mercredi 5 juin 2019

Le stoïcisme comme château de cartes.

Claude Romano dans Être soi-même. Une autre histoire de la philosophie (2019) met clairement en évidence la dépendance de l'éthique stoïcienne par rapport à la métaphysique. Défendant que l'on ne peut pas croire ce que l'on ne tient pas pour vrai, il fait reposer l'apathie du sage sur la croyance dans le caractère réellement indifférent des événements qui font s'effondrer les insensés :
" Nos jugements, affirme Épictète, sont les seules choses qui soient entièrement en notre pouvoir (eph' hêmin). En va-t-il réellement ainsi ? N'y a-t-il pas au moins quelque chose qui contraigne notre jugement à savoir la vérité ? Dépend-il vraiment de nous, par exemple, de juger que perdre un fils n'est pas un grand malheur, indépendamment de ce qui nous paraît être vrai ou non ? L'idée d'un contrôle de notre jugement abstraction faite de ce qui nous semble être ou non le cas n'est-elle pas une absurdité de principe ? Mais alors, si les stoïciens sont obligés d'en convenir, s'ils n'ont pas d'autre moyen, pour modifier notre jugement que de chercher à nous persuader , il faut en conclure que tout le stoïcisme repose en fin de compte sur sa théologie et sa cosmologie auxquelles il est nécessaire au préalable de souscrire. Pour celui qui rejetterait l'optimisme théologique et cosmologique du Portique (la correspondance qu'il établit entre la raison humaine et la raison cosmique), c'est le fondement même de l'affranchissement du sage à l'égard de toute puissance étrangère en lui et hors de lui qui se dérobe purement et simplement. C'est du reste ce qui se passera à la fin de l' Antiquité tardive. Et lorsque le stoïcisme refera surface à la Renaissance, abandonnant progressivement les idées d'une impassibilité totale du sage et d'une adhésion sans restriction au destin, avec leurs arrière-plans théologiques, pour devenir principalement une doctrine de l'auto-dressage et du façonnement actif de soi au moyen de la seule volonté, il frôlera à plus d'un titre l'inconséquence. En un mot, seule l'adhésion à un optimisme théologique - et non l'idée d'un prétendu contrôle total de notre jugement indépendamment de ce qui est vrai ou non, qui n'est rien d'autre qu'une absurdité - supporte, en dernière instance, la thérapeutique stoïcienne. Si nous n'acceptons plus cette prémisse, le stoïcisme s'effondre comme un château de cartes." (pp. 116-117)
Je partage cette idée que toute tentative pour revenir au stoïcisme en laissant de côté sa très improbable métaphysique le prive des raisons justifiant la vertu stoïcienne. En effet on ne peut pas croire sur volonté ce qu'on juge digne d'être cru en vue de la vie heureuse.

Commentaires

1. Le vendredi 28 juin 2019, 14:15 par gerardgrig
Le stoïcisme est inépuisable, si on ne le limite pas à sa forme vulgarisée de la sculpture de soi. En ces temps de collapsologie, le stoïcisme nous éclaire sur ce qui s'ensuit de l'apocalypse, avec les notions d'apocatastase et d'antapocatastase. Zeus fait-il une forme de Big Bang ? En tout cas, ce serait un informaticien avisé. Après la consomption du monde par le feu, Zeus le remet dans son état d'origine, un peu comme l'informaticien fait la restauration d'un backup. On reverra même Socrate et Platon, car toutes choses seront restaurées selon la loi de l'éternel retour.

mardi 4 juin 2019

Greguería n° 57

" El tapón del champaña es como una bala fracasada."
" Le bouchon de champagne ressemble à une balle qui aurait tout raté."

lundi 3 juin 2019

Greguería n° 56

" Llega un momento en que las viejas sólo conversan con sus abanicos."
" Arrive un moment où les vieilles ne parlent plus qu' à leur éventail."

Commentaires

1. Le lundi 3 juin 2019, 15:27 par gerardgrig
Cette gregueria distille une certaine cruauté, inspirée peut-être par le tableau de Goya "Les vieilles" ou "Le temps". C'est l'idée du corps comme marqueur social de la personne désocialisée, quand sa beauté s'est complètement effacée. Pourtant, avec la force de l'habitude, la sociabilité continue. On fait malgré tout la conversation, mais avec son éventail. De même, le tableau de Goya caricature une coquette âgée, qui met encore des bijoux, en compagnie de sa servante. Il y a l'idée de la destinée de l'Espagne entrée depuis longtemps en décadence, qui se manifeste aussi dans la gregueria du picador épaissi. Peut-être l'art de Goya et la gregueria de Ramón sont-ils comme des sursauts "castillanistes".
2. Le lundi 10 juin 2019, 11:05 par Philalethe
Entre la coquette de Goya et les vieilles à l'éventail, il y a la différence entre la perte du sens du probable et celle du sens du possible !
Quant au picador épaissi, je crois bien qu'il est conforme au type et à sa fonction. C'est le picador fluet qui indiquerait le déclin de la corrida.. 

samedi 1 juin 2019

Greguería n° 55

" El picador es un Don Quijote que ha engordado."
" Le picador est un Don Quichotte qui a grossi."

Commentaires

1. Le samedi 8 juin 2019, 02:40 par gerardgrig
Cette gregueria évoque l'hyper-espagnolisme de la corrida, que Ramón déconstruit, comme dans "El torero Caracho", qui n'est pas une apologie naïve de la tauromachie. Mas on ne l'imaginerait pas plaisanter avec l'espagnolisme patriotique. Dans "El Rastro", il y a aussi un espagnolisme "populiste" qui abrite déjà une forme de surréalisme, le marché aux puces de Madrid semblant être comme la métaphore d'un recueil de greguerias. Néanmoins, Ramón devait peut-être partager le jugement de Dali sur le "Romancero gitano" de Lorca, qui se rattachait sans le vouloir à l'espagnolisme pour grand public.
Ramón était lucide sur l'espagnolisme d'origine étrangère de Valle-Inclán, que celui-ci avait emprunté à Barbey d'Aurevilly. Dans la bohème littéraire de Madrid, Valle-Inclán avait joué le jeu de la décadence, tandis que Ramón était commentateur et spectateur, ce qui lui permettait de prendre le train de la modernité, même s'il se rattachait au courant picaresque. L'espagnolisme de Ramón était celui du guérillero et du picaro.
2. Le lundi 10 juin 2019, 11:17 par Philalethe
Dans ce cas aussi, la greguería me paraît tout à fait juste. Le picador par son hiératisme, du moins quand il a terminé d'appeler le taureau, évoque une gravure représentant Don Quichotte, au poids près ! Le rédacteur de La France Byzantine vise juste : Ramón est supérieurement réaliste !
3. Le vendredi 14 juin 2019, 10:32 par l'ange scalpé
mais Ramon ne veut il pas dire aussi que
le picador est Sancho Pança, double vulgaire de Don Quijote?
4. Le vendredi 14 juin 2019, 11:39 par Philalethe
C'est en effet une interprétation intéressante. En prenant du poids, Don Quichotte gagnerait en sens de la réalité et au lieu d'aller vers une cible imaginaire, attendrait plus platement que le danger réel fonce sur lui.

vendredi 31 mai 2019

Greguería n° 54

" Aquel director de Zoológico hizo barnizar a todos los animales y le salió el primer día de la creación."
" Un directeur de zoo fit vernir tous les animaux : ce fut alors le premier jour de la création."

Commentaires

1. Le samedi 1 juin 2019, 11:55 par gerardgrig
Il est assez facile de faire un commencement de monde, en déménageant un zoo, par exemple. Cela pourrait inciter à douter des textes religieux, et poser le problème du conflit de la raison et de la foi. Il y a des explications rationnelles des textes religieux. Celle du Buisson ardent est parfaitement scientifique. Dans le cas de la Genèse, l'explication rationnelle reste toujours théologique. Le moyen s'y échapper est l'ironie voltairienne.
2. Le samedi 1 juin 2019, 15:10 par Philalethe
Quand j'ai lu cette greguería, j'ai immédiatement pensé au musée créationniste américain ! https://arkencounter.com/

jeudi 30 mai 2019

Greguería n° 53

" Los ojos negros nos permitirán penetrar en ellos, pero los azules nos tendrán siempre a la puerta."
" Les yeux noirs nous permettront toujours de pénétrer en eux, mais les yeux bleus nous laisseront toujours sur le seuil."

mercredi 29 mai 2019

Greguería n° 52

" El ciervo es el hijo del rayo y del árbol."
" Le cerf est le fils de la foudre et de l'arbre."

mardi 28 mai 2019

Greguería n° 51

" El capullo comienza como un corazón, y acaba estallando como un aneurisma. "
" Le bourgeon commence comme un coeur et finit en éclatant comme un anévrisme. "

Commentaires

1. Le mercredi 29 mai 2019, 18:17 par gerardgrig
Cette gregueria est assez flaubertienne. À la poésie bucolique, elle mêle une angoisse sur sa fin, de rentier instruit des choses de la médecine. On pense à Bouvard et à Pécuchet. Mais Ramón évoque un accident généralement associé à des parties nobles du corps. Il n'évoque pas les infections purulentes de parties plus prosaïques.

lundi 27 mai 2019

Greguería n° 50


" La B es el ama de cría del alfabeto."
" Le B est la nourrice de l'alphabet."

Commentaires

1. Le samedi 1 juin 2019, 17:25 par gerardgrig
Ramón était un peu kabbaliste et numérologue. Il s'intéressait à la magie et à la superstition de la culture méditerranéenne. Il y a un côté para-normal, métapsychique, dans les greguerias, parce qu'elles nous font entrer dans d'autres dimensions. Ici Ramón livre une bribe d'abécédaire Le B représente les deux seins de la nourrice. Il me semble que le Beith de la Kabbale va dans ce sens, avec la nourrice en moins.
2. Le lundi 3 juin 2019, 16:47 par gerardgrig
Ramón aurait pu être soupçonné de marranisme par l'Inquisition, comme Cervantes et Thérèse d'Avila. L'Inquisition était encore active à l'époque de Goya. Il y a un tableau de lui, "Autodafé de l'Inquisition".
3. Le lundi 10 juin 2019, 11:24 par Philalethe
Il voit les majuscules comme des hiéroglyphes.

dimanche 26 mai 2019

Greguería n° 49


" El Cid se hacía un nudo en la barba para acordarse de los que tenía que desafiar."
" Le Cid se faisait un noeud à la barbe pour se rappeler de ceux qu'il devait défier."