Michel Leiris, à la fin de sa vie en 1988 (il a 87 ans), se décrit sans indulgence dans une série de notations intitulées avec humour " images de marque ", en voici quelques-unes, qui frappent par leur lucidité sans concession :
" Un fou d'une autre sorte dont la fêlure est de croire encore qu'il parviendra un jour à la sagesse."
" Quelqu'un qui fut un enfant quelconque mais se voudrait vieillard prodige."
" Un stoïque dont l'unique courage est de rester fidèle à sa non-croyance."
" Un incrédule qui récuse tout système, n'importe quel d'entre eux lui semblant être un artifice truqueusement mis en oeuvre pour arranger les choses."
" Un moraliste qui se juge sans tache parce qu'il a dîné sans salir sa cravate."
" Un désespéré qui ne cesse d'espérer qu'il finira par prendre son mal en patience."
" Un avisé qui sait que se croire modeste (croire qu'on se sous-estime) est un comble de vanité."
" Un anxieux dont les soucis, graves ou futiles mais toujours lancinants, se succèdent sur le mode un clou chasse l'autre." (Journal 1922-1989, Gallimard, Paris, 1992, p. 801 à 805)
Certes il est délicat de trouver le juste milieu entre la dévaluation et la surévaluation de soi, plus difficile encore que de fixer pour un objet un juste prix, tant est difficile à déterminer ici la réalité de la chose à estimer. Mais on ne sera pas aidé par autrui quand, au nom de la tolérance, de la liberté, de la responsabilité personnelle etc., c'est-à-dire au nom de valeurs réelles mais ici appelées à tort, il renoncera à porter un jugement critique et bienveillant sur ce qu'on lui dit de nous, à charge de revanche. Or, cela fait sans doute partie de l'éthique de l'amitié de pouvoir comprendre sans approuver, juger sans rejeter, dénoncer sans exclure. Mais cela est difficile à accepter tant règne l'opinion que critiquer l'opinion d'autrui est toujours lui manquer de respect...
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