mardi 26 mai 2015

Peut-on reconnaître sans conservatisme l'existence de formes définitives ?

En avril 1930, Ludwig Wittgenstein dans une réflexion consacrée à Spengler écrit :
" (...) L'idée que les instruments à cordes ont acquis leur forme définitive entre 15-1600 est d'une portée considérable (et tout un symbole). Il se trouve simplement que pour la plupart des hommes, une telle pensée lorsqu'elle est exprimée sans beaucoup tourner autour au pot, ne leur dit rien du tout. C'est comme si quelqu'un croyait qu'un homme ne cesse de se développer de manière illimitée et qu'on lui disait : regarde, la fontanelle d'un enfant se referme au bout d'un certain nombre d'années et cela suffit à montrer que le développement en arrive partout à une fin, que partout le développement parvient un jour à son terme et que ce qui se développe sera un jour un tout achevé, à la différence d'une saucisse qui peut atteindre la longueur que l'on veut." (Carnets de Cambridge et de Skjolden, Puf, perspectives critiques, 1999, p.35)
Ces lignes sont importantes pour contrer l'idée que toute transformation apportée à un objet par la technologie est un progrès du point de vue de ses fonctions ( un exemple, le e-book serait le livre en mieux ). La confusion sur le sujet vient de ce que la transformation en question a si elle est innovante comme condition nécessaire un progrès dans les capacités de transformer la matière concernée. Il va de soi que si le transformateur parvient à persuader l'opinion que l'objet accomplit encore mieux sa fonction initiale, à son gain économique se joint la réjouissance du consommateur.
Mais, si l'on pense réfrigérateurs, voitures, ordinateurs, portables sur le modèle des instruments de musique, on se défait de la croyance que les progrès technologiques, par définition, ne cessent de perfectionner les fonctions des objets qu'ils modifient.
La référence au corps humain à travers la fontanelle permet aussi de poser le problème suivant : y a-t-il une fin dans le développement des capacités psychologiques de l'homme ? Entre autres le conte de Borges Funes el memoroso illustre l'idée qu'au-delà de certaines limites le développement de la mémoire devient un handicap. Certes ce domaine est plus délicat car l'idée de fonction de l'esprit et de développement optimal de l'homme est souvent liée à une métaphysique finaliste qui pour le moins est contestée. Reste que ,sans ces présupposés métaphysiques, il est sensé de se demander si, pour en revenir à l'exemple précédent, l'e-book permet une meilleure intelligence d'une oeuvre écrite que le livre traditionnel.
Ces réflexions bien sûr traduisent aussi un scepticisme certain par rapport au trans-humanisme, conception selon laquelle les capacités humaines, autant physiques que psychologiques, sont d'autant plus extensibles qu'on saura intégrer à l'esprit, au cerveau, plus généralement au corps humains des artefacts technologiques performants.

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