À la jupe banane de Joséphine Baker, qui est l'icône des Années Folles, Ramón préfère le jupon laitue. Comme toujours, il opère un léger décalage, un changement de point vue imperceptible, pour mieux faire voir le sujet réel dont il traite. Il aide à comprendre la dialectique subtile de l'art de Joséphine Baker, sur fond d'érotisme, entre vie "sauvage" et vie "civilisée", humour et glamour, ingénuité et construction savante de soi.
2. Le vendredi 26 juillet 2019, 16:26 par Philalethe
Mais le jupon en question ici n'est pas fait de laitue ! Quant à savoir si la greguería végétalise le jupon ou érotise le légume... Cela doit dépendre largement de nos inclinations imaginatives. Spontanément j'y vois plutôt une désérotisation du jupon...
" La verdadera plomada es una rata muerta agarrada por el rabo."
" Le vrai fil à plomb est un rat mort tenu par la queue."
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1. Le mercredi 24 juillet 2019, 17:32 par gerardgrig
Faut-il voir dans cette gregueria une provocation anti-maçonnique ? Ramón n'ignore pas le symbolisme du Fil à Plomb, qui signifie l'élévation, la descente en soi et l'invitation à changer le plomb en or, dans le rituel maçonnique. L'image nihiliste du rat mort tenu par la queue, comme une abolition de la virilité obscène, pour contrôler la verticale d'on ne sait trop quoi, de façon sinistre, donne un haut-le-cœur. On est dans la thématique transgressive de Georges Bataille ("Histoire de rats").
On pourrait être plus modéré dans son interprétation. Ramón est un moraliste classique, qui traque la vanité humaine sous toutes ses formes, même s'il emprunte des images fortes à la modernité. Il semble dire que les plus beaux monuments, aux perpendiculaires parfaites, finiront en ruines jonchées de cadavres d'animaux nuisibles.
3. Le vendredi 26 juillet 2019, 16:21 par Philalethe
Voir comme un fil à plomb un rat mort qu'on saisit par la queue pour s'en débarrasser pourrait être aussi une redescription embellissante en vue de faire l'action sans émotion (cf la fonction des redescriptions dégradantes dans le stoïcisme). C'est la fonction éthique des métaphores que je pointe ici.
Ramón était féru de radio et de cinéma. On le voyait dans la gregueria 82. Il a écrit "Ciné-ville", une parodie chaplinesque et nostalgique d'Hollywood. Ramón a aussi écrit le livret de l'opéra "Charlot". Il aimait le personnage de l'inadapté à la modernité, qui se moque d'elle. Il en faisait une théorie, le charlotisme, dans son autobiographie. Dans cette gregueria, il n'épargne pas les artistes, victimes de l'attrait des nouveaux médias de la modernité, qui accroissent la compétition sociale.
2. Le vendredi 26 juillet 2019, 16:30 par Philalethe
Oui, Cinelandia est la chronique de son voyage à Hollywood. Je devrais lui consacrer quelques billets.
" La ametralladora suena a máquina de escribir de la muerte."
" La mitraillette ressemble à la machine à écrire de la mort."
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1. Le dimanche 21 juillet 2019, 13:20 par gerardgrig
Est-ce la mitraillette ou plutôt la mitrailleuse, cette arme qui a bloqué les lignes de front dans une guerre de position décimante, en 14-18 ? Avec l'analogie de la machine à écrire de l'écrivain, Ramón semble être dans la provocation surréaliste autour de la guerre. On pense à Apollinaire et à son "Ah dieu ! que la guerre est jolie". Mais Apollinaire ira plus vite que son rival en fondation du surréalisme, pour épingler Alphonse XIII malade de la grippe espagnole, car il n'aimait que les produits nationaux. La provocation surréaliste, autour de la violence guerrière, fera long feu, quand Dali rapprochera Hitler du Maldoror de Lautréamont. Cela sonnera le glas du surréalisme historique.
2. Le vendredi 26 juillet 2019, 16:33 par Philalethe
C'était l'époque où les armes pouvaient encore être comparées à des objets domestiques ordinaires ! Cette greguería voit l'arme fantastique comme un ustensile ordinaire devenu gigantesque, du coup on pense à Swift :
" El inventor de un abrelatas para los tanques guerreros se haría rico."
" L'inventeur d'un ouvre-boîtes pour tanks deviendrait riche."
Le lampadaire était aussi lié a la thaumaturgie de Ramón. Dans les années 1920, et jusqu'au milieu des années 1930, il donnait des conférences "greguerizantes". À la fin de l'une d'elles portant sur les lampadaires, un aveugle est venu lui dire que grâce à lui, il les avait vus. Dans l'image, il y a aussi le curieux dessin du visage de Ramón, en double et en surimpression. La signature fait les yeux et le nez. La bouche est fermée et elle est un trait tremblé. C'est l'organe de la gregueria, qui est avant tout vocale. Que représentent ces nuages, reliés par la bouche, sur les joues ? Sont-ils un maquillage pour le carnaval ? Ramón est bien l'auteur des greguerias, mais il est double, transparent, maquillé, stylisé, et en quelque sorte esthétisé.
2. Le vendredi 26 juillet 2019, 16:48 par Philalethe
Oui c'est une étrange image. Chaque chapitre de Automoribundia étant décoré d'une petite vignette, c'est ce visage que Ramón choisit de présenter au début du premier chapitre racontant sa naissance et commençant par ces mots difficilement traduisibles : Nací, o me nacieron - que no sé cómo hay que decirlo en estricta justicia. Je suis né ou ils me naquirent - je ne sais comment le dire en toute exactitude.
Ramón y explique qu'il est fait pour porter ce prénom, adapté parfaitement à son visage :
" Je suis né pour m'appeler Ramón, et je pourrais même dire que j'ai le visage rond et gros de Ramón, digne de ce grand O sur lequel s'appuie le nom, et qui est exalté par son accent que seule l'imprimerie m'escamote parce que les majuscules n'y sont pas accentuées."
Certes c'est étrange qu'alors Ramón n'ait pas accentué le o dans son petit dessin...
Dans ces images on voit que le cirque, le carnaval et le music-hall faisaient le décor des greguerias. C'était la Fête ! À gauche, on aperçoit peut-être le Café de Pombo.
2. Le samedi 20 juillet 2019, 12:18 par Philalethe
Oui, mais le réverbère et le double banc inoccupé délimitent aussi un espace solitaire.
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