Dans le De ira, Sénèque a écrit :
" Il n'est pas de plus sûr indice de grandeur (d'âme) que le fait qu'il ne puisse rien advenir qui t' irrite. La partie supérieure de l'univers, qui est plus réglée et plus proche des astres, ne se condense pas en nuée, ne s'ébranle pas en tempêtes, ne tourne pas en tourbillon : elle est exempte de tout trouble - c'est en dessous que cela foudroie. De la même façon, une âme sublime, toujours en repos et placée sur une assise sereine, enfonçant en elle-même tout ce qui excite la colère, est mesurée, vénérable, rangée." (III,6, 1, trad. Ilsetraut Hadot).
Dans la lettre 59 à Lucilius, Sénèque soutient identiquement que " l'âme du sage est à l'image de l'univers au-dessus de la lune." (16).
Or, le philosophe ne présente pas ici une simple analogie, consistant à établir entre l'âme du sage et le monde extérieur la même relation qu' entre la partie supra-lunaire et la partie sub-lunaire de l'Univers. En effet le stoïcisme est un système dont les trois domaines (l'éthique, le physique, la logique) sont solidaires et se justifient réciproquement. Or, la physique galiléenne a porté un coup fatal à cette division du Ciel en deux mondes radicalement distincts : les mêmes lois gouvernent l'Univers dans son entier.
Mais Ilsetraut Hadot le dit clairement dans son Sénèque, direction spirituelle et pratique de la philosophie , " le seul critère valable pour le Portique était la vérité, devant laquelle tout passait au second plan. " (p.252, Vrin, 2014).
Donc pas de vie heureuse sans connaissance vraie :
" Ce savoir, la scientia rerum, est absolument indispensable." (p.201).
Certes Sénèque a défendu qu'il faut non seulement connaître la vérité, mais aussi se pénétrer d'elle et s'entraîner à agir conformément à elle. Il a pensé aussi qu'il ne faut pas s'y prendre toujours de la même manière quand on cherche à conduire le disciple vers la sagesse ( de la même manière que le médecin ne donne pas la même traitement à tous ses malades) ; reste que la doctrine stoïcienne qu'il a élaborée doit avoir la fixité et la permanence de la vérité (de même que le savoir médical, s'il est vrai, ne varie pas d'un patient à l'autre) :
" Qu'il s'agisse de Sénèque ou des stoïciens en général, on doit distinguer entre les points de vue thérapeutiques et doctrinaux, et la méconnaissance de cette distinction est l'une des sources principales de tous les contresens herméneutiques." (p.237).
Ilsetraut Hadot est nette sur ce point :
" La philosophie, comme Sénèque la comprenait, réunissait donc donc deux aspects à présent complètement dissociés ; et si j'ai donné à ma thèse allemande le titre " Seneca und die griechisch-römische Tradition der Seelenleitung (Sénèque et la tradition gréco-romaine de la direction des âmes)", je l'ai fait pour souligner un côté essentiel de la philosophie antique, qui était alors presque complètement ignoré. Outre que j'avais bien défini le sens que je donnais à la notion de " direction spirituelle ", je n'avais eu de cesse, tout au long de mon livre, de souligner l'impact de la partie théorique sur la direction spirituelle de Sénèque, fait qui pourtant n'a pas empêché quelques critiques de faire comme si je n'utilisais la notion de " direction spirituelle " que dans un sens moderne restrictif et comme si je négligeais l'importance du facteur théorique pour cet auteur." (p.27)
Mais si la théorie stoïcienne est un bloc logico-éthico-physique, quelle vérité garde son éthique, vu qu'elle est solidaire d'une cosmologie intégralement fausse ?
Ne doit-on pas alors jeter le bébé avec l'eau du bain ?