent à établir devant l’opinion que les philosophes ne valent rien, alors, sans contestation, c’est désormais auprès de tous qu’ils remporteront devant l’opinion les trophées dûs à leur savoir. En effet, ils s’imaginent eux-mêmes être vraiment les plus savants (…) Ils font modérément de la philosophie, modérément de la politique, selon un raisonnement bien naturel : car ils se disent que si l’on prend de l’une et de l’autre juste ce qu’il faut, tout en restant à l’abri des risques et de la concurrence, c’est alors qu’on jouit des fruits de son savoir (…) Si la philosophie est une chose bonne, et l’activité politique aussi, mais si elles ont l’une et l’autre une fin différente et que ces hommes participent aux deux et tiennent le milieu entre ces deux réalités, ils ne disent rien qui vaille car ils sont inférieurs à l’une et à l’autre (…) Or eux-mêmes ne reconnaîtraient pas, je pense, que philosophie et politique sont en elles-mêmes l’une et l’autre un mal, ni non plus que l’une soit un mal et l’autre un bien. Mais la réalité est que ces gens-là, puisqu’ils participent à l’une et à l’autre, demeurent inférieurs aux deux, par rapport à la fin pour laquelle politique et philosophie sont toutes deux dignes de considération. Aussi, étant dans la réalité à la troisième place, ils cherchent à paraître les premiers. » (Platon Euthydème 306 c-d, éd. Brisson p.393-394)
Socrate ajoute généreusement :
" Il faut donc leur pardonner ce désir et ne pas s'en irriter, mais les prendre pour ce qu'ils sont. Car il faut chérir l'homme, quel qu'il soit, quoi qu'il dise, qui fait de la pensée son domaine de recherche et qui s'applique, courageusement, par ses efforts, à exprimer jusqu'au bout ce qu'il pense."
On comparera la douceur de l'évaluation à la sévérité de la hiérarchie présentée dans le Phèdre où les hommes dont nous parlons sont vraiment très mal classés :
" L'âme qui a eu la vision la plus riche ira s'implanter dans une semence qui produira un homme destiné à devenir quelqu'un qui aspire au savoir, au beau, quelqu'un qu'inspirent les Muses et Éros ; que la seconde (en ce domaine) ira s'implanter dans une semence qui produira un roi qui obéit à la loi, qui est doué pour la guerre et le commandement ; que la troisième ira s'implanter dans une semence qui produira un homme politique, qui gère son domaine, qui cherche à gagner de l'argent ; que la quatrième ira s'implanter dans une semence qui produira un homme qui aime l'effort physique, quelqu'un qui entraîne le corps ou qui le soigne ; que la cinquième ira s'implanter dans une semence qui produira un homme qui aura une existence de devin ou de praticien d'initiation ; à la sixième, correspondra un poète ou tout autre homme qui s'adonne à l'imitation ; à la septième, le démiurge et l'agriculteur ; à la huitième, le sophiste ou le démagogue ; à la neuvième, le tyran." (248 d-e, p. 1264)
On voudra bien entendre par philosophe, dans le titre du billet, quiconque met au plus haut la connaissance de la vérité.

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