Pendant le confinement, certains livres tombaient des mains. Parmi eux, ceux qui respiraient la sécurité et suggéraient un quotidien sans difficultés. Le 17 décembre 1943, Ernst Jünger évoque ce décalage entre ce que contient l'écrit et ce qui est vécu présentement par son lecteur potentiel :
" Feuilleté le Journal des Goncourt. Étranges changements chez le lecteur que produit cette guerre. On sent que d'énormes masses de livres ne passeront pas les douanes spirituelles qu'elle a établies. Ce sont là des domaines où la destruction demeure presque inaperçue. Ainsi, les mites font leurs ravages dans les armoires fermées. On prend un livre en main et l'on découvre qu'il a perdu son charme comme une amante à qui l'on a souvent songé avec nostalgie, mais dont la beauté n'a pas survécu à certaines crises, certaines aventures. L'ennui se chargera de faire le tri de ce qui est durable, plus implacablement que tout censeur, que toute mise à l'index. Mais il est à prévoir qu'en revanche les plus grands y gagneront ; donc, surtout la Bible." (Journaux de guerre, II 1939-1948, La Pléiade, 2008)
Jünger évoque un vieillissement irréversible mais quelquefois l'amante est seulement vue comme vieille. Le temps des épreuves une fois passé, joyeusement, on la retrouve inaltérée.
Les changements ne sont pas non plus nécessairement collectifs, telle transformation à l'échelle de la vie personnelle rendant illisibles pour un temps au moins certains livres dont on connaît bien pourtant la vraie valeur.
Mais il est souvent difficile de savoir si le douanier intérieur est rendu plus clairvoyant par les temps nouveaux ou si ceux-ci le rendent en fait aveugle à la grandeur persistante de certains livres. Insuffisamment perspicace, il ne saurait pas percevoir au-delà d'un certain parfum de sécurité : le livre qui aurait pu éclairer les nouveautés qu'il vivait, il l'a pris trop vite pour le produit d'un monde disparu.
Il va de soi que d'autres lecteurs, ou les mêmes à d'autres moments, ont formé différemment leur douanier en ne l'autorisant qu'à laisser passer les ouvrages où l'on peut se réfugier et oublier la réalité.
Il se peut aussi que ce douanier, gardien de la nostalgie, ne réalise pas que ces mêmes ouvrages, interprétés par un autre esprit, aideraient aussi bien à mieux comprendre la réalité du moment.
" Feuilleté le Journal des Goncourt. Étranges changements chez le lecteur que produit cette guerre. On sent que d'énormes masses de livres ne passeront pas les douanes spirituelles qu'elle a établies. Ce sont là des domaines où la destruction demeure presque inaperçue. Ainsi, les mites font leurs ravages dans les armoires fermées. On prend un livre en main et l'on découvre qu'il a perdu son charme comme une amante à qui l'on a souvent songé avec nostalgie, mais dont la beauté n'a pas survécu à certaines crises, certaines aventures. L'ennui se chargera de faire le tri de ce qui est durable, plus implacablement que tout censeur, que toute mise à l'index. Mais il est à prévoir qu'en revanche les plus grands y gagneront ; donc, surtout la Bible." (Journaux de guerre, II 1939-1948, La Pléiade, 2008)
Jünger évoque un vieillissement irréversible mais quelquefois l'amante est seulement vue comme vieille. Le temps des épreuves une fois passé, joyeusement, on la retrouve inaltérée.
Les changements ne sont pas non plus nécessairement collectifs, telle transformation à l'échelle de la vie personnelle rendant illisibles pour un temps au moins certains livres dont on connaît bien pourtant la vraie valeur.
Mais il est souvent difficile de savoir si le douanier intérieur est rendu plus clairvoyant par les temps nouveaux ou si ceux-ci le rendent en fait aveugle à la grandeur persistante de certains livres. Insuffisamment perspicace, il ne saurait pas percevoir au-delà d'un certain parfum de sécurité : le livre qui aurait pu éclairer les nouveautés qu'il vivait, il l'a pris trop vite pour le produit d'un monde disparu.
Il va de soi que d'autres lecteurs, ou les mêmes à d'autres moments, ont formé différemment leur douanier en ne l'autorisant qu'à laisser passer les ouvrages où l'on peut se réfugier et oublier la réalité.
Il se peut aussi que ce douanier, gardien de la nostalgie, ne réalise pas que ces mêmes ouvrages, interprétés par un autre esprit, aideraient aussi bien à mieux comprendre la réalité du moment.
Ernst Jünger ouvre avec délice le Journal des Goncourt pendant la guerre. Il est dans la situation du Wisigoth qui a envahi la Gaule, et qui souhaite éduquer sa barbarie. Pour lui, les lettres françaises n'auront jamais aucun douanier, même avec un parfum décadent de fin de siècle.
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